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[ 9 juin 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Non-conformité des travaux réalisés par l’entrepreneur : la responsabilité du maître d’œuvre à l’égard du maître de l’ouvrage est engagée

Le maître d’œuvre qui poursuit un chantier malgré le défaut de conformité des travaux réalisés par son entrepreneur engage sa responsabilité, dans les limites de la mission qui lui a été confiée, à l’égard du maître de l’ouvrage.

Un constructeur immobilier avait confié à un architecte la charge d’édifier un atelier d'agencement dont les travaux de terrassement devaient être réalisés par un entrepreneur, pourtant placé en redressement judiciaire depuis un an. En sa qualité de maître de l’ouvrage, le constructeur reprochait à l’entrepreneur de ne pas avoir respecté les prescriptions du marché lors de la réalisation des travaux, au point de résilier leur contrat. L’année suivante, l’entrepreneur avait été placé en liquidation judiciaire. Le constructeur avait alors également assigné l’architecte, maître d’œuvre, pour obtenir la réparation de son préjudice résultant de la non-conformité des travaux et des désordres apparus à l’occasion de leur réalisation, avant la réception de l’ouvrage. La cour d’appel ayant rejeté ses demandes, il forma un pourvoi en cassation dont l’unique moyen, subdivisé en cinq branches, présentait en vérité son intérêt principal dans les trois dernières.

Tour d’abord, par les troisième et quatrième branches de son moyen, le demandeur contestait l’application au litige d’une clause dite « d'exclusion de solidarité », déclinaison de la clause limitative de responsabilité de droit commun. D’après le constructeur, maître de l’ouvrage, cette clause selon laquelle « l'architecte ne peut être tenu responsable de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d'ouvrage ou des autres intervenants dans l'opération faisant l'objet du présent contrat » ne peut être interprétée de telle sorte que la responsabilité du maître d’œuvre à l'égard du maître d’ouvrage soit retenue à hauteur de 50 %., une clause de cette nature « ne fai(san)t pas obstacle à sa condamnation à indemniser l'intégralité du préjudice subi par le maître de l'ouvrage in solidum avec les autres intervenants, dès lors qu'il a contribué, par ses propres fautes, à la réalisation de l'entier dommage ». En outre, il reprochait aux juges d’appel de ne pas avoir recherché si cette clause « n'était pas susceptible de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties et si elle ne devait pas en conséquence être réputée non écrite » à son égard.

Sur ce point, la Cour de cassation constate que le demandeur n’ayant pas soutenu en cause d’appel que la clause en question était abusive (V. Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347), c’est à bon droit que la cour a pu décider « qu’en application de cette clause, la responsabilité de l'architecte était limitée aux seuls dommages qui étaient la conséquence directe de ses fautes personnelles, en proportion de sa part de responsabilité ». Ainsi la Cour de cassation confirme-t-elle la validité de la clause d’exclusion de solidarité du maître d’œuvre (Civ. 3e, 19 mars 2013, n° 11-25.266 ; Civ. 3e, 8 févr. 2018, n° 17-13.596), en adéquation avec le modèle de contrat à conclure par le maître d’ouvrage avec un architecte proposé par l’ordre des architectes (art. G 6.3.1), qui l’admet même lorsque cette clause a pour objet d’exclure une condamnation in solidum entre l'architecte et les autres intervenants, dont les entrepreneurs (Civ. 3e, 14 févr. 2019, n° 17-26.403 ; Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.995 ; Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-17.058). Licite dès lors qu’est recherchée la responsabilité contractuelle de droit commun de l’architecte et que les termes de sa rédaction sont sans ambiguïté (v., pour une rédaction de la clause identique à celle de l’espèce, Civ. 3e, 14 févr. 2019, préc. ; contra, refusant son application au motif que l’exclusion d’une condamnation in solidum ne faisait pas expressément l’objet de la clause, Civ. 3e, 18 juin 1980, n° 78-16.096), cette clause d’exclusion de solidarité qui interdit d’engager la responsabilité de l’architecte pour les dommages imputables aux autres intervenants est opposable au maître de l’ouvrage.

Ensuite, par la cinquième branche du moyen, le maître d’ouvrage faisait grief à l'arrêt de rejeter la condamnation de l’architecte au titre de l'indemnité d'interruption du contrat consécutive à sa résiliation. Selon le demandeur, la responsabilité du maître d’œuvre était acquise puisqu’ alors même qu’il avait été « chargé d'une mission de maîtrise d'œuvre complète », il n'avait pourtant « pas décelé la non-conformité des matériaux que (l’entrepreneur) employait, non plus que les malfaçons affectant les travaux de terrassement (…) ».

Au visa de l’ancien article 1147 du Code civil, dont les Hauts magistrats rappellent l’intégralité du contenu, (conservé à l’art. 1231-1 nouv.), la décision des juges d’appel est, sur ce point, censurée : « Pour rejeter la demande du maître d’ouvrage au titre de l'indemnité contractuelle d'interruption du contrat, l'arrêt retient que la résiliation du contrat par le maître de l'ouvrage n'est pas imputable au maître d’œuvre. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le maître d’œuvre avait accepté la poursuite du chantier malgré l'absence de conformité des travaux réalisés, laquelle avait motivé la résiliation du marché par le maître d’ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». La Cour met donc à la charge de l’architecte, qui avait accepté la poursuite du chantier malgré l'absence de conformité des travaux effectués par l’entrepreneur, la responsabilité des désordres survenus. C’est pourquoi si l’architecte peut échapper à sa responsabilité pour les dommages imputables aux malfaçons de l’entrepreneur, il l’engage en revanche s’il poursuit, malgré ces malfaçons, sa mission de maîtrise d’œuvre.

Civ. 3e, 19 mars 2020, n° 18-25.585

Références

■ Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347 P: D. 2016. 639, note C.-M. Péglion-Zika ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki ; ibid. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2016. 623, obs. F. Cohet ; RDI 2016. 290, obs. B. Boubli ; AJCA 2016. 200, obs. S. Carval

■ Civ. 3e, 19 mars 2013, n° 11-25.266: RDI 2013. 316, obs. B. Boubli

■ Civ. 3e, 8 févr. 2018, n° 17-13.596

■ Civ. 3e, 14 févr. 2019, n° 17-26.403 P: D. 2019. 382 ; RDI 2019. 214, obs. B. Boubli ; AJ contrat 2019. 255, obs. G. Cattalano

■ Civ. 3e, 7 mars 2019, n° 18-11.995

■ Civ. 3e, 17 oct. 2019, n° 18-17.058: RDI 2019. 631, obs. J. Roussel

■ Civ. 3e, 18 juin 1980, n° 78-16.096

 

Auteur :Merryl Hervieu

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