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Droit pénal général
Non-rétroactivité de la loi pénale et peine complémentaire
Mots-clefs : Infraction, Peine complémentaire, Principe de non-rétroactivité de la loi pénale
Dans un arrêt du 23 mai 2012, la Cour de cassation rappelle un principe fondamental de droit pénal général édicté à l'article 112-1 alinéa 2 du Code pénal en vertu duquel peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la date de commission des faits constitutifs de l’infraction.
En l'espèce, un individu avait été reconnu coupable d’avoir commis des agressions sexuelles, entre 1994 et 1996, et condamné notamment à une peine complémentaire d’interdiction d’exercer, pour une durée de dix ans, toute activité en lien avec des mineurs visée à l’article 222-45 du Code pénal.
La Cour de cassation rappelle que cette peine complémentaire, instituée par la loi du 17 juin 1998, soit après la commission des faits, ne pouvait être prononcée sans méconnaître le principe de non-rétroactivité de la loi pénale.
La solution de l’arrêt commenté n’a rien de surprenant dans la mesure où la Cour n’exclut pas les peines complémentaires de l’application de l’article 112-1 du Code pénal. Elle n’aurait d’ailleurs aucune raison de le faire, le texte visant les « peines » dans leur ensemble et non seulement celles prononcées à titre principal. Il est ainsi acquis en jurisprudence que les peines complémentaires intègrent le champ d’application de l’article 112-1 (v. notamment Crim. 1er oct. 1987).
Cette solution qui peut paraître évidente, est toutefois l’occasion de révéler un important problème du droit pénal contemporain. En effet, la cohérence des règles d’application de la loi pénale dans le temps est parfois compromise par le manque de lisibilité qui atteint la distinction entre peines complémentaires et mesures de sûreté. Les peines complémentaires sont par définition prononcées pour compléter la peine principale, elles gardent donc un caractère afflictif et une connotation morale qui les distinguent de la simple mesure de sûreté dont le but n'est que de neutraliser l'effet dangereux d'une personne. Cependant, si d'un point de vue théorique la distinction entre peine complémentaire et mesure de sûreté paraît claire, on s'aperçoit en pratique que la nature de ces deux types de mesure se rejoint bien souvent. L’interdiction d’exercer une activité en lien avec des mineurs dont il est question dans l’espèce étudiée est une peine complémentaire visée par l’article 222-45 du Code pénal mais figure également parmi les mesures de sûreté énumérées à l’article 706-136 du Code de procédure pénale. L’enjeu de la qualification est de taille dans la mesure où le principe de non-rétroactivité de la loi pénale ne joue pas en matière de mesure de sûreté (Crim. 16 déc. 2009). Or, pour la personne concernée, le caractère afflictif d’une mesure est intrinsèque à la mesure elle-même, il ne peut dépendre de la qualification que donne le législateur à cette dernière. Si en l’espèce les droits du condamné sont préservés, le manque de lisibilité qui atteint la distinction sus-évoquée entraîne une applicabilité quelque peu erratique du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère qui pourrait être mal comprise par les personnes poursuivies. Soucieux de préserver ce principe de réalité du droit pénal, le Conseil constitutionnel a d’ailleurs estimé, dans une décision du 21 février 2008 que « la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement » (Cons. const. 21 févr. 2008).
Crim. 23 mai 2012, n°11-85768
Références
■ Code pénal
« Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.
Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.
Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. »
« Les personnes physiques coupables des infractions prévues par les sections 1, 3 et 4 encourent également les peines suivantes :
1° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-26, des droits civiques, civils et de famille ;
2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer une fonction publique ;
3° L'interdiction d'exercer, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs ;
4° L'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté, selon les modalités prévues par l'article 131-5-1 ;
5° L'obligation d'accomplir un stage de responsabilité parentale, selon les modalités fixées à l'article 131-35-1.»
■ Article 706-136 du Code de procédure pénale
« Lorsque la chambre de l'instruction ou une juridiction de jugement prononce un arrêt ou un jugement de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, elle peut ordonner à l'encontre de la personne les mesures de sûreté suivantes, pendant une durée qu'elle fixe et qui ne peut excéder dix ans en matière correctionnelle et vingt ans si les faits commis constituent un crime ou un délit puni de dix ans d'emprisonnement :
1° Interdiction d'entrer en relation avec la victime de l'infraction ou certaines personnes ou catégories de personnes, et notamment les mineurs, spécialement désignées ;
2° Interdiction de paraître dans tout lieu spécialement désigné ;
3° Interdiction de détenir ou de porter une arme ;
4° Interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole spécialement désignée, dans l'exercice de laquelle ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ou impliquant un contact habituel avec les mineurs, sans faire préalablement l'objet d'un examen psychiatrique déclarant la personne apte à exercer cette activité ;
5° Suspension du permis de conduire ;
6° Annulation du permis de conduire avec interdiction de solliciter la délivrance d'un nouveau permis.
Ces interdictions, qui ne peuvent être prononcées qu'après une expertise psychiatrique, ne doivent pas constituer un obstacle aux soins dont la personne est susceptible de faire l'objet.
Si la personne est hospitalisée en application des articles L. 3213-1 et L. 3213-7 du code de la santé publique, les interdictions dont elle fait l'objet sont applicables pendant la durée de l'hospitalisation et se poursuivent après la levée de cette hospitalisation, pendant la durée fixée par la décision.»
■ Crim. 1er oct. 1987, Bull. crim. n° 326.
■ Crim. 16 déc. 2009, Bull. crim. n° 216.
■ Cons. const. 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC.
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