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[ 4 novembre 2014 ] Imprimer

Procédure civile

Notion de juridiction

Mots-clefs : Droit au procès équitable, Exigence d’indépendance et d’impartialité, Recours à l'encontre des sanctions disciplinaires, Vente, Vente aux enchères publiques, Conseil des ventes volontaires de meubles

Les exigences nées du droit à un procès équitable (Conv. EDH, art. 6) doivent être respectées par les autorités administratives indépendantes. À ce titre, le Conseil des ventes volontaires de meubles, autorité administrative indépendante, ne peut être partie au recours contre ses propres décisions.

La dirigeante d’une société, ainsi que la société elle-même, avaient été sanctionnées par le Conseil des ventes volontaires de meubles (CVV), juridiction disciplinaire spécialisée. Après une enquête complémentaire demandée par le commissaire du gouvernement, elles avaient, par la suite, fait l'objet de nouvelles poursuites pour avoir, à l'occasion de la première procédure, produit des faux, trompant ainsi l'autorité disciplinaire sur la réalité des mesures de publicité légale devant précéder les ventes. Par une seconde décision, le Conseil avait alors prononcé un avertissement en sanction de ces faux. En appel, la Cour ordonna, au vu des dernières observations écrites déposées par le Conseil, une interdiction temporaire d'exercer.

Au visa de l'article 6 de la Conv. EDH, cette décision est censurée par la Cour de cassation au motif que « l'exigence d'un procès équitable, au regard des principes d'égalité des armes et d'impartialité du juge, impose qu'une juridiction disciplinaire de première instance ne soit pas partie au recours contre ses propres décisions ; que le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (le Conseil) qui prononce une sanction disciplinaire constitue une telle juridiction ».

Le CVV est une autorité administrative indépendante (AAI) ayant notamment pour mission d'agréer les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et les experts qui le souhaitent, et de sanctionner « les manquements aux lois, règlements et obligations professionnelles » applicables à ces sociétés ainsi qu'aux experts agréés (C. com., art. L. 321-18).

La difficulté naît du fait qu’elle est également considérée comme une juridiction.

Cette difficulté n’est d’ailleurs pas nouvelle : elle fut posée dès les années 1970 à propos de l'octroi d'un pouvoir de sanction aux autorités administratives indépendantes et aux organismes de droit privé dotés de prérogatives de puissance publique, tels l’Autorité des marchés financiers ou l’Autorité de la concurrence. L'analogie avec le Conseil des ventes volontaires s’impose ici dès lors qu’elle se présente, elle aussi, comme une autorité administrative chargée de réguler et de contrôler un marché particulier et disposant, à cette fin, d’un pouvoir de sanction disciplinaire susceptible de recours devant une juridiction spéciale de l'ordre judiciaire. Et de manière générale, le législateur comme le juge ont consacré, concernant les décisions de ces autorités de régulation, l’exercice d’un recours de plein contentieux à leur encontre : outre le rejet de la requête ou l'annulation de la décision, le juge saisi est autorisé à réformer la décision prise par l’autorité, c'est-à-dire à donner sa propre solution au litige.

Ce choix tant législatif que jurisprudentiel révèle l’influence de la jurisprudence de la CEDH d’après laquelle si de telles autorités, détentrices d’un pouvoir de sanction propre à la fonction juridictionnelle, peuvent ne pas respecter toutes les prescriptions de l'article 6, § 1er, Conv. EDH c’est à la condition essentielle que leurs décisions subissent le contrôle d'un organe de pleine juridiction.

La juridiction de recours choisie par le législateur interne doit alors, quant à elle, répondre à toutes les exigences posées par l'article 6 (CEDH 10 févr. 1983, Albert et Le compte c/ Belgique).

Cela étant, et en dépit de cette exigence, une divergence entre les deux ordres juridictionnels est, en droit interne, rapidement apparue.

Dans l'ordre judiciaire, l’AAI étant vue comme une véritable juridiction, l’exigence d’indépendance et d’impartialité est formellement consacrée. Ainsi, l'absence du nom des membres de l’autorité ayant infligé une sanction disciplinaire ou administrative constitue un vice rédhibitoire justifiant l'annulation de la sanction (V. not. Com. 23 juin 2004, COB c/ Sté Olitec).

Fondée sur l'article 6, § 1er, de la Conv. EDH, cette position est motivée par l'impossibilité dans laquelle se trouve la personne mise en cause de s'assurer de l'indépendance et de l'impartialité des membres l’ayant jugée, garantie minimale et pourtant essentielle des droits de la défense.

Cette voie n’a, en revanche, pas été empruntée par le Conseil d'État qui, dans des situations similaires, a considéré qu’une telle obligation ne doit peser que sur les juridictions au sens du droit interne, peu important que des autorités de ce type soient qualifiées de tribunaux au sens de l'article 6 (CE 23 mars 2004, Sté financière Hottinguer ;  CE 31 mars 2004, Sté Etna Finance). En ce sens, statuant en matière disciplinaire, le Conseil d'État a plusieurs fois décidé, avec l’aval de la Cour de Strasbourg (CEDH 26 sept. 1995, Diennet c/ France), que le renvoi devant la formation ayant initialement sanctionné est possible dès lors qu'il n'existe aucune autre autorité de renvoi susceptible de connaître de l'affaire (CE 29 oct. 1990, Diennet ; CE 5 juill. 2000, Mme R. ; CE 11 févr. 2005, Cne de Meudon).

Se démarquant de cette jurisprudence, la Cour sanctionne ici le fait qu’une juridiction disciplinaire statue, à l’occasion de l’exercice d’une voie de recours, sur un litige qu'elle a préalablement connu. En réitérant ainsi la position de l'ordre judiciaire, la Haute cour confirme l’extension de la notion de juridiction à des autorités qui, stricto sensu, ne devraient pas être ainsi qualifiées et, par voie de conséquence, celle de l’exigence d’un procès équitable à laquelle doivent se conformer les membres de ces organismes hybrides.

Civ. 1re, 10 sept. 2014, n°13-21.762

Références

■ CEDH 10 févr. 1983, Albert et Le compte c/ Belgique, n°7299/75; 7496/76, série A, n° 58.

 Com. 23 juin 2004, COB c/ Sté Olitec, n°02-17.936, Rev. sociétés 2005. 422, note J.-J. Daigre.

■ CE 23 mars 2004, Sté financière Hottinguer, n°260673, Bull. Joly Bourse et prod. fin. 2005. 248.

■ CE 31 mars 2004, Sté Etna Finance, n°243579, LPA 29 juill. 2005, p. 14.

■ CEDH 26 sept. 1995, Diennet c/ France, série A, n° 325.

■ CE 29 oct. 1990, Diennet, n°110332, Rec. CE 1990, p. 299.

■ CE 5 juill. 2000, Mme R., n° 189523.

 CE 11 févr. 2005, Cne de Meudonn° 258102.

■ Article 6  de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique,  lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend  pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

■ Article L. 321-18 du Code de commerce

« Il est institué une autorité de régulation dénommée " Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques ".

Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé :

1° D'enregistrer les déclarations des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4 ;

2° D'enregistrer les déclarations des ressortissants des Etats mentionnés à la section 2 ;

3° De sanctionner, dans les conditions prévues à l'article L. 321-22 les manquements aux lois, règlements et obligations professionnelles applicables aux opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4 et aux ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen exerçant à titre occasionnel l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques en France ;

4° De collaborer avec les autorités compétentes des autres Etats membres de l'Union européenne ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen afin de faciliter l'application de la directive 2005/36/ CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles ;

5° De vérifier le respect par les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques de leurs obligations prévues par le chapitre Ier du titre VI du livre V du code monétaire et financier en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en se faisant communiquer, dans des conditions fixées par décret pris en Conseil d'Etat, les documents relatifs au respect de ces obligations.

6° D'identifier les bonnes pratiques et de promouvoir la qualité des services, en lien avec les organisations professionnelles représentatives des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4 et avec les organisations professionnelles représentatives des experts ;

7° D'observer l'économie des enchères ;

8° D'élaborer, après avis des organisations professionnelles représentatives des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l'article L. 321-4, un recueil des obligations déontologiques de ces opérateurs, soumis à l'approbation du garde des sceaux, ministre de la justice, et rendu public.

Les manquements aux obligations déontologiques mentionnées au 8°, lorsqu'ils sont commis de manière générale par les opérateurs de ventes volontaires, font l'objet d'un avis du conseil des ventes volontaires rappelant ces obligations.

Le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques peut également formuler des propositions de modifications législatives et réglementaires au sujet de l'activité de ventes volontaires aux enchères publiques. »

 

Auteur :M. H.


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