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[ 17 novembre 2009 ] Imprimer

Droit international privé

Nouveau Code marocain de la famille et ordre public international

Mots-clefs : Divorce, Droit marocain de la famille, Ordre public international, Répudiation, Prestation compensatoire, Égalité entre les hommes et les femmes

Par deux arrêts du 4 novembre 2009, la première chambre civile confronte certaines dispositions du nouveau Code marocain de la famille en matière de divorce à l'ordre public international.

Dans la première affaire (n° 08-20.574), la Cour de cassation estime que le jugement marocain de divorce de deux époux marocains domiciliés en France, rendu en application des dispositions du nouveau Code marocain de la famille relatives au « divorce sous contrôle judiciaire » est contraire au principe d'égalité des époux énoncé par l'article 5 du Protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme et donc à l'ordre public international.

En l'espèce, Mme E., de nationalité marocaine, mariée à l'un de ses compatriotes et domiciliée en France, déposa en France une requête en divorce. Son époux invoqua alors un jugement de divorce rendu par un tribunal marocain qui constatait une répudiation unilatérale de l'épouse. La cour d'appel, par arrêt infirmatif, déclara recevable la requête en divorce présentée au juge français. Répondant au pourvoi du mari qui reprochait notamment aux juges du fond d'avoir apprécié in abstracto la situation réservée à l'épouse par le droit marocain, la Cour de cassation énonce que « la décision d'une juridiction étrangère constatant une répudiation unilatérale par le mari sans donner d'effet juridique à l'opposition éventuelle de la femme et privant l'autorité compétente de tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette rupture du lien matrimonial, est contraire au principe d'égalité des époux lors de la dissolution du mariage énoncé par l'article 5 du protocole du 22 novembre 1984 n° VII, additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de sa juridiction, et donc à l'ordre public international ».

Cette décision s'inscrit dans la lignée des arrêts de 2004 qui affirmèrent la contrariété au principe d'égalité des époux et à l'ordre public international de la répudiation unilatérale et discrétionnaire par le mari de son épouse dès lors que la femme répudiée était domiciliée sur le territoire français (Civ. 1re, 17 févr. 2004). Son intérêt est qu'elle est ici rendue en application du nouveau Code marocain de la famille. Promulgué le 3 février 2004, celui-ci a conservé le talaq (« divorce sous contrôle judiciaire »), qui permet au mari de mettre fin au mariage par sa seule volonté. L'exercice de ce droit est conditionné par l'obtention d'une autorisation du tribunal, destinée à permettre à la femme d'être entendue et de garantir ses droits ainsi que ceux des enfants, l'autorisation de dresser l'acte n'étant délivrée qu'après dépôt au secrétariat-greffe par le mari d'une somme, fixée par le tribunal, couvrant les droits de l'épouse. La Cour de cassation estime ces garanties insuffisantes : elles méconnaissent le principe d'égalité des époux et sont donc contraires à l'ordre public international.

■ ■ ■

Dans la seconde affaire (n° 08-20.355), la Haute Cour se montre moins hostile à l'égard des dispositions du droit marocain de la famille relatives à l'allocation d'une somme à l'épouse après divorce. Elle estime que la cour d'appel qui, statuant sur les conséquences financières du divorce d'époux marocains, écarte la loi marocaine sans analyser les termes du nouveau Code marocain de la famille, ne donne pas de base légale à sa décision.

En l'espèce, le juge français avait prononcé, en application de la loi marocaine, le divorce de deux époux marocains. Répondant au premier moyen présenté par le mari qui dénonçait la méconnaissance de l'exigence marocaine d'une double tentative de conciliation, la Cour de cassation se contente d'indiquer, conformément au principe d'application de la loi du for, que « la juridiction française étant compétente, les règles de procédure françaises étaient applicables ».

Sur le second moyen, qui contestait la fixation d'une prestation compensatoire en application du droit français, elle censure la cour d'appel pour avoir statué « sans analyser les termes du nouveau code marocain désigné par l'article 8 de la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 relative à la loi applicable en matière d'obligation alimentaire en l'absence de dispositions particulières de la convention franco-marocaine du 10 août 1981 » (v. contra, Civ. 1re, 28 nov. 2006). A minima, cela signifie que l'éventuelle contrariété du nouveau droit marocain en la matière nécessite l'examen de celui-ci. Plus largement, le juge pourrait considérer que la nouvelle loi (qui prévoit l'allocation d'une indemnité à la femme divorcée) est désormais conforme à l'ordre public français en matière internationale.

Civ. 1re, 4 nov. 2009 (n° 08-20.574 ; n° 08-20.355)

Références

Article 5 du Protocole n° 7 additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme – Égalité entre époux

« Les époux jouissent de l'égalité de droits et de responsabilités de caractère civil entre eux et dans leurs relations avec leurs enfants au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. Le présent article n'empêche pas les États de prendre les mesures nécessaires dans l'intérêt des enfants. »

Lex fori

« Loi du for, c’est-à-dire du tribunal saisi. »

Ordre public international

« Ensemble de principes jugés tellement fondamentaux dans l’opinion française qu’ils y sont regardés comme totalement indérogeables, en sorte notamment qu’une loi étrangère dont l’application conduirait à un résultat qui leur soit contraire doit être écartée par le jeu de l’exception d’ordre public international. »

Source : S. Clavel, Droit international privé, 1re éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2008.

Civ. 1re, 17 févr. 2004, GADIP, 5e éd., n° 64 ; D. 2004. 824, concl. Cavarroc ; ibid. Chron. 815, par Courbe ; D. 2005. Pan. 1192 s., obs. Chanteloup ; RTD civ. 2004. 367, obs. Marguénaud ; Rev. crit. DIP 2004. 423 note Hammje ; JCP 2004. II. 10128, note Fulchiron ; Defrénois 2004. 812, note Massip ; Gaz. Pal. 2004. 567, note Niboyet.

Civ. 1re, 28 nov. 2006, D. 2007. Jur. 280, note Devers.

■ M.-C. Foblets et M. Loukili, « Mariage et divorces dans le nouveau Code marocain de la famille : quelles implications pour les marocains en Europe ? », Rev. crit. DIP 2006. 521.

 

Auteur :S. L.


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