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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Nouvelle définition de la voie de fait par la Cour de cassation
Mots-clefs : Administratif ; Voie de fait, Définition, Juge administratif, Juge judiciaire, Répartition des compétences, Renouvellement, Civil, Bien, Propriété, Extinction, Atteinte
La Cour de cassation confirme l'exclusion du champ de la théorie de la voie de fait des implantations irrégulières d'ouvrages publics, ce qui a pour effet d’affaiblir la compétence du juge judiciaire qui lui avait été reconnue pour la défense du droit de propriété contre les agissements de l’administration.
Visant à protéger le justiciable, la voie de fait, visant l’irrégularité manifeste commise par l’administration dans l’accomplissement d’une opération matérielle d’exécution et portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique, a révélé, par le biais de ses définitions successives, tantôt extensives, tantôt restrictives (O. Renard-Payen, note ss. Civ. 1re., 14 nov. 2012) une certaine fragilité dans sa théorisation.
La décision ici rapportée invite à conclure à un rétrécissement manifeste du champ d'application de la notion de voie de fait, qu’augurait la décision, très remarquée, du Tribunal des conflits, qui affirmait, dans des termes identiques à ceux ici employés par la Cour de cassation, « qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative » (T. confl., 17 juin 2013). Excluant les implantations irrégulières d'ouvrages publics du champ d'application de la voie de fait, le tribunal réduisait dans le même temps le domaine de compétence du juge judiciaire tel qu’il avait défini par son arrêt du 6 mai 2002 (T. confl., 6 mai 2002), reconnaissant au juge judiciaire le pouvoir d'ordonner la démolition d'un ouvrage public, dont l'implantation est constitutive d'une voie de fait.
En l’espèce, le litige, quasiment identique à celui porté en 2013 devant le Tribunal des conflits, était né de l’implantation par la société RTE de pylônes sur une propriété privée sans avoir obtenu l’accord du propriétaire. Cette immixtion dans sa propriété privée avait conduit le propriétaire de la parcelle litigieuse, arguant d’une voie de fait, à s’adresser au juge judiciaire.
En reprenant in extenso la formule employée en 2013, la troisième chambre civile confirme la dissociation qu’avait opéré le juge des conflits de l'implantation irrégulière d'ouvrages publics de la notion de voie de fait, celle-ci étant vue comme une exception, ne pouvant exister « que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ».
Le rappel de cette double exigence conduit à considérer que « l'implantation, même sans titre, d'un ouvrage public sur le terrain d'une personne privée ne procède pas d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir dont dispose l'administration ». L'éventuelle exécution, sans titre, de travaux sur une propriété privée ne pourra plus être considérée comme une voie de fait. Une atteinte au droit de propriété n’est désormais constitutive d’une voie de fait qu’à la condition d’emporter extinction de ce droit, ce qu’en l’espèce, la création d’une servitude au bénéfice de la société RTE et le versement d’une juste indemnisation en contrepartie de cette charge empêchaient de caractériser (V. T. confl., 18 mars 2013 ). L'implantation irrégulière d'ouvrages publics relevant ainsi nécessairement d’un pouvoir reconnu à l'administration ne pouvant aboutir, à elle seule, à l'extinction du droit de propriété, la Cour soustrait de tels agissements de l'administration au champ de la voie de fait pour les réintégrer dans la catégorie des illégalités que l'action administrative de droit commun est en droit de porter au droit de propriété privée : servant de support à des activités de service public, les ouvrages public relèvent nécessairement des attributions des personnes publiques en sorte que leur implantation procède du pouvoir légitime dont disposent ces personnes publiques. En cessant d'être constitutive d'une voie de fait, l'implantation irrégulière d'un ouvrage public réintègre le règlement des litiges qui en résultent dans le contentieux administratif de droit commun. La compétence judiciaire se cantonne donc à l'hypothèse d'une dépossession définitive d'une propriété immobilière, seule à même d’emporter « l’extinction » du droit de propriété, le juge administratif devenant seul compétent pour réparer les dommages causés par les dépossessions temporaires, alors que le contentieux des ouvrages publics mal implantés se partageait jadis entre les deux ordres de juridictions, selon qu’il s’apparentait à une voie de fait ou à une emprise irrégulière, ce que d’aucuns regrettent pour la défense de certains droits ou libertés, dont le droit de propriété, dont la protection était supposée mieux assurée par le juge judiciaire (B. Seiller. Sur l’ensemble de la question, V. S. Traoré).
Civ. 3e, 11 mars 2015, n° 13-24.133
Références
■ Civ. 1re , 14 nov. 2012, n° 11-24.234.
■ T. confl., 17 juin 2013, n° 3911.
■.T. confl., 6 mai 2002, n° 3287.
■ T. confl., 18 mars 2013 ; n° 3897, AJDA 2013. 658.
■ O. Renard-Payen, Contrôle par la Cour de cassation de la gravité de l'atteinte portée à un droit de propriété par l'administration, constitutive de voie de fait, JCP Adm. 18 févr. 2013, n° 8.
■ B. Seiller, La voie de fait, en voie de disparition de fait ?; RJEP 2013, comm. 38.
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