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Droit de la famille
Nouvelles précisions sur la notion de contribution aux charges du mariage
Mots-clefs : Civil, Famille, Mariage, Effets, Devoirs pécuniaires, Devoir de contribution, Charges du mariage, Investissement locatif (non)
L’investissement locatif financé par un seul des époux ne peut être considéré comme une charge du mariage à laquelle s’appliquerait l’article 214 du Code civil.
Un époux avait financé, seul, l’achat d’un appartement indivis avec son épouse destiné à la location et à l’effet de compenser la situation, qu’il avait voulue, de mère au foyer de cette dernière. Lors des opérations de liquidation et de partage consécutives à leur divorce, les juges du fond dirent que cet investissement locatif avait constitué, non une donation indirecte révocable, mais un acte rémunératoire et indemnitaire au profit de l’épouse. Cette solution se justifie au motif que les charges du mariage, distinctes par leur fondement et leur but d'une obligation alimentaire, ne comportent pas uniquement le logement et la nourriture des époux mais également ce qui contribue à l'entretien et l'éducation des enfants et à l'organisation d'une épargne permettant aux époux de continuer leur existence après la cessation de leur capacité d'activité rémunératrice et, plus généralement, à protéger la famille. L'achat à cette fin d'un bien immobilier non destiné au logement de la famille, peut donc entrer dans la notion de contribution aux charges du mariage. Au visa de l'article 214 du Code civil, la décision est cassée au motif que le financement, par un époux, d'un investissement locatif destiné à constituer une épargne, ne relève pas de la contribution aux charges du mariage.
Parmi les devoirs pécuniaires que le Code civil impose aux personnes mariées figure, à côté du devoir de secours, celui de contribuer aux charges du mariage. Ce devoir de contribution implique que chaque époux soit tenu d’assumer une partie des charges découlant de la vie conjugale et familiale, même si celles-ci n’ont pas à être strictement partagées par moitié, chacun des époux étant seulement tenu d’y contribuer à proportion de ses facultés respectives. Pour apprécier l’exacte portée de ce devoir, encore convient-il de circonscrire la notion de « charges du mariage ».
Si elle englobe naturellement le coût causé par les tâches ménagères, par le temps consacré à l’éducation des enfants et les frais exposés pour la satisfaction des besoins indispensables comme le logement, la nourriture, les vêtements ou la scolarité des enfants, la notion dépasse ce strict nécessaire pour s’étendre au superflu : « les charges du mariage comprennent toutes les dépenses qui permettent aux époux de vivre suivant leur rang social, même les dépenses qui (…) (ne) contribuent (qu’à leur) bien-être (…), telles que les frais d’aménagement de l’habitation, gages des domestiques, frais de voyage et de villégiature, etc. » (Paris, 17 nov. 1966). Aussi bien la Cour de cassation elle-même avait-elle déjà utilisé la motivation de la solution rapportée pour affirmer que « (la) contribution aux charges (…), distincte, par son fondement et par son but, de l’obligation alimentaire, peut (ainsi) inclure des dépenses (…) ayant pour objet l’agrément et les loisirs du ménage » (Civ. 1re, 18 déc. 2013, n° 12-17.420 ; Civ. 1re, 20 mai 1981, n° 79-17.171). En outre, contrairement à ce que pourrait laisser entendre la décision rapportée, le domaine d’application de l’article 214 du Code civil ne se limite pas aux frais courants ; il est susceptible de s’étendre à de véritables investissements. Ainsi, lorsque des époux acquièrent un immeuble, les tribunaux considèrent généralement que le remboursement de l’emprunt souscrit pour financer l’opération relève des charges du mariage, qu’il s’agisse d’acheter le logement de la famille (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 05-15.980 ; Civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-26.933 ; Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892) ou même une résidence secondaire (Civ. 1re, 18 déc. 2013, préc. ; Civ. 1re, 20 mai 1981, préc.). La souplesse de l’approche de la notion de contribution aux charges a toutefois des limites. Le principe demeure que la contribution aux charges du mariage ayant pour objet les dépenses relatives au train de vie quotidien des époux, ne peut entrer dans le champ de la contribution aux charges du mariage le financement par un seul des époux d'une acquisition immobilière constituant un investissement locatif, même réalisé au profit de l’épouse. La solution aurait sans doute été différente si l'acquisition immobilière avait été financée par un emprunt commun et non par un apport en capital d’un seul des époux.
Civ.1re, 5 oct. 2016, n° 15-25.944
Références
■ Paris, 17 nov. 1966.
■ Civ. 1re, 18 déc. 2013, n° 12-17.420 P, D. 2014. 527, note F. Viney ; ibid. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2014. 129, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2014. 698, obs. B. Vareille ; ibid. 704, obs. B. Vareille.
■ Civ. 1re, 20 mai 1981, n° 79-17.171 P.
■ Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 05-15.980 P, AJ fam. 2006. 293, obs. P. Hilt.
■ Civ. 1re, 15 mai 2013, n° 11-26.933 P, D. 2013. 1208 ; ibid. 2242, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 383, obs. S. Blanc-Pelissier ; RTD civ. 2013. 582, obs. J. Hauser ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille.
■ Civ. 1re, 25 sept. 2013, n° 12-21.892 P, D. 2013. 2682, note A. Molière ; ibid. 2014. 1342, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; ibid. 1905, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2013. 647, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2013. 821, obs. J. Hauser ; ibid. 2014. 698, obs. B. Vareille ; ibid. 703, obs. B. Vareille.
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