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[ 30 janvier 2023 ] Imprimer

Procédure pénale

Nullité de la mesure de géolocalisation : qualité à agir du tiers et lieux d’installation du dispositif

Le requérant qui n'est ni propriétaire ni occupant du lieu à l'égard duquel il est prétendu que la pose d'un matériel de géolocalisation nécessitait l'autorisation prévue par l'article 230-34 du Code de procédure pénale, n’a pas qualité pour agir en nullité. En outre, doit être considérée comme un lieu privé au sens de l’article 230-34 du Code de procédure pénale l'enceinte d'un ensemble immobilier en copropriété, dont l'accès est fermé par une barrière et interdit au public.

Crim. 11 janv. 2023, n° 22-81.750

Sur fond de trafic de stupéfiants et de guerre de territoire, un individu est tué par deux personnes qui circulaient sur un véhicule deux-roues. Dans le cadre de l’enquête, l'exploitation des enregistrements de vidéosurveillance a révélé que les auteurs étaient accompagnés par un véhicule automobile, propriété de M. [S]. Par ailleurs, des renseignements relatifs au fait que la victime, notamment, avait profité de l'incarcération de M. [O] et de son frère pour s'emparer d'un point de vente de stupéfiants sont parvenus aux enquêteurs. Lors de l’enquête de police, un dispositif de géolocalisation est mis en place sur le véhicule appartenant à M. [S]. Mis en examen avec trois autres personnes, les deux individus ont, sans succès, demandé l’annulation de la mesure de géolocalisation. Un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction, en date du 15 janvier 2018 a été formé, dont l'examen immédiat a été refusé par une ordonnance du président de la chambre criminelle.

Finalement, par arrêt du 14 novembre 2019, la chambre de l'instruction a ordonné d’une part, la mise en accusation et le renvoi devant la cour d'assises de M. [S] pour assassinat et d’autre part, la disjonction des poursuites et le renvoi de l’ensemble des personnes mises en examen devant le tribunal correctionnel à l'égard de tous les délits pour lesquels le juge d'instruction avait ordonné le renvoi. Les condamnations prononcées en première instance furent confirmées en appel. La cour d'appel, en janvier 2022, condamna pour association de malfaiteurs, M. [S], à onze ans d'emprisonnement, 15 000 euros d'amende, M. [O], à quatorze ans d'emprisonnement, 20 000 euros d'amende, et les autres prévenus à des peines de neuf ans, quatorze ans et à douze ans d'emprisonnement, 8 000 euros d'amende. Les juges d’appel ont par ailleurs condamné l'ensemble des prévenus à cinq ans d'interdiction de détenir ou porter une arme soumise à autorisation, cinq ans d'interdiction de séjour et ordonné une mesure de confiscation. Tous ont formé un pourvoi en cassation.

Le présent arrêt rendu par la chambre criminelle porte sur l'arrêt de la chambre de l'instruction de 2018 relatif aux demandes en annulation de la mise en place du dispositif de géolocalisation sur le véhicule appartenant à M. [S] en alléguant que la mesure avait été effectuée sans l'autorisation judiciaire prévue par la loi.

Dans son pourvoi, M. [O] reproche à la chambre de l'instruction d’avoir déclaré sa demande irrecevable pour défaut de qualité à agir. La qualité à agir du tiers à un acte de procédure irrégulier alimente la jurisprudence depuis plusieurs années et a connu de nombreux soubresauts (H. Matsopoulou, « Revirements de jurisprudence en matière de nullités : extension de la qualité pour agir et restriction de l'existence d'un grief », JCP 2021. 2018 ; J.-B. Perrier, « Le contentieux des nullités en procédure pénale : aspects théoriques », in Lexbase Pén., 2018, n° 5). Initialement, la chambre criminelle réservait l'action en nullité à la personne que l'irrégularité concerne.

À titre d’exemple des demandeurs furent réputés sans qualité pour se prévaloir de la nullité éventuelle d’écoutes téléphoniques réalisées « sur une ligne attribuée à un tiers » (Crim. 27 sept. 1993, n° 93-83.141 ; v. égal. 10 mars 1993, n° 91-80.936 ; 14 nov. 2001, n° 01-85.965). À la suite des condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, dans les arrêts Lambert du 24 août 1998 (CEDH 24 nov. 1998, Lambert c/ France, n° 23618/94) et Matheron du 29 mars 2005 (n° 57752/00), la chambre criminelle modifia sa position, acceptant que « tout acte figurant dans une procédure, quelle qu'en soit l'origine, peut faire l'objet d'une requête en nullité » et que « toute personne a qualité pour agir dès lors que l'acte contesté porte atteinte à ses intérêts » (R. Filniez, « L'arrêt Matheron de la Cour européenne des droits de l'homme et ses suites », RSC 2007. 333 ; ex : Crim. 15 janv. 2003, n° 02-87.341). La Cour admet également que le demandeur à la nullité est recevable à proposer des moyens tirés de l'irrégularité d'actes accomplis dans une autre procédure à laquelle il n'était pas partie et qui ont été versés à la procédure suivie contre lui lorsqu'il fait valoir que les pièces versées sont susceptibles d'avoir été illégalement recueillies (Crim. 16 févr. 2011, n° 10-82.865). Finalement, la chambre criminelle est revenue, par deux arrêts du 14 février 2012 (Crim. 14 févr. 2012, nos 11-87.757 et 11-84.694) à une jurisprudence plus restrictive, réservant l'action en nullité à « la seule personne qui justifie d'un droit ou d'un titre sur les lieux ou biens » (v. par ex. Crim. 23 janv. 2013, n° 12-85.059 ; 14 oct. 2015, n° 15-81.765 ; 12 juill. 2016, n° 16-81.198 ; 20 déc. 2017, n° 17-82.345 ; 20 juin 2018, n° 17-86.657). 

C'est ce que rappelle la présente décision : pour déclarer irrecevable la demande nullité tirée de l'irrégularité de la mise en place d'un dispositif de géolocalisation, la chambre de l’instruction avait retenu que le requérant ne pouvait se prévaloir d'un quelconque droit ni sur tout ou partie de l’immeuble d'habitation ou de ses dépendances dans lequel il a été nécessaire de s'introduire pour poser le dispositif ni sur le véhicule géolocalisé. Dès lors, elle en concluait que ce dernier n'avait pas qualité pour se prévaloir de droits qui appartiennent en propre à d'autres personnes. La Cour de cassation approuve le raisonnement, rappelant que pour déterminer la qualité du demandeur à agir en nullité, les juges doivent rechercher si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité, dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui est propre au demandeur. « Tel n'est pas le cas du requérant qui n'est ni propriétaire ni occupant du lieu à l'égard duquel il est prétendu que la pose d'un matériel de géolocalisation nécessitait l'autorisation prévue par l'article 230-34 du code de procédure pénale, autorisation qui a pour seul objet de préserver, à l'occasion d'une telle opération, l'intimité de la vie privée dudit propriétaire ou occupant ». Faute d'être titulaire de droits propres sur le véhicule concerné ou sur le lieu où il était stationné, le mis en examen est déclaré irrecevable à agir en nullité. La Cour en avait déjà posé le principe, retenant en 2016 qu’un mis en examen, qui ne peut se prévaloir d'aucun droit sur le bien géolocalisé et qui n'a pas été lui-même géolocalisé, est irrecevable à invoquer une irrégularité affectant cette mesure, dès lors qu'il n'établit pas qu'à cette occasion il aurait été porté atteinte à un autre intérêt qui lui serait propre (Crim. 23 nov. 2016, n° 16-81.904).

De son côté, le propriétaire du véhicule fait grief à la chambre de l'instruction d’avoir rejeté sa demande et déclaré régulière la mesure de géolocalisation alors que les enquêteurs s’étaient introduits, sans l'autorisation écrite du procureur de la République, dans la résidence au sein de laquelle il demeure afin de mettre en place la balise permettant la géolocalisation de son véhicule, qui y était stationné. Pour conclure à la régularité, les juges d’appel avaient cru bon de retenir « qu'il n'était pas établi que les enquêteurs se seraient introduits dans un lieu privé destiné ou utilisé à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel » au sens de l'alinéa 1er de l'article 230-34 du Code de procédure pénale.

La loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation (mod. par la L. n° 2019-222 du 23 mars 2019) fixe le cadre légal d’une telle opération destinée à permettre la manifestation de la vérité. Elle établit les infractions permettant de recourir à la géolocalisation et définit les autorités compétentes pour autoriser une telle opération ainsi que sa durée. Le pouvoir de décider de la mise en place d’une telle mesure est en principe confié au procureur de la République ou au juge d’instruction. Mais les règles diffèrent selon le type de lieux dans lesquels cette opération peut intervenir afin de « concilier les exigences de la recherche de la vérité avec l'impératif du respect de la vie privée » (J. Pradel, D. 2017. 1676). Lorsqu'elle implique l'introduction dans un lieu privé destiné ou utilisé à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel, ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, la pose ou le retrait d'un matériel destiné à la localisation en temps réel, à l'insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l'occupant des lieux ou du véhicule ou de toute personne titulaire d'un droit sur ceux-ci, fait l'objet d'une décision du juge d'instruction ou du procureur de la République. La mise en place de la mesure implique une décision écrite préalable comportant l'énoncé des circonstances de fait établissant la nécessité d'un tel acte (C. pr. pén., art. 230-34 , al. 1er). Dans tout autre lieu privé, cette introduction ne peut intervenir que dans les cas de recherche des causes de la mort, de disparition ou de personne en fuite ou lorsque l'enquête est relative à un crime ou à un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Enfin, s'il s'agit d'un lieu d'habitation, cette autorisation est délivrée par décision écrite du juge des libertés et de la détention saisi à cette fin le procureur ou le juge d'instruction (C. pr. pén., art. 230-34 , al. 2). Le contentieux se nourrit de ces différences de lieux visés. Ainsi a-t-il été jugé que ni le parking de l'hôtel où a été posée la balise de géolocalisation (Crim. 23 mai 2017, n° 16-87.323), ni les espaces de circulation, pas plus que les emplacements de stationnement ou les boxes fermés du parking souterrain d'un immeuble collectif d'habitation (Crim. 18 juin 2019, n° 18-86.421) ne constituent une habitation au sens de l'article 230-34 du Code de procédure pénale.

En l’espèce, au visa de l’article 230-34 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation admet que « Doit être considéré comme un lieu privé au sens de ce texte tout lieu clos dont l'accès dépend du consentement de celui qui l'occupe, et n'est dès lors pas ouvert au public. » Elle s’abrite pour retenir cette définition derrière les travaux parlementaires préparatoires à l'adoption de la loi du 28 mars 2014 (préc.) admettant « que le législateur a voulu soumettre l'intrusion dans tout véhicule ou tout lieu privé à l'autorisation d'un magistrat. En instituant une gradation entre lieux privés selon leur usage, il n'en a pas exclu certains du champ d'application du texte précité, dont l'objet est la protection de la vie privée ». Cette affirmation n’est pas sans rappeler que la chambre criminelle, bien avant que cette mesure ne fasse l’objet d’un encadrement juridique, décidait déjà qu’en vertu de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, la technique dite de « géolocalisation » constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge (Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.945 et Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.949).

En conséquence, la chambre criminelle admet que les enquêteurs qui ont procédé, sans autorisation écrite, à la pose de la balise de géolocalisation dans l'enceinte d'un ensemble immobilier en copropriété, dont l'accès était fermé par une barrière et interdit au public, se sont bien introduits dans un lieu privé. La cassation est, dès lors, prononcée.

Elle en précise la portée concernant le requérant. La cassation de l'arrêt de la chambre de l'instruction du 15 janvier 2018 est étendue par voie de conséquence, aux dispositions de l'arrêt de condamnation prononcé à son encontre. Dans la mesure où l’arrêt de la chambre de l'instruction ordonnant le renvoi devant le tribunal correctionnel est définitif, la juridiction d'instruction est dessaisie. Il appartiendra donc à la chambre des appels correctionnels de statuer tant sur le moyen de nullité qui avait été proposé devant la chambre de l'instruction que sur le fond.

Références :

■ Crim. 27 sept. 1993, n° 93-83.141

■ Crim. 10 mars 1993, n° 91-80.936 P

■ Crim. 14 nov. 2001, n° 01-85.965 P

■ CEDH 24 nov. 1998, Lambert c/ France, n° 23618/94 : D. 1999. 271, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1998. 829, obs. L.-E. Pettiti ; ibid. 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin ; RTD civ. 1998. 994, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH 29 mars 2005, Matheron c/ France, n° 57752/00 D. 2005. 1755, note J. Pradel ; RSC 2006. 662, chron. F. Massias ; ibid. 2007. 333, étude R. Filniez.

■ Crim. 15 janv. 2003, n° 02-87.341 P : D. 2003. 604, et les obs.

■ Crim. 16 févr. 2011, n° 10-82.865 P : D. 2011. 953.

■ Crim. 14 févr. 2012, nos 11-87.757 P et 11-84.694 P : D. 2012. 612 ; RSC 2012. 394, obs. D. Boccon-Gibod.

■ Crim. 23 janv. 2013, n° 12-85.059 P : D. 2013. 1045, note T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 227, obs. J. Pronier.

■ Crim. 14 oct. 2015, n° 15-81.765 P

■ Crim. 12 juill. 2016, n° 16-81.198

■ Crim. 20 déc. 2017, n° 17-82.345

■ Crim. 20 juin 2018, n° 17-86.657 P : AJ pénal 2018. 474, obs. É. Clément ; RSC 2018. 725, obs. P.-J. Delage.

■ Crim. 23 nov. 2016, n° 16-81.904 P : D. 2016. 2402 ; ibid. 2017. 245, chron. G. Guého, L. Ascensi, E. Pichon, B. Laurent et G. Barbier ; AJ pénal 2017. 76, note J.-B. Thierry.

■ Crim. 23 mai 2017, n° 16-87.323 P : D. 2017. 1676, obs. J. Pradel.

■ Crim. 18 juin 2019, n° 18-86.421 P : D. actu. 9 juill. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 1341 ; ibid. 1568, chron. L. Ascensi, A.-L. Méano, C. Carbonaro et A.-S. de Lamarzelle.

■ Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.945 P : D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi ; D. avocats 2014. 24, obs. J. Danet.

■ Crim. 22 oct. 2013, n° 13-81.949 P : D. 2014. 115, note H. Matsopoulou ; ibid. 311, chron. B. Laurent, C. Roth, G. Barbier et P. Labrousse ; AJ pénal 2013. 668, note L. Ascensi.

 

Auteur :Caroline Lacroix

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