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Droit des sûretés et de la publicité foncière
Nullité de la sûreté consentie par une société en contrariété avec son intérêt social
N’est pas valide la sûreté réelle accordée par une société civile immobilière en garantie de la dette d’un tiers comme pouvant compromettre l’existence même de la société, contrairement à son intérêt social.
Civ. 3e, 13 avr. 2023, n° 21-24.196
Par acte authentique, une société civile immobilière s’était engagée en qualité de caution, par affectation hypothécaire du bien immobilier lui appartenant, en garantie du remboursement d'un prêt d'un montant de 150 000 euros souscrit par une société tierce. Après le placement de cette dernière en liquidation judiciaire, la banque avait fait délivrer à la SCI un commandement de payer valant saisie immobilière du bien hypothéqué, puis publié ce commandement au service de la publicité foncière. Se prévalant d'une créance de 89 799,10 euros au titre du cautionnement de la société débitrice, la banque avait ensuite assigné la SCI devant le juge de l'exécution pour voir ordonner la vente aux enchères du bien hypothéqué.
La cour d’appel prononça toutefois la nullité du cautionnement hypothécaire en raison de sa contrariété à l’intérêt social de la SCI, en ce qu’il était de nature à compromettre son existence car en le souscrivant, cette société avait engagé le seul bien qu’elle détenait, sans aucune contrepartie. Devant la Cour de cassation, la banque argua, d’une part, que la conformité à l’intérêt social n’est pas une condition de validité des contrats conclus par une société civile avec un tiers et, d’autre part, qu'une sûreté réelle consentie par une société civile en garantie de la dette d'un tiers n'est pas contraire à l'intérêt social si sa réalisation n'a pas pour effet de faire disparaître le patrimoine social, et de compromettre l'existence de la société. Or tel était bien le cas de l’espèce dans la mesure où le montant de la dette garantie, inférieur à la valeur de l’immeuble donné en garantie, ne faisait pas peser sur la SCI un risque de perte de la totalité du bien en valeur d’actif, la société ayant ainsi gardé la possibilité de réinvestir le reliquat lui revenant après la vente.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de la banque. Elle retient que la cour d’appel a énoncé à bon droit, que, pour être valide, la sûreté accordée par une société en garantie de la dette d'un tiers doit être conforme à son objet social ou résulter d'une communauté d'intérêt avec la personne cautionnée ou avoir été adoptée par une décision unanime des associés, et doit en outre être conforme à l'intérêt social, impliquant que le risque pour elle soit proportionné au bénéfice qu'elle peut escompter de l'opération garantie.
Or en l’espèce, si l'ensemble des associés de la SCI avaient bien approuvé le cautionnement litigieux, la société avait engagé à titre de sûreté hypothécaire son seul bien sans aucune contrepartie attendue de l'opération financée. En outre, si le cautionnement avait été limité à une somme inférieure à la valeur du bien hypothéqué, la sûreté consentie appréhendait le bien en son ensemble et faisait peser un risque de perte de la totalité de ce bien en cas de réalisation de la garantie.
Par conséquent, la cour d’appel a pu déduire qu'en consentant la sûreté litigieuse, la SCI avait conclu un acte contraire à son intérêt social de nature à compromettre son existence.
En application du droit commun (C. civ., art. 1833, 1849), la solution rapportée vient rappeler qu’une sûreté est susceptible d’être annulée si elle n’est pas conforme à l'intérêt social. Malgré les incertitudes qui entourent cette notion, la jurisprudence fait dépendre la validité des sûretés consenties par une société du respect de son « intérêt social ». Elle a notamment érigé, à ce titre, la règle selon laquelle le consentement unanime des associés ne suffit pas, à lui seul, à établir la conformité de la sûreté donnée à l’intérêt social. Ainsi un cautionnement, même accordé à l’unanimité des associés, n’est pas valide s’il est, par ailleurs, contraire à l’intérêt social (Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 11-17.948). De même, le prêt contracté par une société civile pour faire face à la sûreté qu’elle avait consentie au profit d’une société tierce est nul dans la mesure où il est étranger à son objet social, peu important que ce prêt ait recueilli le consentement unanime des associés (même arrêt). Plus encore, n’est pas valide la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé, même dans le cadre de son objet social, si elle se révèle contraire à son intérêt social, comme pouvant compromettre l’existence même de la société (Com. 23 sept. 2014, n° 13-17.347).
Ainsi la troisième chambre civile rappelle-t-elle ici la nécessité de réunir ces trois exigences, à propos de la sûreté réelle pour autrui consentie par la SCI : indépendamment du consentement unanime des associés et au-delà même de sa conformité à l’objet social, le cautionnement hypothécaire se trouvait également soumis à l’exigence de respect de l’intérêt social. En l’espèce, la méconnaissance de cette exigence était caractérisée par le risque de disparition de la société. Même limité dans son montant, le cautionnement réel consenti sur le seul bien détenu par la société, sans aucune contrepartie escomptée de l’opération garantie, était de nature à compromettre l’existence même de la société. Autrement dit, la disproportion manifeste entre le risque et le bénéfice résultant de l’opération garantie établissait la contrariété à l’intérêt social. La nullité de la sûreté devait donc être prononcée.
Le rappel sera utile aux établissements bancaires quant aux risques d’annulation d’une sûreté consentie, au mépris de son intérêt, par une société garante. Il est notamment dans leur intérêt de créanciers de vérifier, dans le cas de l’espèce d’une société civile immobilière, que le bien proposé en garantie, même avec l’accord unanime des associés, ne soit pas le seul détenu par la société garante.
Références :
■ Civ. 3e, 12 sept. 2012, n° 11-17.948 P : D. 2012. 2166, obs. A. Lienhard ; ibid. 2013. 1706, obs. P. Crocq ; ibid. 2729, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2013. 16, note A. Viandier ; RTD civ. 2012. 754, obs. P. Crocq.
■ Com. 23 sept. 2014, n° 13-17.347 P : D. 2015. 140, et les obs., note D. Robine ; ibid. 996, chron. J. Lecaroz, F. Arbellot, S. Tréard et T. Gauthier ; ibid. 2401, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; AJDI 2015. 217, obs. S. Porcheron ; Rev. sociétés 2014. 714, note A. Viandier ; RTD com. 2015. 123, obs. M.-H. Monsèrié-Bon.
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