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Procédure pénale
Nullité de l’interrogatoire de première comparution intervenant dans des conditions incompatibles avec l’état de santé
Mots-clefs : Interrogatoire, Garde à vue, État de santé, Compatibilité, Mise en examen, Juge d’instruction
Porte nécessairement atteinte aux intérêts d’une personne mise en examen, le fait que le juge d’instruction procède à un interrogatoire de première comparution dans des conditions incompatibles avec l’état de santé de la personne mise en cause, peu important qu’elle n’ait, à cette occasion, pas fait de déclarations par lesquelles elle se serait incriminée.
L'article 63-3 du Code de procédure pénale consacre le rôle important pour le médecin pendant la garde à vue qui doit se prononcer sur l'aptitude au maintien de la mesure et procéder à toutes constatations utiles. La Cour de cassation considère en conséquence que le maintien en garde à vue d'une personne, malgré les constatations du médecin sur son état de santé incompatible avec la mesure, porte nécessairement atteinte aux intérêts de cette personne et entraîne donc la nullité de la mesure (Crim. 27 oct. 2009, n° 09-82.505) et des actes subséquents.
Mais qu’en est-il de l’interrogatoire de première comparution intervenant dans des conditions identiques? En répondant à cette question sur le fondement d’une disposition de la Convention européenne, l’arrêt rendu le 7 juin mérite toute l’attention. En effet, se référant à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme qui proscrit, de manière intangible, tout traitement inhumains ou dégradants, la chambre criminelle sanctionne par la nullité, sans exiger qu'un grief soit établi par la personne qui invoque la nullité, le fait de procéder à l’interrogatoire de première comparution intervenant dans des conditions incompatibles avec l’état de santé.
En l’espèce, à la suite d’une rixe entre deux groupes armés, un individu, blessé, a été admis à l’hôpital. Des armes de poing ayant été découvertes dans son véhicule et plusieurs témoignages le mettant en cause comme l’un des possibles agresseurs, il a été placé en garde à vue dans cet établissement hospitalier, un examen médical ayant conclu à la compatibilité de son état de santé avec cette mesure en milieu hospitalier. Transféré dans un autre hôpital à la demande du procureur de la République, la prolongation de sa garde à vue lui a été notifiée. A nouveau, un examen médical, a conclu que l’état de santé du mis en cause était compatible avec la prolongation de garde à vue sous réserves de soins et d’une surveillance en milieu hospitalier. Finalement, transféré le lendemain matin au commissariat de police, un médecin requis a conclu qu’il était inapte à une mesure de garde à vue excepté en milieu hospitalier pour la troisième fois.
Une information étant ouverte des chefs de violences aggravées et infractions à la législation sur les armes, le mis en cause a été déféré dans le cabinet du juge d’instruction qui a procédé à son interrogatoire de première comparution le même jour en fin d’après-midi avant de lui notifier sa mise en examen. Par ordonnance du même jour en début de soirée, le juge d’instruction a désigné un médecin aux fins d’examen médical de l’intéressé, qui a relevé que le mis en examen était apte à entendre une notification de contrôle judiciaire, cette notification étant intervenue dans la soirée le même jour dans les locaux de l’établissement hospitalier. Le rapport d’expertise médicale déposé trois jours plus tard relevait que l’intéressé était apte à ce qu’on lui notifie des éléments mais inapte à participer à des débats, inapte à la garde à vue et à une incarcération en dehors d’un cadre hospitalier. Le mis en examen a donc, par requête, soulevé la nullité de sa garde à vue, celle de sa mise en examen et des actes subséquents.
Si les juges accordent la nullité des procès-verbaux de l’audition et de fin de garde à vue réalisés au sein des locaux des services de police dans des conditions incompatibles avec les constats des certificats médicaux, ils rejettent en revanche la demande de nullité de l’interrogatoire de première comparution. Selon les juges, cet acte trouvait son support nécessaire dans les actes d'enquête ainsi que dans le réquisitoire introductif du procureur de la République, et non dans les actes annulés lors desquels l'intéressé ne s'est d'ailleurs pas incriminé. Ils relèvent en outre, que les pièces médicales en procédure ne montraient pas que l'état de l'intéressé aurait été incompatible avec une comparution et une audition devant le juge d'instruction. L'intéressé assisté par son conseil aurait été en mesure de comprendre les enjeux de l'acte dès lors qu'il a usé de son droit de se taire.
L’analyse est censurée par la chambre criminelle et doit être approuvée. Au visa des articles 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et 116 du Code de procédure pénale, les juges du quai de l’horloge affirment dans un attendu de principe « qu’il se déduit de ces textes que porte nécessairement atteinte aux intérêts d’une personne mise en examen, le fait que le juge d’instruction procède à son interrogatoire de première comparution dans des conditions incompatibles avec son état de santé, peu important qu’elle n’ait, à cette occasion, pas fait de déclarations par lesquelles elle se serait incriminée ». Pour la chambre criminelle, dès lors que les certificats médicaux réalisés tout au long de la mesure de garde à vue mentionnaient que l’intéressé était inapte à être soumis à cette mesure en dehors du milieu hospitalier, il en va nécessairement de même pour une comparution et une audition devant le juge d’instruction, comme le démontre de surcroit le certificat médical réalisé postérieurement à cet acte. Peu importe qu’il ait usé de son droit de se taire.
Le déferrement devant le juge d’instruction ne respecte pas l’article 3 de la Convention européenne tant la procédure fait abstraction de l’état de vulnérabilité de l’individu du fait de son état de santé. Rappelons qu’il est parfaitement loisible au juge d’instruction d’organiser à l'hôpital l'interrogatoire de première comparution au terme duquel est décidée une mise en examen, sans que cela nuise au bon déroulement de la procédure.
Crim. 7 juin 2017, n° 16-87.429
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 3
« Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
■ Crim. 27 oct. 2009, n° 09-82.505 P, D. 2010. 245, obs. C. Girault, note P.-J. Delage ; ibid. 39, chron. A. Leprieur, P. Chaumont et E. Degorce ; AJ pénal 2010. 37, obs. C. Girault ; Constitutions 2010. 304, obs. X. Bioy.
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