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Droit des obligations
Nullité du contrat en l’absence de consentement : tout est relatif
La nullité du contrat pour absence de consentement, qui vise à protéger l’intérêt de la partie dont le consentement n’a pas été valablement donné, est une nullité relative.
Une SCI avait, par acte sous seing privé conclu par sa gérante, donné en location à usage d’habitation une partie d’un immeuble qu’elle détenait à l’époux d’une associée de la société. Après que ce dernier eut été assigné par la société en paiement de certains loyers restés impayés, le couple avait, pour que le mari fut soustrait aux poursuites, invoqué la nullité du bail, conclu sans l’autorisation préalable de l’assemblée générale exigée par les statuts de la société.
La cour d’appel prononça la nullité du bail au motif que, signé sans le consentement de la SCI, ce dernier était dépourvu de l’une des conditions requises pour la validité de tout contrat, à savoir l’existence du consentement de chacune des parties.
Au visa des articles 1108 (anc., art. 1128 nouv.) et 1844-10, alinéa 3 du Code civil, la Cour de cassation casse cet arrêt, reprochant à la juridiction d’appel sa décision d’annulation alors que la nullité d’une convention pour absence de consentement, qui vise à protéger l’intérêt de la partie dont le consentement n’a pas été valablement donné, est une nullité relative, de sorte que seule la SCI, à l’exclusion de l’époux, qui était son cocontractant, ainsi que de son épouse, associée mais tiers au contrat, était autorisée à demander l’annulation du bail litigieux.
Aux termes de l’article 1844-10, alinéa 3 du Code civil, la nullité des actes ou délibérations des organes d’une société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre ou de l’une des causes de nullité des contrats en général, et selon les dispositions de l’ancien article 1108 du même code, demeurées sur ce point inchangées par l’actuel article 1128, l’une des conditions de validité d’un contrat est le consentement de la partie qui s’oblige. Partant, le bail litigieux, en l’absence de consentement de la SCI, encourrait l’annulation. Mais il ne pouvait être déclaré nul, contrairement à ce qu’avait jugé la cour d’appel, que dans le respect des règles applicables à la nullité relative, dont on sait qu’elles prévoient l’attribution exclusive de l’action en nullité à la seule personne dont l’intérêt est protégé par la norme violée. Or les règles imposant une décision collective pour que le gérant soit autorisé à contracter ont pour objet de protéger la société d’une décision qui pourrait être prise, en contrariété à ses intérêts, de façon légère ou intempestive par son gérant ; à ce titre, il était exclu qu’un locataire (l’époux), en sa qualité de cocontractant, ni même un associé de cette société (l’épouse), tiers au contrat de bail, puissent se prévaloir de la nullité du contrat. Au cœur du pourvoi formé par la SCI devant la Cour de cassation, cet argumentaire se devait de convaincre la Haute juridiction, mais il n’en fut pas toujours ainsi, comme en témoigne la jurisprudence autrefois rendue à propos de l’erreur-obstacle, celle-ci trahissant, au-delà d’un simple vice du consentement, l’absence de rencontre des volontés des parties, donc une absence totale de consentement de la part de la victime de l’erreur commise, par exemple, sur la nature même du contrat, ou sur l’objet de la convention. Dans le cas de l’erreur-obstacle, la méprise est d’une importance telle qu’elle empêche toute rencontre des volontés. A l’origine sanctionnée par la nullité absolue du contrat (Paris, 8 juill. 1966 ; Civ. 3e, 1er févr. 1995, n° 92-16.729), cette jurisprudence aussi ancienne que constante reposait sur la théorie classique des nullités, à laquelle une partie de la doctrine restait attachée (v. sur ce point, J. Ghestin, Traité de droit civil, Les obligations, Le contrat, formation, LGDJ, 1988, 2e éd., n° 776, p. 920), selon laquelle le critère du choix entre nullité absolue et nullité relative réside dans la gravité du vice affectant l’acte. Or il va de soi qu’en ce sens, le défaut de consentement à un contrat revêt une gravité suffisante, évidemment supérieure aux seuls vices l’affectant, pour justifier la nullité absolue du contrat.
Comme en témoigne la décision rapportée, la jurisprudence contemporaine privilégie néanmoins, en cette matière, la théorie moderne des nullités qui, depuis Japiot (R. Japiot, Des nullités en matière d’actes juridiques, th. Dijon, 1909, p. 271 s.) jusqu’à sa récente codification (C. civ., art. 1179 s.), conçoit la nullité comme une sanction qui doit s’adapter au but de la règle dont elle entend assurer le respect, et dont la nature –absolue ou relative – doit dépendre des intérêts, généraux ou particuliers, protégés par la norme méconnue. La Cour régulatrice a ainsi jugé, dans le cas d’une erreur-obstacle, que l’absence totale de consentement ne portant pas atteinte à l'intérêt général, celle-ci doit être sanctionnée par la nullité relative (Civ. 3e, 26 juin 2013, n° 12-20.934).
La solution ici confirmée consistant à sanctionner l’absence de consentement par une nullité relative doit être approuvée pour plusieurs raisons. En premier lieu, s’il est de l’essence du droit des contrats d’ériger l’existence du consentement en condition de validité de l’engagement, son absence lèse davantage l’intérêt personnel de la partie victime de ne pas avoir pu consentir que l’intérêt général. Autrement dit, l’exigence que l’obligation ait été consentie tend essentiellement à garantir que l’engagement du débiteur ait été effectivement voulu, ce qui vise à le protéger personnellement. En second lieu, il en va de la cohérence des solutions : si l’absence de consentement devait être sanctionnée par la nullité absolue, en raison de la place essentielle occupée par la volonté dans la sphère contractuelle, qui lui reconnaît une valeur fondamentale, consubstantielle à la nature même du contrat ainsi qu’à sa dimension libérale, dans laquelle sa fonction économique et sociale d’échange l’inscrit naturellement, la même sanction devrait alors être appliquée aux atteintes autrement portées aux conditions de formation des conventions, toutes sanctionnées par la nullité relative alors même que l’intérêt général, appréhendé sous l’angle de l’ordre économique et social du contrat, semble dans la plupart des cas davantage mis en péril (dol, violence, lésion, défaut de contenu, autrefois apprécié sous l’angle du défaut de cause, ou d’objet du contrat). En troisième et dernier lieu, l’existence du consentement ne fait l’objet, depuis la réforme du droit des contrats, que d’un seul paragraphe, qui ne contient qu’un seul article, relatif à l’insanité d’esprit. On peut y voir la confirmation que la question relève moins de la défense de l’intérêt général que de la protection des intérêts privés du demandeur en nullité.
Com. 23 oct. 2019, n° 18-11.425
Références
■ Paris, 8 juill. 1966 : Gaz. Pal.,1967.1.33
■ Civ. 3e, 1er févr. 1995, n° 92-16.729 P : RDI 1996. 79, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ; RTD civ. 1995. 879, obs. J. Mestre
■ Civ. 3e, 26 juin 2013, n° 12-20.934 P : D. 2013. 1682 ; ibid. 2544, chron. A. Pic, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; AJDI 2014. 471, obs. F. Cohet
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