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[ 28 novembre 2012 ] Imprimer

Droit des obligations

Nullité pour absence de cause d'une convention dépourvue de contrepartie réelle

Mots-clefs : Contrat, Cause, Cause objective

La Cour de cassation approuve l'annulation pour absence de cause d'une convention par laquelle un dirigeant de société avait obtenu d'être rémunéré deux fois pour l'exercice de ses fonctions sociales.

Alors que son avenir demeure suspendu au sort des projets de réforme du droit des contrats, la cause ne cesse, ces derniers temps, de s'illustrer dans des espèces toujours plus originales qui font appel à la conception moderne de la notion. Ainsi, c'est sur le fondement de l'illicéité de la cause qu'a été annulé un prêt conclu en vue de contourner la réglementation européenne des quotas de production laitière (Civ. 1re, 26 sept. 2012).

Dans un arrêt rendu le 23 octobre 2012 par la chambre commerciale de la Cour de cassation, c'est l'existence de la cause qui faisait difficulté.

Une convention de prestation de services est conclue entre une société A et une société B. Rien de particulier à signaler concernant ce contrat, si ce n'est que le gérant et associé unique de la société B n'est autre que le président-directeur général de la société A. Deux ans plus tard, l'homme est démis de ses fonctions de directeur général de la société A, et le contrat entre les deux sociétés est résilié. La société B et son gérant ont alors assigné la société A en paiement de l'indemnité de résiliation prévue au contrat.

Cette demande est rejetée par la cour d'appel de Chambéry qui prononce la nullité du contrat pour absence de cause. En effet, analysant les termes de la convention, les juges du fond ont observé qu'en vertu de cette dernière, la société B assumait, contre rémunération, une série de prestations qui constituaient en réalité une partie des fonctions incombant normalement à son gérant, en sa qualité de directeur général de la société A. Faisant ainsi double emploi avec lesdites fonctions, à titre onéreux pour la société A, la convention se trouvait dépourvue de cause.

Un pourvoi en cassation est formé, reprochant à la cour d'appel d'avoir statué ainsi alors que, dans les contrats synallagmatiques, l'obligation d'une partie trouve sa cause dans l'obligation de l'autre, qui en constitue la contrepartie, et alors que les juges d'appel avaient pu constater qu'en mettant à la charge de la société B diverses prestations (création et développement de filiales à l'étranger, organisation et/ou participation à des salons professionnels, recherche de nouveaux clients à l'étranger, etc.), la convention litigieuse comportait bien des contreparties réciproques et réelles.

En développant cette argumentation, le pourvoi se réfère à la théorie « classique » de la cause dans sa fonction de contrôle de l'existence d'une contrepartie, dans laquelle l'examen mené par le juge se trouve cantonné à un examen formel des éléments visibles de l'acte. Conformément à cette conception, il n'est pas douteux que la convention litigieuse avait une cause, comme le prétendait le pourvoi, puisque la société B assumait l'obligation d'exécuter un certain nombre de prestations, en contrepartie de la rémunération qui lui était versée par la société A.

Il s'agit cependant d'une présentation réductrice et dépassée du contrôle de l'existence de la cause. Dans une conception renouvelée d'un tel contrôle, initiée dans les années 1990, celui-ci va au-delà d'une apparence formelle de contrepartie, pour évaluer concrètement l'intérêt du contrat (V. not. Civ. 1re, 3 juill. 1996). Dans l'espèce rapportée, il existe certes pour la société A une contrepartie indéniable au regard d'une appréciation abstraite de la cause objective ; mais cette contrepartie était-elle réelle alors qu'il apparaissait que les prestations pour lesquelles la société B avait monnayé ses services relevaient des fonctions de directeur général au titre desquelles son gérant, associé unique, était rémunéré par la société A ?

La Cour de cassation répond négativement, approuvant la cour d'appel d'avoir fait ressortir que les obligations stipulées à la charge de la société A étaient dépourvues de contrepartie réelle. Le pourvoi est donc rejeté.

On peut rapprocher cette solution de la jurisprudence rendue à propos des contrats de révélation de succession, annulés pour absence de cause lorsqu'il apparaît que l'héritier aurait normalement eu connaissance de l'existence de la succession sans l'intervention du généalogiste, autrement dit qu'il n'avait eu aucun intérêt à la conclusion du contrat (Civ. 18 avr. 1953 ; Civ. 1re, 20 janv. 2010).

Com. 23 oct. 2012, no 11-23.376

Références

Civ. 1re, 26 sept. 2012, no 11-12.941, Dalloz Actu Étudiant 23 oct. 2012.

Civ. 1re, 3 juill. 1996, no 94-14.800, Bull. civ. I, no 286 ; JCP 1997. I. 4015, obs. Labarthe ; Defrénois 1996, art. 36381. 1015, note Delebecque ; RTD civ. 1996. 901, obs. Mestre.

Civ. 18 avr. 1953, D. 1953. 403 ; JCP 1953. II. 7761.

Civ. 1re, 20 janv. 2010, no 08-20.459, Defrénois 2010. 609, note C. Grimaldi ; ibid. 1698, obs. Lécuyer.

 

Auteur :P. P.


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