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Droit des obligations
Nullité relative du bail à construction conclu pour un prix dérisoire
Mots-clefs : Prescription civile, Prescription quinquennale, Absence de cause, Vil prix, Nullité relative
Un contrat de bail à construction conclu pour un prix dérisoire ou vil n'est pas inexistant mais nul pour défaut de cause. Il s’ensuit que l'action en nullité de ce contrat, qui relève d'intérêt privé, est, s'agissant d'une nullité relative, soumise à la prescription quinquennale de l'article 1304 du Code civil.
La commune de Cannes a consenti à une société un bail à construction sur un terrain situé sur la Croisette moyennant la réalisation d’un complexe hôtelier et le paiement d’un loyer annuel de 762,25 euros. Après l’adjudication de ce bail à une autre société, la commune de Cannes a assigné cette dernière aux fins de voir, à titre principal, constater l’inexistence du contrat de bail à construction, à titre subsidiaire, prononcer sa nullité.
Déboutée de sa demande par la cour d’appel au motif que son action était prescrite, elle a formé un pourvoi en cassation. Dans un moyen unique divisé en deux branches, elle soutient :
– d’une part, que le contrat litigieux, faute d’avoir fixé un loyer sérieux, est inexistant ;
– et, d’autre part, qu’en tout état de cause, ledit contrat étant nul de nullité absolue pour absence d’objet, l’action en nullité se prescrit par trente ans.
Les deux arguments ont pour objectif commun d’éviter l’écueil de la prescription de l’action engagée. Selon la cour d’appel en effet, la nullité encourue en l’espèce est une nullité relative qui, en application de l’article 1304 du Code civil, se prescrit par cinq ans à compter de la date de conclusion du contrat. Celui-ci ayant été conclu en 1988, l’action en nullité était prescrite lorsque la commune de Cannes a agi en 2006.
Pour contester ce raisonnement, le demandeur au pourvoi tente de faire valoir que le contrat est inexistant ou, à tout le moins, nul de nullité absolue. Dans un cas comme dans l’autre, il échappe donc à la prescription :
– soit le contrat est inexistant, or l’inexistence est imprescriptible ;
– soit il est nul de nullité absolue, or, la nullité absolue se prescrivait, antérieurement à la loi du 17 juin 2008, par trente ans (le contrat ayant été conclu en 1988, sa nullité pouvait être poursuivie jusqu’en 2018).
Insensible à cette argumentation, la Cour de cassation rejette le pourvoi : « le contrat de bail à construction conclu pour un prix dérisoire ou vil n’est pas inexistant mais nul pour défaut de cause. L’action en nullité de ce contrat, qui relève d’intérêt privé, est, s’agissant d’une nullité relative, soumise à la prescription quinquennale de l’article 1304 du code civil ».
Le rejet de l’inexistence n’est guère surprenant : fruit d’une construction doctrinale selon laquelle le contrat dépourvu d’un élément sans lequel on ne peut concevoir qu’il y ait acte juridique serait non seulement nul mais inexistant, la notion d’inexistence n’a jamais été consacrée par la jurisprudence, qui lui a toujours préféré la nullité.
Sur ce point, précisément, la Cour de cassation retient en l’espèce que la nullité du bail à construction conclu pour un prix dérisoire est encourue pour absence de cause, alors que le pourvoi invoquait quant à lui une absence d’objet. En se plaçant sur ce terrain, le pourvoi entendait se prévaloir de la jurisprudence de la chambre commerciale selon laquelle le contrat nul pour absence d’objet est nul de nullité absolue (Com. 23 oct. 2007). En se fondant quant à elle sur l’absence de cause, la troisième chambre civile justifie la soumission de l’action à la nullité relative (Civ. 3e, 29 mars 2006).
Ce faisant, elle témoigne une nouvelle fois de son adhésion à la conception moderne de la théorie des nullités qui subordonne la nature (absolue ou relative) de la nullité à celle des intérêts (généraux ou particuliers) protégés par la condition méconnue (v. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, n° 357). De fait, c’est bien l’intérêt particulier de la commune de Cannes qui a été méconnu par le bail à construction à vil prix, dont elle aurait par conséquent dû demander la nullité dans les cinq ans de sa conclusion.
Enfin, on rappellera qu’avec l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ayant fait de la prescription quinquennale le nouveau délai de droit commun, la différence importante entre les délais pour agir en nullité relative ou en nullité absolue, dont cet arrêt est une illustration, a disparu.
Civ. 3e, 21 sept. 2011, n° 10-21. 900
Références
[Droit civil]
« Contrat de bail de longue durée (de 18 ans minimum à 99 ans maximum) par lequel le preneur s’engage à édifier des constructions sur le terrain du bailleur dont il a la jouissance : il bénéficie du droit de superficie. »
[Droit civil]
« Théorie en vertu de laquelle l’acte juridique auquel il manque un élément essentiel (par ex. le consentement) doit être considéré comme inefficace par toute personne, alors même qu’aucun texte ne le proclame, et sans qu’il soit besoin d’une décision de justice pour le constater. Selon cette théorie, l’inexistence serait imprescriptible. En droit positif, la sanction de l’inexistence tend à être délaissée au profit de la nullité. »
[Droit civil]
« Sanction prononcée par le juge et consistant dans la disparition rétroactive de l’acte juridique qui ne remplit pas les conditions requises pour sa formation.
• La nullité est absolue lorsque les conditions imposées par la loi sont essentielles et tendent à protéger l’intérêt général, ou l’ordre public, ou les bonnes mœurs.
• La nullité est dite relative lorsqu’elle sanctionne une règle destinée à protéger une partie de l’acte (ex. : nullité pour incapacité).
Les régimes respectifs des nullités absolue et relative sont différents.
• Nullité virtuelle : nullité qui peut être prononcée alors qu’aucun texte ne la prévoit expressément.
• Nullité textuelle : nullité qui ne peut être prononcée que si un texte la prévoit de façon formelle (ex. : les nullités de mariage). »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
« Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant. »
■ Com. 23 oct. 2007, n° 06-13.979, D. 2008. 954.
■ Civ. 3e, 29 mars 2006, n° 05-16.032, D. 2007. 477.
■ F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009, n° 357.
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