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Droit des obligations
Obligation de délivrance : son caractère essentiel prive d’efficacité la clause de non-recours stipulée au bénéfice du bailleur
Selon les articles 1719 et 1720 du Code civil le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée, en bon état de réparations de toute espèce, d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée, d'y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives, et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Civ. 3e, 10 avr. 2025, n° 23-14.974
Une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance.
Les obligations du bailleur sont énoncées avec minutie aux articles 1719 à 1727 du Code civil : délivrer la chose, l’entretenir et le cas échéant, la réparer, assurer la jouissance paisible au locataire, garantir ce dernier contre les vices cachés et les risques d’éviction, etc. Parmi ces obligations, il en est une vers laquelle convergent toutes les autres parce qu’elle constitue l’essence du bail : l’obligation de délivrance. Cette obligation première est aussi une obligation essentielle car imposée par la nature même du contrat, en sorte que le bailleur ne saurait valablement s’en exonérer par une clause prévoyant de l’en affranchir. Tel est le rappel auquel procède la décision rapportée.
Au cas d’espèce, un bail de locaux professionnels contenait une clause aux termes de laquelle le locataire renonçait à exercer tout recours contre le bailleur pour les dégâts causés dans les locaux loués aux matériels, objets mobiliers, valeurs quelconques et marchandises, quelles qu’en soient l’origine et l’ampleur, la stipulation s’étendant même au cas de destruction ou de perte totale des moyens d’exploitation. S’estimant ainsi pleinement délié de son obligation de délivrance, le bailleur opposa cette clause à son locataire lorsque ce dernier l’assigna en responsabilité après que le bien loué eut été affecté par de multiples infiltrations d’eau. Suivi en appel motif pris que le preneur avait conventionnellement renoncé à tout recours, notamment en cas de dégâts des eaux, le bailleur échoue en cassation, les magistrats du quai de l’Horloge réaffirmant nettement leur position concernant les implications de l’obligation de délivrance du bailleur : en raison de son caractère essentiel, aucune clause du contrat ne peut décharger le bailleur de cette obligation consubstantielle au bail. Après avoir rappelé la teneur des articles 1719 et 1720 du Code civil, la troisième chambre civile juge en conséquence qu’ « une clause de non-recours, qui n’a pas pour objet de mettre à la charge du preneur certains travaux d’entretien ou de réparation, n’a pas pour effet d’exonérer le bailleur de son obligation de délivrance », en sorte que la clause litigieuse ne pouvait avoir pour effet de priver le preneur de son droit à indemnisation fondé sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance.
Le juge du droit confirme ainsi le caractère essentiel de l’obligation de délivrance incombant au bailleur. Alors que la plupart des obligations du bail sont supplétives de la volonté des parties, la délivrance de la chose louée présente la singularité d’être qualifiée par la jurisprudence, sinon d’ordre public, du moins d’obligation essentielle, dont le bailleur ne peut s’exonérer (Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439). Cette qualification d’obligation essentielle s’inférant de la nature même du contrat, elle doit être retenue quel que soit le régime, général ou spécial, auquel le bien loué se trouve soumis : outre les baux civils, elle s’applique aux baux commerciaux, ruraux ou bien encore aux baux d’habitation, tous relevant de ce point de vue du droit commun du bail. Générique et fondamentale, l’obligation de délivrance est essentielle à tout contrat de bail. En raison de sa qualification, les contours de cette obligation sont largement définis. La délivrance porte à la fois sur la chose convenue et sur ses accessoires, juridiques comme matériels. Elle suppose que la chose délivrée soit conforme à sa destination en sorte de permettre au preneur d’exercer l’activité en vue de laquelle il a pris la chose à bail, cette obligation impliquant que le local loué puisse être ainsi directement affecté à l’usage convenu (Civ. 3e, 2 juill. 1997, n° 95-14.151, à propos d’un terrain classé en zone agricole rendant impossible l’installation d’un commerce ; adde, Civ. 3e, 11 oct. 2011, n° 10-17.257 ; Civ. 3e, 18 janv. 2018, n° 16-26.011). Elle est enfin jugée indispensable pour que le contrat de location puisse recevoir un commencement d’exécution (Civ. 3e, 25 juin 2008, n° 07-14.341 ; Civ. 3e, 13 sept. 2011, n° 10-24.626). En comparaison avec la vente, la portée de cette obligation est en outre accrue par le fait qu’elle vise, dans le bail, une obligation continue dont le respect s’impose au bailleur pendant toute la durée du contrat (Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 18-21.890), quand l’obligation instantanée du vendeur de mettre le bien à disposition de l’acheteur n’est exigée qu’au stade de la conclusion du contrat. C’est pourquoi le bailleur ne saurait, en cours de bail, ni changer la forme de la chose louée sans l’accord du locataire (C. civ. art. 1723), ni supprimer l’un de ses éléments, ni a fortiori la détruire. Il lui est également interdit de s’affranchir de son obligation de délivrer les lieux loués par le biais d’une « clause de souffrance », stipulation visée à l’article 1724 du Code civil relative à la réalisation de travaux urgents que le locataire doit supporter en cours d’exécution du bail (Civ. 3e, 1er juin 2005, n° 04-12.200). Par principe valable, une telle clause ne peut cependant en aucun cas aboutir à décharger complètement le bailleur de son obligation de délivrance, laquelle est d’ordre public. Conséquence directe de la qualification d’obligation essentielle, toute clause dispensant le bailleur de son obligation de délivrance doit ainsi être privée d’effet (C. civ., art. 1170), ce qui justifie également l’inefficacité, depuis longtemps acquise, des clauses d’acceptation des lieux en l’état (Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-19.037 ; Civ. 3e, 20 janv. 2009, n° 07-20.854 ; Civ. 3e, 2 févr. 2010, n° 09-12.691). Participant de la même logique, la clause de non-recours du locataire à l’encontre de son cocontractant en cas d’inexécution, par ce dernier, de son obligation de délivrance, doit pareillement être privée d’efficacité. À cet égard, il convient de préciser que la clause interdisant au preneur d’exercer contre le bailleur tout recours pour vices cachés ou apparents, désordres ou malfaçons, ne dispense pas le bailleur de son obligation de délivrance, qu’une telle stipulation laisse inchangée : le champ d’application de la clause de non-recours se limite, dans ce cas, à l’obligation de garantie du bailleur, sans pouvoir s’étendre à son obligation de délivrer la chose louée (Civ. 3e, 18 mars 2009, n° 08-11.011). En revanche, l’arrêt rapporté souligne que seul l’article 1719 du Code civil, qui fonde le principe de l’obligation de délivrance, s’impose aux parties. Définissant le contenu de cette obligation, l’article 1720 du même code, en raison de son caractère supplétif, permet de décharger valablement le bailleur de son obligation de délivrer la chose en bon état (Civ. 3e, 19 déc. 2019, n° 18-19.136, reconnaissant l’efficacité d’une clause de non-recours s’agissant du remplacement des installations ou équipements existants).
À retenir : si le bailleur peut valablement s’exonérer de son obligation de délivrer la chose « en bon état » (art. 1720), il ne saurait en toute hypothèse se dispenser de « délivrer au preneur la chose louée » (1719).
Références :
■ Civ. 1re, 11 oct. 1989, n° 88-14.439 : D. 1991.225, note P.Ancel
■ Civ. 3e, 2 juill. 1997, n° 95-14.151 : D. 1997. 201
■ Civ. 3e, 11 oct. 2011, n° 10-17.257 : AJDI 2012. 32, obs. V. Zalewski
■ Civ. 3e, 18 janv. 2018, n° 16-26.011 : D. 2018. 167 ; ibid. 1511, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; JA 2018, n° 573, p. 11, obs. X. Delpech ; AJDI 2018. 432, obs. N. Damas
■ Civ. 3e, 25 juin 2008, n° 07-14.341 : D. 2008. 2000
■ Civ. 3e, 13 sept. 2011, n° 10-24.626 : AJDI 2012. 32, obs. V. Zalewski
■ Civ. 3e, 10 sept. 2020, n° 18-21.890 : Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
■ Civ. 3e, 1er juin 2005, n° 04-12.200 : D. 2005. 1655 ; AJDI 2005. 650, obs. Y. Rouquet ; RTD civ. 2005. 779, obs. J. Mestre et B. Fages
■ Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-19.037 : D. 2002. 2303, et les obs. ; AJDI 2002. 759, obs. P. Briand
■ Civ. 3e, 20 janv. 2009, n° 07-20.854 : RTD com. 2009. 694, obs. F. Kendérian
■ Civ. 3e, 2 févr. 2010, n° 09-12.691 : AJDI 2010. 639, obs. N. Damas ; ibid. 640, obs. N. Damas
■ Civ. 3e, 18 mars 2009, n° 08-11.011 : AJDI 2009. 539, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
■ Civ. 3e, 19 déc. 2019, n° 18-19.136 : AJDI 2020. 215
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