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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Obligation de relogement d’un locataire protégé : une possible atteinte au droit de propriété
L’obligation de relogement d’un locataire vulnérable qui pèse sur le bailleur lui ayant délivré congé porte à ce dernier une atteinte à son droit fondamental de propriété susceptible d’être disproportionnée.
Civ. 3e, QPC, 30 mars 2023, n° 22-21.763 B
Dans le cadre des baux d’habitation, l’article 15, III, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 met à la charge du bailleur qui délivre congé au preneur une obligation exorbitante du droit commun du bail. Intuitu personae, celle-ci dépend de la personnalité du locataire, plus précisément, de sa vulnérabilité : en effet, lorsque le locataire est âgé et démuni (i. e. ayant plus de 65 ans et un niveau de ressources annuelles inférieur au plafond de celles permettant l’attribution d’un logement conventionné), le bailleur se voit contraint par la loi d’emprunter la qualité d’offrant, étant tenu de proposer à son ancien cocontractant un logement de remplacement, concomitamment ou postérieurement à la délivrance du congé (Civ. 3e, 2 juin 2010, n° 09-66.698). Cette obligation est de surcroît renforcée par l’obligation supplémentaire de s’assurer de l’effectivité des offres dont il doit avertir le locataire, ainsi que de l’assentiment des propriétaires pour conclure un bail avec lui (Paris, 11 janv. 2011, RG n° 08/14726). Or, l’exécution de cette obligation de relogement est entravée par la nécessité de trouver un habitat compatible avec les contraintes financières et géographiques du locataire, le logement de remplacement devant à la fois être bon marché et situé à proximité du domicile actuel du locataire protégé.
A l’origine de la question soulevée devant la cour d’appel de Paris (Paris, 21 juin 2022, RG n° 19/19149), un locataire vulnérable avait reçu un congé-reprise sans que lui fût offert un logement de substitution, le bailleur ayant soulevé la question de la conciliation du droit au relogement de son ancien locataire avec l’exercice de son propre droit de propriété, dont il dénonçait l’atteinte disproportionnée qui y était ainsi portée. Selon le bailleur, la disproportion naissait du maintien de l’obligation de relogement en dépit du motif légitime justifiant sa décision de délivrer congé, soit, en l’espèce, récupérer son bien pour y loger. Il est toutefois à noter que si la QPC vise le cas d’espèce du « congé pour habiter », l’obligation de relogement s’impose en toutes hypothèses dès lors que le congé est délivré pour un motif légitime et sérieux (Paris, 15 mai 2020, RG n° 18/01921). Il convient enfin de préciser qu’une telle obligation disparaît toutefois en cas de résiliation judiciaire du bail pour manquement du locataire à ses obligations (Civ. 3e, 15 oct. 2014, n° 13-16.990).
La proportionnalité à contrôler des droits locatifs et de propriété suppose aussi de tenir compte d’une variable importante en pratique, sur laquelle la QPC se concentre, à savoir l’évolution du marché de l’immobilier depuis la date de conclusion du bail. En effet, le bailleur mettait l’accent sur la difficulté, voire l’impossibilité, pour le bailleur de s’acquitter effectivement de son obligation de relogement lorsque, comme au cas d’espèce, le logement loué est situé dans une zone où les loyers sont devenus, depuis la conclusion du bail, « excessivement élevés », et donc incompatibles avec la faiblesse des ressources du locataire.
Par la décision du 30 mars 2023 rapportée, le juge du droit décide de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel, motifs pris :
- d’une part, que l’article 15-III porte une atteinte aux conditions d’exercice du droit de propriété du bailleur ;
- d’autre part, que cette atteinte peut être disproportionnée, dès lors que l’état du marché locatif dans le secteur considéré est susceptible de rendre impossible l’exécution par le bailleur de son obligation, en considération de la modicité des ressources de son locataire.
Références :
■ Civ. 3e, 2 juin 2010, n° 09-66.698 P : D. 2010. 1486 ; ibid. 2011. 1181, obs. N. Damas ; AJDI 2011. 51, obs. Y. Rouquet.
■ Paris, 11 janv. 2011, RG n° 08/14726 : AJDI 2011. 297.
■ Paris, 21 juin 2022, RG n° 19/19149 : AJDI 2022. 754 ; ibid. 754 ; ibid. 756.
■ Paris, 15 mai 2020, RG n° 18/01921
■ Civ. 3e, 15 oct. 2014, n° 13-16.990 P : D. 2014. 2112 ; ibid. 2015. 1178, obs. N. Damas ; AJDI 2015. 205, obs. N. Damas ; RTD civ. 2015. 157, obs. P.-Y. Gautier.
Addendum Cons. const. 26 mai 2023, n° 2023-1050 QPC : conformité à la Constitution
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