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[ 26 juin 2025 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Obligation de sécurité : l’employeur doit se renseigner !

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité, doit en assurer l'effectivité en prenant en considération les propositions de mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur que le médecin du travail est habilité à formuler. Lorsque le salarié travaille chez un client, l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en faisant valoir qu’il appartient au salarié de l’alerter de l’absence des aménagements préconisés par le médecin.

Soc. 11 juin 2025, n° 24-13.083

L’obligation de sécurité pesant sur l’employeur peut être mobilisée dans des contextes variés. Dans certains cas, elle ouvre la voie à un contrôle des projets d’organisation du travail en vue d’obtenir la suspension voire l’interdiction de leur mise en œuvre (Soc. 5 mars 2008, n° 06-45.888 SNECMA, Soc. 5 mars 2015, n° 13-26.321 FNAC ; Soc. 22 oct. 2015, n° 14-20.173, AREVA). Dans d’autres situations, elle permet au salarié de solliciter la réparation de son préjudice, et ce qu’il y ait ou non accident du travail, la méconnaissance de l’obligation pouvant être constatée indépendamment de la réalisation du risque (Soc. 11 sept. 2019, n° 17-25.300 relatif au préjudice d’anxiété ; Soc. 6 déc. 2017, n° 16-10.885 en matière de risques psycho-sociaux). Mais très souvent - comme en l’espèce - l’invocation de l’obligation de sécurité vise à imputer la rupture du contrat de travail à l’employeur. Soit le salarié demande alors la résiliation de son contrat ou prend acte de la rupture (Soc. 8 févr. 2017, n° 15-14.874), soit il fait valoir que son inaptitude trouve son origine dans la violation par l’employeur de son obligation de sécurité (Soc. 30 nov. 2016, n° 15-25.066). Dans tous les cas, le salarié entend obtenir des dommages-intérêts équivalents à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Dans l’affaire commentée, un salarié, engagé en qualité de conducteur routier, est victime d'un accident du travail le 14 décembre 2016. Il fait l’objet d’un suivi par le médecin du travail qui le déclare apte à reprendre son poste mais avec l’aide d’un chariot électrique pendant 5 mois. À l’issue de cette période le médecin revoit le salarié et conclut à son aptitude. Toutefois, quinze jours plus tard le salarié est de nouveau placé en arrêt de travail et il saisit la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail pour manquement à l'obligation de sécurité. Quelques mois plus tard, il fait l’objet d’un examen médical de reprise et le médecin du travail déclare cette fois le salarié inapte à son poste, en précisant que tout maintien du salarié dans son emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, ce qui entraîne son licenciement pour inaptitude en 2018. L’action en résiliation suit toutefois son cours et, en 2023, la cour d’appel de Nîmes déboute le salarié de sa demande. Cette décision est cassée par la chambre sociale, qui rappelle que l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur implique non seulement la mise en place des mesures de prévention qui s’imposent mais également la vérification de leur effectivité.

■ Les mesures de prévention à adopter

Les salariés bénéficient d’un suivi individuel de leur état de santé assuré par le médecin du travail (L. 4624-1 c. trav.). Ils sont en particulier soumis, après un arrêt de plus de 30 jours consécutif à un accident du travail, à une visite médicale de reprise (R. 4624-31 c. trav.). Dans le cadre de ce suivi, le médecin du travail peut proposer, par écrit et après échange avec le salarié et l'employeur, des mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail ou des mesures d'aménagement du temps de travail justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge ou à l'état de santé physique et mental du travailleur (L. 4624-3 c. trav.). Ces mesures ne sont donc pas réservées à un salarié déclaré inapte en vue de son reclassement (L. 1226-10 al 3 C. trav.). En l’espèce, le salarié était conducteur routier, poste impliquant le chargement et déchargement du camion. Le médecin avait estimé qu’il pouvait reprendre ce poste mais uniquement pendant 5 mois, il ne devait ni porter, ni tirer, ni pousser de charges supérieures à 10 kg, sauf à l’aide d’un chariot électrique. Il s’agissait donc d’un aménagement individuel et provisoire, justifié par l’état de santé. L’objectif de prévention est ici manifeste : éviter d’aggraver l’usure d’un organisme déjà fragilisé. En vertu de son obligation de sécurité, l'employeur est alors tenu soit d’appliquer les propositions émises par le médecin du travail, soit de lui faire connaître par écrit les motifs qui s'opposent à ce qu'il y soit donné suite (Soc. 19 déc. 2007, n° 06-46.134). Ici, l’employeur avait donc affecté le salarié sur un autre site, équipé de transpalettes électriques. Au départ de sa tournée, les préconisations du médecin étaient ainsi respectées. Mais le salarié faisait valoir que, chez de nombreux clients de l’employeur – en l’occurrence des magasins Intermarchés, il n’existait pas de quai de déchargement. Seul l’un des magasins desservis disposait d’un transpalette électrique, les autres n’étant équipés que de chariots manuels. L’utilisation de ces engins de manutention l’obligeait donc, nécessairement, à tirer et pousser manuellement des charges pour procéder au déchargement du camion. Les préconisations du médecin n’étaient donc pas respectées en toutes circonstances. Pourtant, pour la cour d’appel, aucun manquement à l’obligation de sécurité ne pouvait être reproché à l’employeur car il n’avait pas été informé de la difficulté. Selon les juges du fond, il appartenait au salarié d’alerter l’employeur. Une telle position omet toutefois un principe essentiel : il incombe à l’employeur de s’assurer de l’effectivité des mesures de prévention préconisées.

■ L’effectivité des mesures de prévention

Depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 (n° 14-24.444), l’obligation de sécurité n’est plus appréhendée comme une obligation de résultat en ce sens que la réalisation du dommage n’est plus suffisante pour établir le manquement de l’employeur. Ce dernier peut démontrer qu’il a pris les mesures de prévention nécessaire et, partant, qu’il a respecté son obligation (Soc. 28 févr. 2024, n° 22-15.624). La formule permet de mieux cerner l’objet de l’obligation : en amont, elle implique la mise en place de moyens destinés à prévenir la survenance du risque ; en aval, elle impose d’agir pour le supprimer lorsqu’il se concrétise. La Cour de cassation demeure particulièrement exigeante à l’égard de l’employeur, raison pour laquelle certains auteurs évoquent une obligation de moyen renforcée. La Cour exige de l’employeur qu’il s’assure de l’effectivité des mesures prises. Autrement dit, il doit y avoir une correspondance entre le modèle préconisé et la situation concrète du travailleur. La formule n’est pas nouvelle (voir déjà Soc. 11 mars 2009, n° 07-44.816 ; Soc. 23 sept. 2009, n° 08-42.629 ; Soc. 13 mai 2015, n° 13-28.792, Soc. 17 oct. 2012, n° 11-18.648). Mais dans ces arrêts, il était reproché à l’employeur une carence dans la mise en œuvre de mesures individuelles de prévention au sein même de l’entreprise. L’originalité de l’arrêt commenté tient au fait que, cette fois, les préconisations du médecin n’étaient pas respectées sur les sites des clients, à l’extérieur de l’entreprise. La Cour s’appuie sur l’exigence d’effectivité pour mettre à la charge de l’employeur une obligation de se renseigner. Il lui appartenait de vérifier que les lieux dans lesquels le salarié effectuait sa tournée étaient équipés du matériel requis. Il ne saurait être exigé du salarié qu’il prenne l’initiative de l’avertir. La solution mérite d’être approuvée car la prévention relève de la responsabilité de l’employeur. Certes on pourrait faire valoir que le salarié est également tenu, dans la limite de ses moyens, de prendre soin de sa santé. Mais l’article L. 4122-1 c. trav. précise expressément que cette exigence est sans incidence sur le principe de responsabilité de l’employeur. C’est donc à ce dernier de s’adresser à ses clients afin de garantir que le salarié dispose des moyens nécessaires pour exercer son activité sans risque.

Références :

■ Soc. 5 mars 2008, n° 06-45.888, SNECMA D. 2008. 857 ; ibid. 2306, obs. M.-C. Amauger-Lattes, I. Desbarats, C. Dupouey-Dehan, B. Lardy-Pélissier, J. Pélissier et B. Reynès ; Dr. soc. 2008. 519, obs. P.-Y. Verkindt ; ibid. 605, obs. P. Chaumette ; RDT 2008. 316, obs. L. Lerouge

■ Soc. 5 mars 2015, n° 13-26.321, FNAC 

■ Soc. 22 oct. 2015, n° 14-20.173, AREVA D. 2015. 2324 ; ibid. 2496, entretien H. Seillan

■ Soc. 11 sept. 2019, n° 17-25.300 

■ Soc. 6 déc. 2017, n° 16-10.885 

■ Soc. 8 févr. 2017, n° 15-14.874 

■ Soc. 30 nov. 2016, n° 15-25.066 

■ Soc. 19 déc. 2007, n° 06-46.134 

■ Soc. 28 févr. 2024, n° 22-15.624 :

■ Soc. 11 mars 2009, n° 07-44.816 

■ Soc. 23 sept. 2009, n° 08-42.629 D. 2010. 672, obs. O. Leclerc, E. Peskine, J. Porta, L. Camaji, A. Fabre, I. Odoul-Asorey, T. Pasquier et G. Borenfreund ; Dr. soc. 2010. 80, note J. Savatier ; RDT 2010. 30, obs. M. Véricel

■ Soc. 13 mai 2015, n° 13-28.792 

■ Soc. 17 oct. 2012, n° 11-18.648 

 

Auteur :Chantal Mathieu


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