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Droit des obligations
Occupation illicite d’un immeuble : la réparation du préjudice doit être intégrale
Mots-clefs : Responsabilité civile, Préjudice, Droit de propriété, Atteinte, Indemnisation, Principe de la réparation intégrale
S'agissant de l'occupation sans droit ni titre d'un immeuble, viole le principe de la réparation intégrale et l'article 1382 du Code civil, l'arrêt qui retient que le préjudice du fait de l'atteinte au droit de propriété doit être réparé par une somme forfaitaire et de principe.
La propriétaire d'un immeuble qu’elle croyait inoccupé avait constaté qu’un groupe de personnes y avait habité durant l’année 2008, sans droit ni titre. Une ordonnance de référé avait en conséquence ordonné leur expulsion. Les occupants n'ayant quitté les lieux qu'un an après que l’ordonnance fut rendue, la propriétaire avait assigné ces derniers en indemnisation de son préjudice. Pour fixer à une certaine somme (1500 euros par mois) le montant de la réparation due par les occupants, la cour d’appel retint que le préjudice invoqué, l'atteinte au droit de propriété, ne devait être réparé que par « une somme forfaitaire et de principe ». La propriétaire forma alors un pourvoi en cassation, partiellement accueilli par la Cour au visa du principe de la réparation intégrale du préjudice et de l'article 1382 du Code civil, au seul effet d’annuler la forfaitisation, décidée par les juges du fond, de l’indemnisation due par les occupants.
Au premier rang des principes généraux gouvernant l’évaluation judiciaire des dommages et intérêts figure le principe de la « réparation intégrale du dommage » ou de « l’équivalence entre dommage et réparation ». Admise dans la plupart des systèmes juridiques, cette règle est également consacrée par le droit français, qui l’a érigé en directive essentielle pour l’évaluation indemnitaire. Elle est d’ailleurs expressément prévue, en matière contractuelle, par l’article 1149 du Code civil et en matière délictuelle, malgré le silence des textes, son existence n’a jamais été contestée. En conséquence de ce principe, tous les chefs de préjudice subis par la victime et dont celle-ci demande réparation doivent être pris en compte pour évaluer les dommages-intérêts à lui allouer en sorte de compenser entièrement le dommage qu’elle a subi.
Cependant, l’indemnisation ne doit pas excéder la valeur du préjudice pour ne pas non plus enrichir indument la victime. Autrement dit, la somme due au titre des dommages et intérêts doit correspondre très précisément à la perte causée par le fait dommageable. Le responsable doit réparer « tout le dommage » mais « rien que le dommage ».
Précisément en l’espèce, la cour d’appel avait, pour limiter l’indemnisation due à la propriétaire à une somme forfaitaire, déduit de l’inoccupation de l’immeuble, à la date de l’entrée en possession des occupants et même depuis plusieurs années, son absence de préjudice économique. Pour en juger ainsi, les juges du fond avaient également relevé qu’elle ne prétendait ni ne justifiait avoir eu la volonté, depuis le départ de son dernier locataire (12 mai 2004), soit d’habiter l’immeuble, soit de le louer, soit encore de le revendre et ainsi, d'y effectuer des travaux en vue de sa restructuration ou de son amélioration.
Néanmoins, en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice, la Cour de cassation censure leur décision. En effet, l'occupation sans droit ni titre d'un immeuble cause dans tous les cas à son propriétaire une perte de la jouissance de son bien qui doit être réparée, et ce quand bien même ce dernier aurait fait le choix de ne pas en profiter à titre personnel ou à des fins lucratives. De surcroît, la renonciation à un droit ne se présumant pas et ne pouvant résulter que d'actes manifestant, de façon claire et non équivoque, la volonté d’y renoncer, la cour d’appel ne pouvait pas, sans encourir la cassation, affirmer la volonté de la propriétaire de renoncer à exploiter son immeuble lors de son occupation irrégulière sans faire état d’aucun acte manifestant sans doute possible une telle intention.
Enfin et surtout, le droit de propriété étant un droit fondamental à valeur constitutionnelle, il confère en conséquence à son titulaire le droit de jouir et de disposer de son bien de la manière la plus absolue en sorte que l’absence de prétention ou de justification par la propriétaire de sa volonté de louer ou de revendre l'immeuble depuis le départ de son dernier locataire devait être considérée comme une circonstance indifférente en ce qu’elle relevait simplement de l'exercice de son droit de propriété, sans constituer une faute de sa part susceptible d'exonérer les occupants de leur responsabilité.
Cette décision montre l’attachement de la jurisprudence au principe de la réparation intégrale. Ainsi la Cour de cassation censure-t-elle très fréquemment, dans les décisions soumises à son contrôle, les formules par lesquelles les juges du fond manifestent explicitement la volonté de s’arroger le pouvoir d’aggraver ou de modérer les dommages-intérêts ou, plus largement, admettent avoir pris en considération, pour évaluer l’indemnité, des éléments étrangers à l’ampleur du préjudice, moral notamment (V. déjà Civ., 21 oct. 1946 ; G. Viney et P. Jourdain, Les effets de la responsabilité, LGDJ, n° 59, p. 121). Le législateur se montre également rétif à la reconnaissance d’un pouvoir modérateur du juge sur l’évaluation indemnitaire, comme l’a notamment montré le refus de donner aux juges un tel pouvoir pour évaluer les dommages causés sous l’empire d’un trouble mental, comme cela avait été proposé lors de la discussion du texte devenu la loi du 3 janvier 1968 sur l’incapacité. Ajoutons que le droit français ne reconnaît pas, par principe, l’obligation pour la victime de minimiser son dommage, qui conduit le juge à diminuer l’indemnisation de la victime lorsque celle-ci n’a pas pris toutes les mesures possibles pour réduire l’étendue de son préjudice (G. Viney et P. Jourdain, op.cit., loc. cit.).
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