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[ 14 décembre 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Offre : conditions de fond et de forme de formation du contrat

En l’absence d’offre précise et à défaut d’acceptation, même implicite, d’une proposition d’achat, la vente initialement projetée ne peut être forcée.

Civ. 3e, 17 nov. 2021, n° 20-20.965

Par lettre du 16 août 2015, un couple avait adressé à l’héritière d’un célèbre présentateur d’émission télévisée une offre d'achat d’un bien immobilier dépendant de la succession et comprenant les meubles meublants de la propriété, pour un prix équivalant à deux millions d'euros. Estimant qu'un accord était intervenu entre eux sur la chose et le prix et la destinataire de l’offre ne souhaitant plus vendre, les offrants l'avaient assignée en exécution forcée de la vente et en paiement de dommages-intérêts. 

La cour d’appel rejeta leurs demandes tendant à voir juger parfaite la vente du bien immobilier et à voir condamner l’héritière à leur payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, au motif que celle-ci n'avait pas accepté leur offre d’acquisition. 

Devant la Cour de cassation, les offrants faisaient valoir qu’en dépit d’une acceptation expresse de leur offre par sa destinataire, celle-ci avait, par l’émission de plusieurs messages textes, exprimé son consentement à la vente, dès lors qu'elle s'était ainsi spontanément rapprochée de l’offrant pour préparer la signature du compromis dont seule restait en suspens la date qu'elle voulait postérieure au partage. 

La Cour de cassation confirme la décision des juges du fond, qui avaient notamment relevé que : 

■ l'offre d'achat du couple, adressée le 16 août 2015, n'avait non seulement pas été acceptée dans son délai extrêmement bref de validité expirant le 24 août 2015, mais qu’elle avait au surplus été expressément rejetée par un courriel du 4 septembre 2015 adressé par la destinataire aux offrants ;

■ par un nouveau courriel du 12 octobre 2015, la destinataire de l’offre d’achat avait évoqué une « négociation en cours » confirmant, s'il en était besoin, que l'offre n'avait pas été acceptée, mais qu'au contraire, les parties se trouvaient toujours en phase de négociation précontractuelle, n'étant parvenues à aucun accord sur la chose et sur le prix, et que, le 17 octobre 2015, elle avait avisé l’offrant qu'elle n'entendait pas poursuivre les négociations ;

■ l'offre d'achat établie le 16 août 2015 portait sur le bien immobilier, mais aussi sur les meubles meublants, sans que ceux-ci ne fussent précisément désignés et que la sœur de la destinataire de l’offre avait, dès le 12 octobre 2015, adressé à l’offrant une liste des différents meubles meublants évalués à une certaine somme en précisant que ces biens mobiliers ne faisaient pas partie du prix de vente et qu'il s'agissait d'un volet de négociation à part entière, et qu’ils devraient être négociés séparément, en appelant à la décision de l’offrant ;

■ les offrants avaient, aux termes de leurs écritures devant le tribunal, modifié eux-mêmes leur offre unilatérale du 16 août 2015 en demandant à payer le prix de deux millions d'euros sans les meubles. 

La Haute cour approuve en conséquence la cour d'appel d’avoir déduit de l’ensemble de ces circonstances que la bénéficiaire de l’offre d’achat n'avait jamais émis, même de manière implicite ou équivoque, la volonté d'accepter l'offre émise en août 2015 et que la modification de cette offre par leurs propres auteurs démontrait bien qu'il n'y avait jamais eu d'accord sur la chose et sur le prix.

La formation du contrat repose traditionnellement sur un accord instantané de volontés librement exprimées. Le Code Napoléon n’a du reste pas même jugé bon de réglementer la question de la phase précontractuelle. La pratique atteste cependant de la nécessité d’une analyse plus serrée, permettant de saisir le processus qui s’étend des négociations jusqu’aux avant-contrats, dont l’offre de contracter, désormais soumise par la loi comme par les juges à ce qu’on pourrait appeler un régime de semi-liberté, comme en témoigne la décision rapportée. 

Durant toute la phase précontractuelle, le principe est celui de la liberté laissée aux parties de revenir sur leurs engagements. En ce sens, une offre d’achat est révocable comme telle jusqu'à ce que la vente devienne parfaite par l'acceptation de son destinataire (Com. 6 mars 1990, n° 88-12.477). Plus généralement, toute offre de contrat peut en principe être rétractée tant qu'elle n'a pas été acceptée. Elle n’engage son auteur, sur le fondement de l’engagement unilatéral de volonté, que dans la mesure où un délai de maintien de l’offre aurait été expressément ou implicitement stipulé dans l’offre, interdisant au pollicitant de se retirer avant le temps prévu. En effet, si une offre peut en principe être rétractée tant qu'elle n'a pas été acceptée, il en va différemment dans le cas où celui dont elle émane s'est engagé à ne pas la retirer avant une certaine époque ; dans ce cas seulement, l’offrant s’engage à maintenir l’offre pendant le délai ainsi fixé (Civ. 1re, 17 déc. 1958 ; Civ. 3e, 7 mai 2008, n° 07-11.690).

Libre de l’accepter comme de la décliner, le destinataire de l’offre bénéficie d’une égale liberté. Manifestation de la volonté de son auteur d'être lié dans les termes de l’offre, l’acceptation, tant qu’elle n’est pas parvenue à l’offrant, peut ainsi être librement rétractée (C. civ., art. 1118), et le défaut d’acceptation dans le délai éventuellement fixé par l’offrant ne sera sanctionné que par la caducité de l’offre (Civ. 3e, 25 mai 2005, n° 03-19.411), aucune faute ne pouvant, en conséquence de la liberté de ne pas contracter qui lui est reconnue, être imputée à son destinataire, partant insusceptible d’engager de ce fait sa responsabilité. 

En somme, tant que l’accord définitif ne s’est pas concrétisé par la rencontre de l’offre et de son acceptation, les parties demeurent libres, par principe, de ne pas contracter.

Prolongeant cette liberté contractuelle, le consensualisme domine le régime de cet avant-contrat. Entendu comme une liberté de forme de l’expression de la volonté, le principe de consensualisme s’applique autant à l’offre qu’à son acceptation (Civ. 1re, 2 déc. 1969). S’il n’était pas directement applicable à l’espèce, le nouvel article 1172 du Code civil, se bornant à codifier des principes qui n’ont pas varié, affirme que « les contrats sont par principe consensuels ». Explicitant également le droit positif, l’article 1109 précise la teneur de ce principe : « le contrat est consensuel lorsqu’il se forme par le seul échange des consentements, quel qu’en soit le mode d’expression ». Le consensualisme consiste donc à ne pas entraver l’expression de la volonté par des exigences de forme. 

Encore faut-il, malgré l’absence de formes imposées, que les volontés s’expriment avec netteté. En ce sens, l’article 1113 du Code civil affirme que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ». L’article 1114 y insiste, évoquant la nécessité de caractériser la volonté de l’auteur de l’offre d’être lié en cas d’acceptation. Concernant celle-ci, l’absence de forme requise n’évince pas non plus l’exigence d’une volonté clairement exprimée. Le principe du consensualisme ne dispense pas d’une vérification par le juge de ce que l’acceptant a exprimé sa volonté et de ce que son expression ne souffre d’aucune équivoque. Scellant le contrat, la caractérisation de la volonté d’accepter nécessite donc tout autant de soin, voire peut-être davantage encore, que celle de l’offre. Ceci explique d’ailleurs que la jurisprudence, désormais confortée par le nouvel article 1120 du Code civil, affirme traditionnellement que le silence ne vaut pas acceptation (par ex. Cass. (civ.), 25 mai 1870).

Si le principe du consensualisme exclut toute contrainte de de forme, un minimum d’exigences demeure donc nécessaire afin de protéger les parties de la formation d’un contrat dont elles n’auraient pas voulu.

En l’espèce, la position du demandeur au pourvoi reposait sur l’idée vraie en principe mais fausse en la circonstance selon laquelle le contrat est formé dès lors que les parties sont parvenues à un accord suffisant sur ses éléments essentiels. L’offre de contrat doit en ce sens nécessairement comporter « les éléments essentiels du contrat envisagé », comme l’affirme l’article 1114 du Code civil. Et l’acceptation suffit en principe à former le contrat : ainsi la vente est-elle parfaite lorsque les parties sont convenues de la chose et du prix, ainsi que l’affirme l’article 1583 du Code civil. La désapprobation de la thèse du pourvoi par la Cour s’explique alors par une double absence : celle de l’univocité de l’offre, et celle de son acceptation, dont l’inexistence pouvait être facilement établie.

L’univocité de l’offre, c’est-à-dire la manifestation de volonté ferme et précise de former la convention, était ici démentie par l’imprécision de celle adressée par les demandeurs, induite de la modification unilatérale de ses termes par l’un des propres auteurs (l’époux). Or pour être précise, c’est-à-dire comprendre les éléments essentiels du contrat envisagé (C. civ., art. 1114), le prix d’achat aurait dû être déterminé. Si « chacun est libre de contracter », comme l’affirme désormais l’article 1102 du Code civil, encore faut-il qu’il ne soit pas douteux que l’offrant le veuille : ce dernier promet en effet d’abdiquer une part de sa liberté pour se soumettre à la force obligatoire de la convention. L’existence d’une offre d’achat sans prix déterminé ne pouvait donc être admise, le prix étant un élément essentiel de la vente.

L’absence évidente d’acceptation se révélait encore plus problématique : si la volonté d’accepter doit en principe être manifestée, extériorisée, il en va de même de la volonté de la décliner. Or celle-ci s’était en l’espèce incontestablement traduite par le refus réitéré de l’héritière de contracter. Les demandeurs au pourvoi faisaient valoir qu’en raison de son caractère consensuel, l’acceptation de leur offre d’achat pouvait être suffisamment déduite de la teneur des SMS que la destinataire leur avait adressés. Sans rapport direct ni même implicite avec un éventuel consentement à la conclusion de la vente, la teneur des messages envoyés ne signifiait en rien sa volonté de contracter. Aussi bien, au cours de cette phase précontractuelle, des pourparlers avaient-ils été, en parallèle de l’offre émise, engagés pour en négocier le contenu. Plus encore que l’offre qui par la précision et la fermeté des termes qu’elle doit contenir, restreignant ainsi la liberté de l’offrant, les pourparlers contractuels sont placés sous l’égide de la liberté (C. civ., art. 1112). Ayant pour objet de discuter de la teneur du contrat projeté avant de parvenir à un accord définitif, les pourparlers en l’espèce engagés confortaient alors l’absence d’accord des parties sur les éléments essentiels de la vente initialement envisagée, la dernière proposition d’achat invoquée par le demandeur ayant par ailleurs rapidement donné lieu au refus de la bénéficiaire de poursuivre les négociations.

Il est vrai qu’il était en l’espèce assez inutile pour la Cour régulatrice de se perdre dans de telles considérations, dès lors que l’offre n’avait jamais été acceptée et que l’offrant en avait lui-même modifié les termes concernant le prix, signant l’absence d’accord des parties sur l’un des éléments essentiels du contrat, que rendait d’autant plus évidente la rupture des négociations ultérieurement engagées. Autrement dit, la réunion de ces circonstances précontractuelles était sans appel et le recours des demandeurs au pourvoi, parfaitement vain. 

Somme toute, cette décision qui embrasse l’ensemble du processus de formation du contrat atteste de ce que la préservation de la liberté contractuelle domine toute autre considération en cette matière. Aussi ne peut-on se contenter, comme l’espéraient les auteurs du pourvoi, d’une qualification superficielle et trop rapide des éléments constitutifs de l’offre et de l’acceptation.

Références :

■ Com. 6 mars 1990, n° 88-12.477 P: D. 1991. 317, obs. J.-L. Aubert ; RTD civ. 1990. 462, obs. J. Mestre ; RTD com. 1990. 627, obs. B. Bouloc

■ Civ. 1re, 17 déc. 1958D. 1959, p. 33

■ Civ. 3e, 7 mai 2008, n° 07-11.690 P: D. 2008. 1480, obs. G. Forest ; ibid. 2965, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; ibid. 2009. 440, chron. M.-L. Mathieu-Izorche ; RTD civ. 2008. 474, obs. B. Fages

■ Civ. 3e, 25 mai 2005, n° 03-19.411 P: D. 2005. 2836, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2005. 772, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Civ. 1re, 2 déc. 1969 P

■ Cass. (civ.), 25 mai 1870DP 1870, I, p. 257

 

Auteur :Merryl Hervieu

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