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Droit pénal général
Ohé, du bateau : qui paye en cas de pollution ?
Mots-clefs : Pollution, Rejet d’hydrocarbures, Environnement, Responsabilité pénale
L'article L. 218-23 du Code de l'environnement, qui permet de mettre tout ou partie de l'amende prononcée à l'encontre du capitaine à la charge de l'exploitant ou du propriétaire du navire, ne distingue pas selon que l'exploitant agit en son propre nom ou pour le compte d'autrui. En l’absence de tous éléments permettant de relier la pollution constatée à la survenance d’un événement extérieur et imprévisible, le tribunal peut fonder sa conviction sur un faisceau d'indices pour apprécier que la preuve que la pollution provenant du rejet d'hydrocarbures est d'origine volontaire et caractérise l’infraction de rejet de substance polluante, prévue et punie aux articles L. 218-11 et suivants du Code de l'environnement.
La responsabilité pénale en matière de pollution marine par hydrocarbures obéit à un régime spécifique issu notamment de la transposition de la directive 2005/35/CE du 7 septembre 2005 (JOUE 30 sept. 2005, p. 11-21). Ainsi, le Code de l'environnement contient-il les incriminations relatives aux pollutions intentionnelles (C. envir., art. L. 218-11 à L. 218-15) et aux pollutions accidentelles (C. envir., art. L. 218-19).
Les rejets intentionnels d'hydrocarbures ou de substances liquides nocives sont punis d'une peine de 50 000 € d'amende prononcée à l'encontre du capitaine (C. envir., art. L. 218-11). Les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et 15 millions d'euros d'amende en fonction de la nature ou de la taille du navire concerné (C. envir., art. L. 218-12 et L. 218-13).
Si le capitaine du navire « est l'épicentre de la responsabilité pénale en la matière » (v. M. Ollivier, C. Thorel, A. Mouillé), le Code de l’environnement prévoit que les peines encourues sont applicables, dans certaines conditions « soit au propriétaire, soit à l'exploitant [...], soit à toute autre personne que le capitaine exerçant en droit ou en fait un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire » (C. envir., art. L. 218-18 ; v. par ex. l’affaire de l’Erika : Paris, 30 mars 2010).
L'article L. 218-23, § I du Code de l'environnement prévoit encore que le tribunal peut, compte tenu des circonstances et notamment des conditions de travail de l'intéressé, décider que le paiement des amendes prononcées à l'encontre du capitaine est en totalité ou en partie à la charge du propriétaire ou de l'exploitant.
L’arrêt rendu par la chambre criminelle permet de revenir sur la mise en œuvre de cette responsabilité.
En l’espèce, un pilote d'un aéronef des douanes françaises avait constaté, à 280 km à l’Ouest de Royan, la présence de traces d’hydrocarbures s’étendant sur 7 kms pour une largeur d’environ 100 m, dans le sillage d’un navire armé par une société lettone. Le capitaine du navire, et la société ont été cités devant le tribunal correctionnel de Brest pour rejet d'hydrocarbures dans la zone économique exclusive, par un navire autre que citerne, d'une jauge brute égale ou supérieure à 500 tonneaux. Le tribunal condamna le premier à 1 500 000 euros d’amende, et fait supporter cette amende à concurrence de 1 425 000 euros par la seconde. La décision, confirmée en appel, fit l’objet d’un pourvoi en cassation.
Deux moyens étaient soulevés : l’un relatif à la mise à la charge de la société de 95 % de l’amende infligée au capitaine du navire, l’autre à la preuve de l’origine volontaire la pollution provenant du rejet d'hydrocarbures.
Concernant, d’abord, la possibilité pour la juridiction de décider que le paiement des amendes prononcées à l'encontre du capitaine est en totalité ou en partie à la charge du propriétaire ou de l'exploitant, elle suppose que le propriétaire ou l'exploitant a été cité à l'audience. Cette disposition avait fait l’objet d’une QPC devant la chambre criminelle (Crim. 3 mai 2011, QPC ). Celle-ci avait refusé de renvoyer la question au Conseil constitutionnel en constatant que d'une part, la sanction prévue par l'article L. 218-23, § I du Code de l'environnement repose bien sur une faute et ne contrevient donc pas au principe de la responsabilité personnelle et que, d'autre part, elle ne peut être prononcée qu'après que le débiteur de l'amende a été cité à l'audience au cours de laquelle le capitaine doit être jugé.
Dans la présente affaire, pour décider de mettre à la charge de la société 95 % de l’amende infligée au capitaine , la cour d’appel avait retenu que ladite société était bien l’armateur du navire et que celle-ci, « assumant le rôle de “ship manager” et “d’ism manager”, avait la charge tant de l’exploitation du navire que de sa sécurité ».
Reprenant une solution déjà énoncée, la chambre criminelle retient que « l'article L. 218-23 du code de l'environnement, qui permet de mettre tout ou partie de l'amende prononcée à l'encontre du capitaine à la charge de l'exploitant ou du propriétaire du navire, ne distingue pas selon que l'exploitant agit en son propre nom ou pour le compte d'autrui » (Crim. 13 mars 2007). Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, une telle solution doit être approuvée.
S’agissant, ensuite, de la preuve de l’infraction de pollution maritime, celle-ci repose classiquement sur le principe de liberté de la preuve, conformément au droit commun. En cette matière, les juges peuvent donc fonder leur conviction sur un faisceau d'indices tirés par exemple de l'aspect de la nappe polluée ou de sa position par rapport au navire (Crim. 13 mars 2007, préc.). Il appartient donc aux juges d’apprécier les éléments de preuves d'un rejet illicite d'hydrocarbures.
En l’espèce, le tribunal a déduit des observations et photographies aériennes réalisées lors du survol du navire, des expertises et constatations effectuées sur le bateau, la preuve que la pollution provenant du rejet d'hydrocarbures par le navire, était d'origine volontaire. Ainsi, les juges retiennent-ils des observations visuelles du commandant de bord de l'aéronef des douanes et des photographies aériennes réalisées montrant notamment que le navire faisant route au 160 à la vitesse de 12 nœuds, laissait dans son sillage immédiat, une traînée de couleur argent différente du reste de la surface de la mer, alors qu'aucune pollution n'était visible à l'avant du navire. Par ailleurs, l’examen du navire et l’analyse du rapport d’inspection par l’expert ont mis en évidence treize déficiences, dont le démontage de la pompe d’assèchement, ayant produit une entrée d’eau en raison de l’absence d’étanchéité de la vanne de coque, ce qui avait contraint les mécaniciens à vider la cale machine.
La condamnation est donc justifiée.
Crim. 18 mars 2014, n° 13-81.921
Références
■ M. Ollivier, C. Thorel, A. Mouillé, « Le capitaine et le droit pénal », AJ pénal 2012. 585.
■ Paris, 30 mars 2010, n° RG 08/02278, Dr. env. 2010. 168, obs. S. Mabile et 196, obs. B. Seinmetz ; JCP G 2010, 432, obs. K. Le Coviour ; RSC 2010. 873, obs. J.-H. Robert.
■ Crim. 3 mai 2011, n° 11-90.012, QPC.
■ Crim. 13 mars 2007, Bull. crim. no 80, n° 06-80.922 ; DMF 2007. 908, obs. J.-M. Lassez, RSC 2007.820, obs. J.-H. Robert.
■ Code de l'environnement
« Est puni de 50 000 euros d'amende le fait, pour tout capitaine de se rendre coupable d'un rejet de substance polluante en infraction aux dispositions des règles 15 et 34 de l'annexe I, relatives aux contrôles des rejets d'hydrocarbures, ou en infraction aux dispositions de la règle 13 de l'annexe II, relative aux contrôles des résidus de substances liquides nocives transportées en vrac, de la convention Marpol.
En cas de récidive, les peines encourues sont portées à un an d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende. »
« Les peines relatives à l'infraction prévue au premier alinéa de l'article L. 218-11 sont portées à dix ans d'emprisonnement et 15 millions d'euros d'amende pour tout capitaine d'un navire-citerne d'une jauge brute inférieure à 150 tonneaux, ou de tout autre navire d'une jauge brute inférieure à 400 tonneaux dont la machine propulsive a une puissance installée supérieure à 150 kilowatts. »
« Les peines relatives à l'infraction prévue au premier alinéa de l'article L. 218-11 sont portées à dix ans d'emprisonnement et 15 millions d'euros d'amende pour tout capitaine d'un navire-citerne d'une jauge brute supérieure ou égale à 150 tonneaux ou de tout autre navire d'une jauge brute supérieure ou égale à 400 tonneaux, ainsi que pour tout responsable de l'exploitation à bord d'une plate-forme. »
« Est puni de sept ans d'emprisonnement et de 1 million d'euros d'amende le fait, pour tout capitaine de jeter à la mer des substances nuisibles transportées en colis en infraction aux dispositions de la règle 7 de l'annexe III de la convention Marpol. »
« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 200 000 € d'amende le fait, pour tout capitaine d'un navire, de se rendre coupable d'infractions aux dispositions de la règle 8 de l'annexe IV, des règles 3, 4 et 5 de l'annexe V et des règles 12, 13, 14, 16 et 18 de l'annexe VI de la convention MARPOL. »
I. - Est puni de 4 000 euros d'amende le fait, pour tout capitaine, de provoquer un rejet de substance polluante par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements.
Est puni de la même peine le fait, pour tout capitaine de provoquer par imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements un accident de mer tel que défini par la convention du 29 novembre 1969 sur l'intervention en haute mer en cas d'accident entraînant ou pouvant entraîner une pollution par les hydrocarbures, ou de ne pas prendre les mesures nécessaires pour l'éviter, lorsque cet accident a entraîné une pollution des eaux.
Les peines sont portées à :
1° 400 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 ;
2° 800 000 euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire ou d'une plate-forme entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 ;
3° 4, 5 millions d'euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 et qu'elle a pour conséquence, directement ou indirectement, un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement ;
4° 7, 5 millions d'euros d'amende lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 et qu'elle a pour conséquence, directement ou indirectement, un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement.
II. - Lorsque les infractions mentionnées au I ont pour origine directe ou indirecte soit la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, soit une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une particulière gravité que son auteur ne pouvait ignorer, les peines sont portées à :
1° 6 000 euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire n'entrant pas dans les catégories définies aux articles L. 218-12 ou L. 218-13 ;
2° Trois ans d'emprisonnement et 4, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 ;
3° Cinq ans d'emprisonnement et 7, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13 ou d'une plate-forme.
III.-Lorsque les infractions mentionnées au II ont pour conséquence directe ou indirecte un dommage irréversible ou d'une particulière gravité à l'environnement, les peines sont portées à :
1° Cinq ans d'emprisonnement et 7, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-12 ;
2° Sept ans d'emprisonnement et 10, 5 millions d'euros d'amende, lorsque l'infraction est commise au moyen d'un navire entrant dans les catégories définies à l'article L. 218-13.
IV.-Nonobstant les dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée qui exposait l'environnement à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »
« I. - Le tribunal peut, compte tenu des circonstances de fait et notamment des conditions de travail de l'intéressé, décider que le paiement des amendes prononcées à l'encontre du capitaine, en vertu des articles L. 218-11 à L. 218-19, est en totalité ou en partie à la charge du propriétaire ou de l'exploitant.
Le tribunal ne peut user de la faculté prévue au premier alinéa que si le propriétaire ou l'exploitant a été cité à l'audience.
II. - Les personnes physiques coupables des infractions prévues par la présente sous-section encourent également, à titre de peine complémentaire, la peine d'affichage de la décision prononcée ou de diffusion de celle-ci dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal. »
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