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[ 3 février 2015 ] Imprimer

Procédure pénale

Omission des faits dans un mandat d’arrêt et traduction orale des pièces de la procédure

Mots-clefs : Requête en nullité, Mandat d’arrêt, Mandat d’arrêt européen, Traduction, Interprète, Énoncé des faits

L’absence de l’énoncé des faits dans le mandat peut être palliée par leur exposé dans le mandat d’arrêt européen. L’article 803-5 du Code pénal prévoit, exceptionnellement, la possibilité de traduire oralement les pièces essentielles de la procédure sans affecter la validité des actes régulièrement accomplis.

En vertu d’un mandat d’arrêt européen succédant à un mandat d’arrêt français, un homme de nationalité hongroise a été remis aux autorités françaises. Celui-ci a formulé une requête en nullité du mandat faisant valoir d’une part, le fait que l’acte ne comportait aucune précision sur la nature des faits qui lui étaient reprochés, et d’autre part, que les documents essentiels auraient dû lui être remis avec une traduction écrite. Dès lors, deux moyens étaient soulevés : le premier relatif à l’absence des faits dans le mandat, et le second à la traduction uniquement orale des pièces essentielles à la procédure.

Rappelons qu’aux termes de l’article 122, alinéa 6, du Code de procédure pénale, le mandat d'arrêt est « l'ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l'encontre de laquelle il est décerné et de la conduire devant lui après l'avoir, le cas échéant, conduite à la maison d'arrêt indiquée sur le mandat, où elle sera reçue et détenue ». Considéré comme un titre de recherche, le mandat d’arrêt ne peut être décerné que « si la personne est en fuite ou si elle réside hors du territoire de la République » (C. pr. pén., art. 131), ces deux cas étant limitatifs (Crim. 25 janv. 1961). Il faut le distinguer du mandat d’arrêt européen qui remplace l’extradition entre les pays de l’union européenne pour certaines infractions. Selon l’article 695-11 du même Code, il s’agit d’« une décision judiciaire émise par un État membre de l'Union européenne, appelé État membre d'émission, en vue de l'arrestation et de la remise par un autre État membre, appelé État membre d'exécution, d'une personne recherchée pour l'exercice de poursuites pénales ou pour l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté. »

En l’espèce, le premier moyen tenait à l’absence de l’énoncé des faits dans le mandat d’arrêt européen. L’article 123 du Code de procédure pénale précise les conditions de forme à respecter, imposant que « [t]out mandat précise l’identité de la personne à l’encontre de laquelle il est décerné. Il est daté et signé par le magistrat qui l’a décerné et est revêtu de son sceau. Les mandats d'amener, de dépôt, d'arrêt et de recherche mentionnent en outre la nature des faits imputés à la personne, leur qualification juridique et les articles de loi applicables. »

Cet article s’inscrit dans la continuité de la doctrine selon laquelle une législation qui ne permet pas à tout citoyen de connaître les raisons de son arrestation et de sa détention est « oppressive » (v. Guéry, Chambon). Toutefois, dans le silence de la loi, la jurisprudence et la doctrine ont toujours considéré que les irrégularités de pure forme ne remettent pas en cause la validité des mandats de justice. Ainsi, l’omission du fait poursuivi n’entraine pas la nullité du mandat d’arrêt (Crim. 5 sept. 1817).

Dans l’affaire rapportée, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir considéré que « le mandat d’arrêt mentionnant la qualification, les dates ainsi que les lieux des faits et le mandat d’arrêt européen, lequel comportait un exposé des faits […] ainsi que leur qualification juridique », lui avait été lus  et que par conséquent, ce dernier « [avait] été informé dans le plus court délai des raisons de son arrestation, notamment de la nature des faits qui lui étaient imputés ». Ainsi, l’absence des faits dans le mandat d’arrêt a été compensée par leur exposé et leur qualification juridique dans le mandat d’arrêt européen.

La réelle difficulté de l’arrêt présenté tenait au second moyen relatif à l’obligation de traduire les pièces essentielles de la procédure, et plus précisément, des deux mandats d’arrêt, de l’interrogatoire et de la décision de placement en détention provisoire. Partant, l’absence de traduction écrite affecte-elle la validité de la procédure ?

Inséré dans le Code de procédure pénale par la loi n°2013-711 du 5 août 2013, l’article 803-5 du Code pénal pose un véritable droit à l’interprétation et à la traduction des pièces essentielles pour le prévenu d’origine étrangère ne parlant pas français : « S'il existe un doute sur la capacité de la personne suspectée ou poursuivie à comprendre la langue française, l'autorité qui procède à son audition ou devant laquelle cette personne comparaît vérifie que la personne parle et comprend cette langue ». Ce nouvel article est le fruit de l’obligation de transposer la directive 2010/64/UE du 20 octobre 2010, qui avait pour objet d’harmoniser les règles relatives au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales. La directive intègre de ce fait, les dispositions de l’article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ainsi, les dispositions issues de la loi de 2013 consacrent un droit général à l’interprétation, qui n’existait que de manière confuse, et créent une protection supplémentaire grâce au droit à la traduction des « documents essentiels » nécessaires à l’exercice de la défense, jusqu’alors absent du Code de procédure pénale.

Les modalités d’application de l’article 803-5 sont précisées par le décret n°2013-958 du 25 octobre 2013 (la loi n°2014-535 du 27 mai 2014 ayant inscrit a postériori ce renvoi en insérant un alinéa 3 à l’article 803-5). Ce décret a inséré douze articles dans le Code de procédure pénale (art. D. 594 à D. 594-11) visant à dessiner les contours de ce droit.

S’agissant de la traduction des pièces considérées « comme essentiel à l'exercice de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès », elles sont énumérées à l’article  D. 594-6. Concernant les autres pièces, la traduction pourra ne porter que sur les passages pertinents pour permettre à la personne d’avoir connaissance des faits qui lui sont reprochés (C. pr. pén., D. 594-7, al. 1er), l’appréciation de la pertinence étant déterminée, selon le stade de la procédure, par le procureur de la République, le juge d'instruction ou la juridiction de jugement saisie (C. pr. pén., D. 594-7, al. 2). La traduction doit intervenir dans un délai raisonnable tenant compte du nombre et de la complexité des documents ainsi que de la langue (C. pr .pén., D. 594-8).

Toutefois, la directive du 20 octobre 2010 prévoyait, à titre exceptionnel, la possibilité de recourir à un résumé oral d’un document essentiel, à la place d’une traduction écrite (Dir., art. 2.7). Une condition était néanmoins posée puisqu’il ne fallait pas que cette traduction orale porte atteinte au caractère équitable de la procédure. Une exception a donc été introduite sans pour autant que les contours et les modalités d’application soient précisés. 

Malheureusement, la loi du 5 août 2013, transposant cette directive à l’article 803-5 du Code pénal, ne fait pas état de la condition posée par le texte européen. Dès lors, certains redoutent que cette possibilité de traduction orale dépasse la simple application exceptionnelle. (v. Daoud et Rennuit-Alezra).

En l’espèce, la Cour de cassation approuve la cour d’appel qui considère que l’absence de traduction écrite ne saurait affecter la validité d’actes régulièrement accomplis. Ici, l’exception prévue à l’article 803-5 du Code pénal, permettant la traduction orale, est appliqué à bon droit.

Crim. 7 janv. 2015, n°14-86.226

Références

 Directive 2010/64/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 relative au droit à l’interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.

■ Crim. 25 janv. 1961, Bull. crim., n°47, D. 1961. 252, note Robert.

 Crim. 5 sept. 1817, DP 1817. 2 .511.

■ Ch. Guéry, P. Chambon, Droit et pratique de l’instruction préparatoire 2013/2014, Dalloz, 2012 , n°121.37.

■ E. Daoud et L. Rennuit-Alezra, « Le droit à un interprète : la consécration d’un nouveau droit », AJ pénal 2013. 527.

■ Article 803-5 du Code pénal

Pour l'application du droit d'une personne suspectée ou poursuivie, prévu par le III de l'article préliminaire, à un interprète ou à une traduction, il est fait application du présent article.

S'il existe un doute sur la capacité de la personne suspectée ou poursuivie à comprendre la langue française, l'autorité qui procède à son audition ou devant laquelle cette personne comparaît vérifie que la personne parle et comprend cette langue.

A titre exceptionnel, il peut être effectué une traduction orale ou un résumé oral des pièces essentielles qui doivent lui être remises ou notifiées en application du présent code.

Les modalités d'application du présent article sont précisées par décret, qui définit notamment les pièces essentielles devant faire l'objet d'une traduction.

■ Code de procédure pénale

Article 122

« Le juge d'instruction peut, selon les cas, décerner mandat de recherche, de comparution, d'amener ou d'arrêt. Le juge des libertés et de la détention peut décerner mandat de dépôt.

Le mandat de recherche peut être décerné à l'égard d'une personne à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Il ne peut être décerné à l'égard d'une personne ayant fait l'objet d'un réquisitoire nominatif, d'un témoin assisté ou d'une personne mise en examen. Il est l'ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l'encontre de laquelle il est décerné et de la placer en garde à vue.

Le mandat de comparution, d'amener ou d'arrêt peut être décerné à l'égard d'une personne à l'égard de laquelle il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la commission d'une infraction, y compris si cette personne est témoin assisté ou mise en examen.

Le mandat de comparution a pour objet de mettre en demeure la personne à l'encontre de laquelle il est décerné de se présenter devant le juge à la date et à l'heure indiquées par ce mandat.

Le mandat d'amener est l'ordre donné à la force publique de conduire immédiatement devant lui la personne à l'encontre de laquelle il est décerné.

Le mandat d'arrêt est l'ordre donné à la force publique de rechercher la personne à l'encontre de laquelle il est décerné et de la conduire devant lui après l'avoir, le cas échéant, conduite à la maison d'arrêt indiquée sur le mandat, où elle sera reçue et détenue.

Le juge d'instruction est tenu d'entendre comme témoins assistés les personnes contre lesquelles il a été décerné un mandat de comparution, d'amener ou d'arrêt, sauf à les mettre en examen conformément aux dispositions de l'article 116. Ces personnes ne peuvent pas être mises en garde à vue pour les faits ayant donné lieu à la délivrance du mandat.

Le mandat de dépôt peut être décerné à l'encontre d'une personne mise en examen et ayant fait l'objet d'une ordonnance de placement en détention provisoire. Il est l'ordre donné au chef de l'établissement pénitentiaire de recevoir et de détenir la personne à l'encontre de laquelle il est décerné. Ce mandat permet également de rechercher ou de transférer la personne lorsqu'il lui a été précédemment notifié. »

Article 123

« Tout mandat précise l'identité de la personne à l'encontre de laquelle il est décerné ; il est daté et signé par le magistrat qui l'a décerné et est revêtu de son sceau.

Les mandats d'amener, de dépôt, d'arrêt et de recherche mentionnent en outre la nature des faits imputés à la personne, leur qualification juridique et les articles de loi applicables.

Le mandat de comparution est signifié par huissier à celui qui en est l'objet ou est notifié à celui-ci par un officier ou agent de la police judiciaire, ou par un agent de la force publique, lequel lui en délivre copie.

Le mandat d'amener, d'arrêt ou de recherche est notifié et exécuté par un officier ou agent de la police judiciaire ou par un agent de la force publique, lequel en fait l'exhibition à la personne et lui en délivre copie.

Si la personne est déjà détenue pour une autre cause, la notification lui est faite comme il est dit à l'alinéa précédent, ou, sur instructions du procureur de la République, par le chef de l'établissement pénitentiaire qui en délivre également une copie.

Les mandats d'amener, d'arrêt et de recherche peuvent, en cas d'urgence être diffusés par tous moyens.

Dans ce cas, les mentions essentielles de l'original et spécialement l'identité de la personne à l'encontre de laquelle il est décerné, la nature des faits qui lui sont imputés et leur qualification juridique, le nom et la qualité du magistrat mandant doivent être précisés. L'original ou la copie du mandat est transmis à l'agent chargé d'en assurer l'exécution dans les délais les plus brefs. »

Article 131

« Si la personne est en fuite ou si elle réside hors du territoire de la République, le juge d'instruction, après avis du procureur de la République, peut décerner contre elle un mandat d'arrêt si le fait comporte une peine d'emprisonnement correctionnelle ou une peine plus grave. »

Article 695-11

« Le mandat d'arrêt européen est une décision judiciaire émise par un Etat membre de l'Union européenne, appelé Etat membre d'émission, en vue de l'arrestation et de la remise par un autre Etat membre, appelé Etat membre d'exécution, d'une personne recherchée pour l'exercice de poursuites pénales ou pour l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté privative de liberté.

L'autorité judiciaire est compétente, selon les règles et sous les conditions déterminées par le présent chapitre, pour adresser aux autorités judiciaires des autres Etats membres de l'Union européenne ou pour exécuter sur leur demande un mandat d'arrêt européen. »

Article D. 594-6

« Sans préjudice de la possibilité pour le procureur de la République ou pour la juridiction d'instruction ou de jugement saisie d'ordonner, d'office ou à la demande de la personne, la traduction d'un document considéré comme essentiel à l'exercice de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès, doivent être traduits en application de l'article préliminaire et de l'article 803-5 :

1° Les décisions de placement en détention provisoire, de prolongation ou de maintien de la détention, ou de rejet d'une demande de mise en liberté et les ordres d'incarcération prononcés dans le cadre de l'exécution d'un mandat d'arrêt européen ;

2° Les décisions de saisine de la juridiction de jugement ;

3° Les décisions statuant sur l'action publique et portant condamnation, prononcées ou homologuées par une juridiction ;

4° Le procès-verbal de première comparution ou de mise en examen supplétive, lorsque la copie en a été demandée en application de l'article 114. »

Article D. 594-7

« La traduction des documents essentiels peut ne porter que sur les passages de ces documents qui sont pertinents pour permettre à la personne d'avoir connaissance des faits qui lui sont reprochés.

Les passages pertinents de ces documents sont déterminés, selon le stade de la procédure, par le procureur de la République, par le juge d'instruction ou par la juridiction de jugement saisie. »

Article D. 594-8

« La traduction doit intervenir dans un délai raisonnable qui permette l'exercice des droits de la défense et tienne compte du nombre et de la complexité des documents à traduire, et de la langue dans laquelle ils doivent être traduits. »

■ Article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme – Droit à un procès équitable

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à:

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience.

 

Auteur :M. Y.


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