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Libertés fondamentales - droits de l'homme
On ne manifeste pas ostensiblement son appartenance religieuse à l’école !
La décision du ministre de l’éducation d’interdire le port de l’abaya ou du qamis ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (CE, référé-liberté du 7 sept.) ; il n’existe pas non plus de doute sérieux sur la légalité de cette interdiction (CE, référé-suspension du 25 sept.).
CE, réf., 7 sept. 2023, n° 487891
CE, réf., 25 sept. 2023, n° 487896 et 487975
Par une note de service du 31 août 2023 sur le respect des valeurs de la République à l’école, le ministre de l’éducation nationale Gabriel Attal a rappelé certains fondamentaux concernant le principe de laïcité à l’école et pris une position claire quant à la conduite à tenir pour les chefs et directeurs d’établissement et les inspecteurs de l’éducation nationale concernant notamment le port de l’abaya ou du qamis par les élèves.
■ Bref rappel concernant la laïcité dans l’enseignement public
La laïcité est un principe fondamental du droit de l’éducation, elle est l’une des valeurs de la République (C. éduc., art. L. 111-1).
Outre l’obligation de laïcité des programmes et des enseignants applicable depuis les lois de la Troisième République (V. CE 10 mai 1912, Abbé Bouteyre ; CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017 ; CEDH 15 févr. 2021, Dahlab c/ Suisse, n° 42393/98), s’est posée depuis quelques décennies la question de l’application du principe de laïcité aux élèves eux-mêmes et notamment dans l’enceinte de l’école concernant le port de signes ou de tenues religieuses et leurs comportements (pressions sur les croyances des autres élèves ou tentatives d'endoctrinement).
A l’origine s’était posée la question du port de signes religieux par les élèves et en l’absence de texte, le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, avait saisi le Conseil d’État d’une demande d’avis.
Dans son avis rendu le 27 novembre 1989 (n° 346893), le Conseil d’État indiquait que le port de signes d'appartenance religieuse, qui relève de la liberté d'expression, n'est pas incompatible avec le principe de laïcité, mais ce port ne saurait constituer un acte de prosélytisme, qui porterait atteinte à la laïcité de l'institution scolaire. À cette limite, s'ajoutaient celles que constituaient, d'une part, le respect de l'obligation légale d'assiduité, et d'autre part, celui du règlement intérieur de l'établissement et l'interdiction de l'atteinte au fonctionnement du service public ou de l'établissement.
À la suite de cet avis, le Conseil d’État a rendu de nombreuses décisions afin d’apprécier, au cas par cas, si le port de certains signes religieux apparaissait comme ostentatoire ou revendicatif (CE 2 nov. 1992, Kherouaa et a, n° 130394 ; CE 14 mars 1994, Mlle Ylmaz, n° 145656 ; CE 10 mars 1995, Aoukili, n° 159981 ; CE 20 oct. 1999, MEN c /Aït Ahmad, n° 181486).
L’analyse du Conseil d’État a été reprise par diverses circulaires de ministres de l’éducation nationale successifs (Lionel Jospin, 12 déc. 1989, recommandant le dialogue avec les familles; François Bayrou, 28 oct. 1993 et 20 sept. 1994, invitant à distinguer le discret et l'ostentatoire) mais face aux souhaits (notamment des chefs d’établissements) de pouvoir bénéficier d’une ligne de conduite à tenir plus claire, a été votée en 2004 la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes, de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics (n° 2004-228 du 15 mars 2004) qui a introduit dans le code de l’éducation un article L. 141-5-1 selon lequel " Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. / Le règlement intérieur rappelle que la mise en œuvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'élève ". Ce texte renforce les exigences de la laïcité.
C’est le caractère ostentatoire des signes religieux qui est visé par la loi, en revanche, les signes discrets, non ostensibles, peuvent être portés librement (ex : petite croix, étoile de David, main de Fatma…).
Si la distinction entre ostensible et ostentatoire n’est pas évidente, il convient de revenir à l'intention du législateur qui a été d'interdire les signes visibles, ceux que l'on met volontairement en avant pour revendiquer son appartenance religieuse et/ou tenter de l'imposer à autrui. La circulaire d’application de la loi de 2004 cite comme signes ostentatoires, à titre d'exemple «le voile islamique, quel que soit le nom qu'on lui donne, la kippa ou une croix de dimension excessive» (V. également CE 5 déc. 2007, Singh, n° 285394 : interdiction du port du keshi sikh ; CE 5 déc. 2007, M. et Mme Ghazal, n° 295671 : interdiction du port d'un carré de tissu de type bandana couvrant la chevelure à partir du moment où l'élève le porte en permanence et persiste avec intransigeance dans le refus d'y renoncer ; …).
■ L’apparition de nouvelles tenues dans l’enceinte de l’école
Depuis peu, sont portées par certains élèves des robes amples (abayas) ou des tuniques longues (qamis). La question s’est posée de savoir si ces tenues pouvaient être qualifiées de signes religieux ostentatoires.
La note de service de Gabriel Attal du 31 août 2023 apporte une réponse sans équivoque: « Dans certains établissements, la montée en puissance du port de tenues de type abaya ou qamis a fait naître un grand nombre de questions sur la conduite à tenir. Ces questionnements appellent une réponse claire et unifiée de l’institution scolaire sur l’ensemble du territoire. / En vertu de l’article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, qui reprend la loi du 15 mars 2004, le port de telles tenues, qui manifeste ostensiblement en milieu scolaire une appartenance religieuse, ne peut y être toléré. En application de cet article, à l’issue d’un dialogue avec l’élève, si ce dernier refuse d’y renoncer au sein de l’établissement scolaire ou durant les activités scolaires, une procédure disciplinaire devra être engagée ».
Le 7 septembre 2023, le juge des référés, saisi sur le fondement de la procédure du « référé-liberté » (CJA, art. L. 521-2), a refusé de suspendre la note de service interdisant le port de l’abaya et du qamis dans l’enceinte des établissements scolaires au motif que l’interdiction ne porte pas atteinte à une liberté fondamentale.
Pour cela, le juge des référés rappelle la forte augmentation des signalements d'atteinte à la laïcité liés au port de signes ou de tenues méconnaissant les dispositions de l'article L. 141-5-1 du code de l'éducation dans les établissements d'enseignement publics sur l’année scolaire 2022-2023 (1 984 signalements contre 617 au cours de l'année scolaire précédente). Ces signalements sont essentiellement liés au port « par des élèves d'écoles, de collèges et de lycées publics de tenues de type abaya, terme dont les représentants de l'administration ont indiqué au cours de l'audience qu'il doit s'entendre d'un vêtement féminin couvrant l'ensemble du corps à l'exception du visage et des mains, ou qamis, son équivalent masculin, et que le choix de ces tenues vestimentaires s'inscrit dans une logique d'affirmation religieuse ». Par ailleurs, l’ordonnance du Conseil d’État mentionne que le « ministre fait à cet égard valoir que le port de ces vêtements s'accompagne en général, notamment au cours du dialogue engagé, en application des dispositions législatives précitées, avec les élèves faisant le choix de les porter, d'un discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, inspiré d'argumentaires diffusés sur des réseaux sociaux ».
Ainsi, « il n'apparaît pas qu'en estimant que le port de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardés comme étant discrets, constitue une manifestation ostensible de l'appartenance religieuse des élèves concernés méconnaissant l'interdiction posée par les dispositions de l'article L. 145-5-1 du code de l'éducation et en invitant les chefs d'établissement, lorsque l'élève n'y a pas renoncé à l'issue d'une phase de dialogue, à engager une procédure disciplinaire, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée, à la liberté de culte, au droit à l'éducation et au respect de l'intérêt supérieur de l'enfant ou au principe de non-discrimination ».
Le 25 septembre 2023, le juge des référés du Conseil d’État, saisi cette fois sur le fondement de la procédure du « référé-suspension » (CJA, art. L. 521-1), a également refusé de suspendre la note de service du ministre de l’éducation nationale, en reprenant la même argumentation développée dans l’ordonnance du 7 septembre dernier (forte augmentation des signalements d’atteintes à la laïcité en milieu scolaire essentiellement en raison du port de l’abaya tenue vestimentaire qui s’inscrit dans une logique d’affirmation religieuse, …).
Ainsi, en mentionnant, dans sa note de service, que le port de l’abaya est une tenue manifestant ostensiblement une appartenance à une religion, le ministre a donné une exacte qualification à ce type de vêtement au sens de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation. Rappelons notamment que la circulaire de 2004 précitée mentionne à titre d’exemple certains signes et tenues interdits.
Par ailleurs, en interdisant le port de ce type de vêtements dans les établissements scolaires publics indépendamment de toute appréciation du comportement des élèves concernés, le ministre n’a pas excédé l’étendue de sa compétence ni méconnu les dispositions de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation ainsi que celles de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Enfin, si la note de service ne donne pas une définition précise des tenues vestimentaires en cause, cela n’est pas pour autant de nature à conduire à un traitement discriminatoire entre les élèves concernés.
A noter également, que le décret n° 2023-782 du 16 août 2023 relatif au respect des principes de la République et à la protection des élèves dans les établissements scolaires relevant du ministre chargé de l’éducation nationale a modifié l’article R. 421-10 du Code de l’éducation. Il prévoit désormais qu’une procédure disciplinaire est systématiquement engagée par le chef d’établissement « lorsque l’élève commet un acte portant une atteinte grave aux principes de la République, notamment au principe de laïcité ». A cet égard, la note de service du 31 août 2023 précise, concernant le port de l’abaya ou du qamis que « le fait de persister dans un comportement contraire à la loi du 15 mars 2004 ou de réitérer un tel comportement entre pleinement dans cette catégorie et doit donc être sanctionné disciplinairement ».
Avant toute sanction, Gabriel Attal rappelle que le dialogue doit d’abord être engagé rapidement avec l’élève (Point I, 2 de la note de service du 31 août précitée) ; et en cas d’échec de cette phase, une procédure disciplinaire devra systématiquement être engagée par le chef d’établissement (Point I, 3).
Enfin, pour rappel, l'article 10 de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance a inséré un article L. 141-5-2 dans le code de l’éducation qui a pour objectif de protéger la liberté de conscience des élèves en réprimant les pressions et tentatives d'endoctrinement.
Ainsi, à l’école l'expression des convictions religieuses des élèves est limitée ; une des missions de l’école (outre la transmission des connaissances) est de faire acquérir à tous les élèves le respect
Références
■ CE 10 mai 1912, Abbé Bouteyre
■ CE, avis, 3 mai 2000, Mlle Marteaux, n° 217017 A : AJDA 2000. 673 ; D. 2000. 747, note G. Koubi ; AJFP 2000. 39 ; RFDA 2001. 146, concl. R. Schwartz
■ CEDH 15 févr. 2021, Dahlab c/ Suisse, n° 42393/98 : AJDA 2001. 480, note J.-F. Flauss ; RFDA 2003. 536, note N. Chauvin.
■ CE, avis, 27 nov. 1989, n° 346893 : RFDA 1990. 1, note J. Rivéro ; AJDA 1990. 39, note J.-P. C.
■ CE 2 nov. 1992, Kherouaa et a, n° 130394 A : AJDA 1992. 833 ; ibid. 788, chron. C. Maugüé et R. Schwartz ; ibid. 2014. 104, chron. A. Lallet et E. Geffray ; D. 1993. 108, note G. Koubi ; RFDA 1993. 112, concl. D. Kessler.
■ CE 14 mars 1994, Mlle Ylmaz, n° 145656 A : AJDA 1994. 415 ; D. 1995. 135, obs. B. Legros ; RDSS 1995. 427, obs. I. Daugareilh.
■ CE 10 mars 1995, Aoukili, n° 159981 A: D. 1995. 365, note G. Koubi ; AJDA 1995. 332, concl. Y. Aguila
■ CE 20 oct. 1999, MEN c /Aït Ahmad, n° 181486 B : AJDA 2000. 165, note F. De la Morena ; D. 2000. 251, concl. R. Schwartz
■ CE 5 déc. 2007, Singh, n° 285394 A : RFDA 2008. 529, concl. R. Keller
■ CE 5 déc. 2007, M. et Mme Ghazal, n° 295671 A : RFDA 2008. 529, concl. R. Keller
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