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Droit des biens
On ne peut pas tout démolir sur son passage
Le juge ne peut ordonner la démolition d’une construction empiétant sur l’assiette d’une servitude de passage sans rechercher si cette mesure n’est pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile invoqué par son propriétaire.
Après avoir obtenu un permis de construire, un couple avait fait construire une maison d’habitation empiétant sur l’assiette d’une servitude de passage, d’une largeur de huit mètres, dont bénéficiaient conventionnellement, depuis près de trente ans, plusieurs propriétaires indivis. Ces derniers avaient alors assigné les propriétaires du fonds servant en démolition de la construction et en suppression de tous les équipements et plantations obérant cette servitude.
Pour accueillir leur demande, la cour d’appel retint que du fait de l’empiètement, le passage était réduit de moitié à hauteur du garage annexé à leur propriété et qu’un déplacement de l’assiette de la servitude ne pouvait être imposé au propriétaire du fonds dominant que dans les conditions prévues à l’article 701, dernier alinéa, du Code civil.
La Cour de cassation casse cet arrêt, reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché, comme il le leur était demandé, si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du fait que la maison constituait le domicile des propriétaires du fonds servant.
La Cour de cassation confirme ainsi un revirement de sa jurisprudence jadis rendue en faveur du propriétaire victime d’un empiètement qui, grâce à l’absolutisme du droit de propriété empêchant quiconque d’être contraint de céder sa propriété pour cause d’utilité privée (C. civ., art. 545), voyait sa demande en démolition systématiquement accueillie (Civ. 3e, 14 mars 1973, n° 72-11.752, Civ. 3e, 26 juin 1979, n° 78-10.567). Même lorsque l’empiètement était minime, ou son auteur de bonne foi (Civ. 3e, 26 juin 1979, préc. ; v. aussi pour un empiétement d’une partie de la clôture de 0,5 cm, Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015 : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que peu importe la mesure de l’empiétement, la cour d’appel a violé le texte susvisé »). Ainsi la haute cour appliquait-elle avec rigueur l’article 545 pour ordonner la démolition intégrale de l’ouvrage, seule à même de faire cesser l’empiètement, en sorte que tout droit concurrent susceptible d’être mis en balance avec le droit de propriété ainsi protégé se trouvait purement et simplement ignoré. Sa jurisprudence ultérieure s’est toutefois assouplie : par une meilleure prise en compte des circonstances factuelles, principalement celles liées au caractère mineur de l’empiètement (Civ. 3e, 23 juin 2015, n° 14-11.870, « l’empiétement (étant) dû au seul enduit de façade de l’immeuble, sans que les semelles de cet immeuble débordent sur la parcelle voisine ») et de ses effets (Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-20.247 : non seulement minimes, les empiétements dénoncés ne diminuaient pas l’usage de la servitude et n’en rendaient pas l’exercice plus incommode), elle écartait ainsi la sanction systématique de la démolition de l’ouvrage empiétant sur le terrain d’autrui (v. à propos de Civ. 3e, 23 juin 2015, n° 14-11.870, préc. : le simple grattage de l'enduit du mur litigieux suffit à réparer l'empiètement de ce mur sur la propriété du demandeur en démolition). Aussi bien, si la cessation de l’empiètement était nécessaire, elle était toutefois suffisante et pouvait être obtenue autrement que par la démolition de la construction.
Enfin, par un arrêt du 10 novembre 2016 (Civ. 3e, 10 nov. 2016, n° 15-25.113), la Haute cour consacra la nécessité d’opérer, en cette matière, un contrôle de proportionnalité que la cour d’appel avait, en l’espèce, omis d’exercer, ce qui justifie la cassation. Même si la décision de la cour d’appel n’est cassée que pour manque de base légale, on ne peut que remarquer que la Cour rend son arrêt au visa de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui fonde, notamment, le droit au respect du domicile. La Cour reproche ainsi aux juges du fond de ne pas avoir recherché si le simple déplacement de la servitude sur une autre partie du fonds servant n’aurait pas suffi à mettre fin à l’empiétement constaté, tout en préservant le droit au respect du domicile de ceux auxquels une telle injonction serait délivrée.
Rappelons que de la liberté fondamentale du domicile découlent traditionnellement trois droits distincts mais complémentaires : le droit d’élire son domicile ; le droit d’en jouir à sa convenance ; le droit d’être protégé contre les violations éventuelles de celui-ci.
Plus récemment, un nouveau droit subjectif a émergé : le droit au logement, entendu comme le droit « à » un domicile. En l’espèce, les demandeurs au pourvoi entendaient précisément se prévaloir du principe de son inviolabilité : conséquence naturelle du droit au respect de la vie privée, le caractère inviolable du domicile suppose de protéger ce dernier contre les ingérences d’autorités publiques ou de personnes privées. En ce sens, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme affirme que toute personne a droit au respect de son domicile et que toute ingérence dans l’exercice de ce droit doit non seulement être prévue par la loi mais également constituer une mesure qui, « dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».
Le principe de nécessité de l’ingérence implique celui de proportionnalité dont les demandeurs réclamaient, en l’espèce, l’application, conformément à la position de la Cour de cassation qui montre également que le droit au respect du domicile peut l’emporter sur le droit de propriété dès lors que ceux qui l’invoquent occupent leur logement de manière licite (comp. Civ. 3e, 28 nov. 2019, n° 17-22.810, Civ. 3e, 4 juill. 2019, n° 18-17.119).
Civ. 3e, 19 déc. 2019, n° 18-25.113
Références
■ Civ. 3e, 14 mars 1973, n° 72-11.752 P
■ Civ. 3e, 26 juin 1979, n° 78-10.567 P
■ Civ. 3e, 20 mars 2002, n° 00-16.015 P: D. 2002. 2075, et les obs., note C. Caron ; ibid. 2507, obs. B. Mallet-Bricout ; RTD civ. 2002. 333, obs. T. Revet
■ Civ. 3e, 23 juin 2015, n° 14-11.870
■ Civ. 3e, 14 janv. 2016, n° 14-20.247: AJDI 2016. 294
■ Civ. 3e, 10 nov. 2016, n° 15-25.113 P: D. 2016. 2336 ; ibid. 2017. 1068, chron. A.-L. Méano et A.-L. Collomp ; ibid. 1789, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2017. 454, obs. C. Dreveau
■ Civ. 3e, 28 nov. 2019, n° 17-22.810 P: D. 2019. 2350
■ Civ. 3e, 4 juill. 2019, n° 18-17.119 P: D. 2019. 2163, note R. Boffa ; ibid. 2199, chron. L. Jariel, A.-L. Collomp et V. Georget
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