Actualité > À la une

À la une

[ 15 novembre 2018 ] Imprimer

Droit pénal général

« On ne taquine pas le moineau»

La Cour de cassation rappelle dans une décision du 16 octobre 2018 qu’une tolérance des autorités administratives, contraire à des textes en vigueur instituant des infractions à la police de la chasse, ne saurait faire disparaître ces dernières.

A la suite d'une plainte de l'association La ligue pour la protection des oiseaux, les services de l'office national de la chasse et de la faune sauvage ont procédé au contrôle d'une chasse tendue avec vingt-huit matoles. Pour les non-familiers, une matole est un piège à petit oiseau qui prend celui-ci vivant. L'oiseau est attiré par un congénère « appelant » de manière à favoriser la capture d’autres oiseaux de la même espèce. Ici, cinq bruants ortolans (petits passereaux) servant d’appelants étaient détenus dans cinq cages dont deux sont en hauteur, deux oiseaux étant pris sous deux matoles recouvertes de sacs et de tissus.

Le propriétaire de cette installation, a été poursuivi pour utilisation et détention non autorisées d'espèce animale protégée (C. envir., art. L. 415-3) et chasse à l'aide d'un moyen prohibé (C. envir., art. R. 428-8). Déjà déclaré coupable en première instance, il fut condamné en pour utilisation et détention non autorisées d'espèce animale protégée à 1 000 euros d'amende dont 700 euros avec sursis et pour chasse à l'aide d'un moyen prohibé à 150 euros d'amende.

Le prévenu a invoqué sans succès une tolérance administrative comme susceptible de priver sa démarche de l’élément intentionnel requis pour caractériser les délits qui lui étaient reprochés. Rejetant son pourvoi, la chambre criminelle rappelle « qu’une tolérance des autorités administratives, contraire à des textes en vigueur instituant des infractions à la police de la chasse, ne saurait faire disparaître ces dernières ». Elle approuve donc les juges du fond d’avoir retenu que « la tolérance administrative à l'égard d'une pratique locale traditionnelle invoquée, consistant pour les autorités administratives à permettre la chasse d’oiseaux appartenant à une espèce protégée, pendant plusieurs années, et dans les assurances données, notamment par des responsables politiques ou associatifs, ne sont pas de nature mettre à néant une interdiction édictée par la loi ». Dès lors, la Cour d’appel a parfaitement caractérisé l’élément intentionnel du délit en retenant que « le prévenu qui n'a pas contesté connaître l'interdiction qui frappait la chasse à laquelle il se livrait et qui affirme que « cette tolérance était connue de tous» admet nécessairement, dès lors, que l'interdiction elle-même était également connue de tous et donc a fortiori de lui-même ». 

L’exclusion de la tolérance administrative comme fait justificatif de responsabilité pénale comme procédant des dispositions de l’article 122-4 du code pénal n’est pas nouvelle. La chambre criminelle se montre, de jurisprudence ancienne, hostile à l'idée que de simples tolérances administratives puissent valoir justification d'une infraction. Elle a ainsi considéré qu’un usage local, si ancien qu'il soit, et la tolérance de l'autorité ne sauraient constituer un droit ni servir d'excuse à une contravention (Crim. 29 janv. 1898). De manière constante, elle admet qu’il n'y a de tolérance opposable devant les tribunaux que celle qui résulte d'une disposition expresse de la loi, la tolérance de l'autorité ne pouvant constituer un droit, ni servir d'excuse à une infraction et paralyser la force obligatoire de règlements légalement pris (Crim. 12 mars 1975, n° 74-90.876. Crim. 18 juill. 1956. Crim. 31 janv. 1962. Crim. 11 mai 1992, n° 91-84.827).

En matière de chasse d’oiseaux appartenant à une espèce protégée, la solution est d’autant plus logique qu’il existe à l’interdiction de capture, de destruction ou d’enlèvement dans le milieu naturel, des dérogations pouvant être délivrées, soit par l’autorité préfectorale, soit par le ministre de l’environnement, selon une procédure précise impliquant une décision expresse (C. envir., art. L. 411-2 et R. 411-6 à R. 411-14). A l’exigence d’une autorisation expresse émanant d’autorités déterminées ne peut être assimilée une acceptation tacite administrative locale. 

Au-delà de l’aspect juridique, on se félicitera de la décision de la chambre criminelle à l’heure où les études scientifiques dénoncent déclin « catastrophique », de près d’un tiers des oiseaux en quinze ans dans nos campagnes.

Crim. 16 oct. 2018, n° 17-86.802 

Références

■ Crim. 29 janv. 1898: DP 1899. 1. 262

■ Crim. 12 mars 1975, n° 74-90.876 P 

■ Crim. 18 juill. 1956: Bull. crim. n° 547

■ Crim. 31 janv. 1962: Bull. crim. n° 72; D. 1962. 485 (1re esp.), note J.-M. R. 

■ Crim. 11 mai 1992, n° 91-84.827 P: RSC 1993. 542, obs. Bouloc

 

Auteur :Caroline Lacroix

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr