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Droit des obligations
Opération de défiscalisation : précisions sur le point de départ du délai de prescription
Dans le cadre d’une opération immobilière de défiscalisation, l’action en responsabilité des différents intervenants à cette opération pour manquement à leur devoir d’information est soumise au délai quinquennal de droit commun, courant à compter de la date où le risque de moins-value s’est réalisé.
Civ. 3e, 1er févr. 2024, n° 22-13.446
Lorsqu’un investisseur prend la décision d’acquérir un bien dans le cadre d’un dispositif de défiscalisation, il n’est pas rare qu’il découvre finalement que son bien ne présente pas la rentabilité locative escomptée, que les avantages fiscaux sont moindres que ceux promis ou encore que la valeur de revente du bien est inférieure à celle espérée. Sa déception étant généralement tardive, en pratique, la question de la prescription de son action se pose souvent. En témoigne la décision rapportée.
Au cas d’espèce, le schéma contractuel était classique : un promoteur immobilier charge une société de conseil en gestion de patrimoine de démarcher des investisseurs potentiels sur un lot d’appartements en l’état futur d’achèvement. Celle-ci présente la vente du bien comme un investissement sécurisé, permettant de percevoir des loyers et de bénéficier d’un dispositif de défiscalisation. Une fois entrée en relation avec un couple d’investisseurs, la société assure alors à ce dernier que le bien pourra a minima être revendu au même prix que celui versé au jour de l’acquisition, voire qu’une plus-value à la revente pourra être réalisée. Le tout étant financé par un prêt, afin que les acquéreurs n’aient pas à utiliser leurs économies. Plusieurs années après que cette opération prometteuse a été conclue, les acquéreurs découvrent malheureusement avoir réalisé un mauvais investissement. Comme souvent en ce domaine, et à la différence d’une acquisition immobilière classique, la découverte du caractère peu rentable de l’opération de défiscalisation se révèle tardivement, compte tenu de la période relativement longue des dispositifs de défiscalisation, conduisant ainsi à un risque de prescription de l’action en responsabilité, en l’espèce encourue par ce couple d’investisseurs malchanceux. En effet, alors que l’opération avait été conclue le 30 juillet 2009, ce n’est que par actes d'huissier de justice des 12, 16 et 17 janvier 2017 que le couple assigna en responsabilité et en indemnisation les différents intervenants, soit le promoteur, la conseillère en patrimoine ainsi que la banque, pour manquement à leurs obligations d'information et de conseil. En appel, la cour jugea leur action prescrite, les juges ayant retenu comme point de départ du délai quinquennal de prescription applicable la date de conclusion du contrat, soit le 30 juillet 2009. Devant la Cour de cassation, les acquéreurs soutiennent que la prescription d'une action en responsabilité ne courant qu'à compter de la manifestation du dommage, le point de départ du délai quinquennal doit être fixé, lorsque l'action trouve son fondement dans le manquement d'un professionnel à une obligation de renseignement, de mise en garde ou de conseil, au jour de la réalisation du risque qu’une exécution correcte de cette obligation aurait prévenu, et non au jour de la conclusion de l'opération litigieuse. Appliqué à l’espèce, l’argument revenait à démontrer que la perte financière dont l'indemnisation était sollicitée était née de l'impossibilité de revendre, du fait de sa surestimation initiale, le bien immobilier acquis à crédit dans le cadre d'un programme de défiscalisation à un prix suffisant pour permettre le remboursement du capital emprunté, lequel n'était exigible, en raison d'un différé d'amortissement, qu'à l'issue de la période de défiscalisation et que ce préjudice n'ayant donc pu se manifester antérieurement, la cour d'appel ne pouvait fixer le point de départ du délai de prescription au jour de la vente, aux motifs théoriques que le dommage résultant d'un manquement à une obligation précontractuelle d'information et de conseil, consistant en la perte d'une chance de ne pas contracter, se manifesterait dès la conclusion du contrat et que la valeur du bien immobilier que l'on envisage d'acquérir serait un élément accessible et connu dès le jour de l'acquisition.
La Cour de cassation était ainsi amenée à se prononcer sur le point de départ de la prescription d’une action en responsabilité des différents intervenants à la vente pour manquement à leur obligation d’information et de conseil, engagée dans le cadre d’une opération de défiscalisation.
S’agissant de la prescription de ce type d’action (une action en nullité pour dol pouvant aussi être engagée), il convient au préalable de rappeler deux éléments :
■ Aux termes de l’article 2224 du Code civil, l’action en responsabilité est susceptible d’être engagée dans les 5 ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
■ La jurisprudence précise également que le délai de prescription de l’action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas précédemment connaissance (par ex. Civ. 3e, 24 mai 2006, n° 04-19.716).
Dans le cadre d’opérations de défiscalisations immobilières, la découverte du dommage s’effectue généralement plusieurs années après l’acquisition du bien, dans la mesure où les investisseurs victimes ne se rendent compte du préjudice subi qu’au terme de la période de défiscalisation, soit au moment de faire le bilan des gains fiscaux attendus et de revendre leur bien. Si les actions en justice sont théoriquement prescrites – le délai de 5 ans étant généralement écoulé – il est toutefois envisageable de déplacer le point de départ de la prescription, afin de rendre recevables lesdites actions. Ce à quoi procède ici la troisième chambre civile.
Au visa de l’article 2224 du Code civil, elle censure l’analyse des juges du fond ayant retenu, pour fixer le point de départ du délai de prescription au jour de la signature de l’acte authentique de vente, que la valeur du bien immobilier que l'on envisage d'acquérir est un élément accessible et connu au jour de l'acquisition et que les acquéreurs sont en conséquence mal fondés à soutenir avoir découvert cette surévaluation le 14 septembre 2012, jour de l'envoi d'un courrier électronique les avisant d'un risque de perte de 30 % par rapport au prix d'achat : « En statuant ainsi, alors que dans une opération d'investissement immobilier locatif avec défiscalisation comportant un emprunt dont le remboursement du capital était différé à dix ans, le point de départ de l'action en responsabilité engagée par l'acquéreur contre des professionnels pour manquement à leurs obligations respectives d'information, de conseil, ou de mise en garde, est le jour où le risque s'est réalisé, soit celui où l'acquéreur a appris qu'il serait dans l'impossibilité de revendre le bien à un prix lui permettant de rembourser le capital emprunté, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
La Cour de cassation étend ainsi à tous les professionnels intervenant à ce type d’opérations ce qu’elle avait déjà jugé, par un arrêt de revirement, à propos du banquier dispensateur de crédit (Com. 6 mars 2019, n° 17-22.668). Face au constat que les acquéreurs ne prennent conscience de leur méprise qu’au terme de la période de défiscalisation, la Haute cour fixe donc le point de départ du délai quinquennal de prescription à la date de réalisation du risque de perte financière pour permettre aux investisseurs, dont elle ne souhaite pas sanctionner l’ignorance légitime à la date de conclusion de l’opération, d’échapper à la prescription de leur action en indemnisation.
Références :
■ Civ. 3e, 24 mai 2006, n° 04-19.716 : D. 2006. 1633, obs. I. Gallmeister ; RDI 2006. 311, obs. P. Malinvaud
■ Com. 6 mars 2019, n° 17-22.668 : AJ contrat 2019. 251, obs. J. Moreau
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