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Droit des obligations
Opérations spéculatives : la témérité de l’investisseur tempère la responsabilité du professionnel
Mots-clefs : Banque, Responsabilité, Devoir d’alerte, Obligation d’information, Warrants, Investisseur profane, Conscience des risques (oui), Faute, Partage de responsabilité (oui)
L’investisseur profane qui aggrave la situation débitrice de son compte par des investissements risqués et répétés destinés à compenser ses pertes commet une faute qui atténue la responsabilité de l’établissement bancaire.
Le titulaire d’un compte de dépôt et d’un compte titres avait conclu avec sa banque une convention de découvert du compte de dépôt pour une durée de trois mois, renouvelée à son terme pour la même durée. En raison de l’aggravation, née des investissements répétés de son client, de la situation débitrice du compte, la banque l’avait assigné en paiement.
Invoquant le manquement de la banque à ses obligations d’information et de mise en garde, le client avait demandé, à titre reconventionnel, le paiement de dommages-intérêts d’un montant égal au solde débiteur du compte litigieux.
La cour d’appel décida d’un partage de responsabilité entre la banque et son client, ce dernier l’engageant à hauteur d’un tiers du solde débiteur du compte ; elle retint à sa charge la particulière imprudence dont il avait fait preuve en investissant de manière croissante et massive à l’effet de compenser les pertes subies, ce qui avait eu pour conséquence directe et immédiate d’aggraver sa situation.
À l’appui du pourvoi en cassation qu’il forma, le client fit valoir le faible degré de conscience du risque présenté par les opérations litigieuses et souligna que même à la supposer démontrée, sa faute d’imprudence ne saurait justifier l’engagement de sa responsabilité dès lors que le manquement de la banque à ses obligations avait été établi.
La chambre commerciale rejette son pourvoi en ces termes : « qu’après avoir relevé que [le client] avait un faible degré de conscience du risque présenté par les opérations effectuées et une compétence notoirement insuffisante en matière de warrants, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que l’intéressé, bien que donneur d’ordre non averti, était à même, du fait de son expérience professionnelle de dirigeant d’une société florissante, de s’inquiéter des lourdes pertes financières éprouvées, dont il avait forcément connaissance, et de freiner ainsi ses velléités de spéculateur néophyte ».
La Cour de cassation impose depuis longtemps aux établissements bancaires une obligation générale d'information sur les risques des opérations spéculatives (Com. 5 nov. 1991). Dans cet arrêt de principe, la Cour, au visa de l'article 1147 du Code civil, admit que quelles que soient les relations contractuelles entre un client et sa banque, celle-ci a le devoir de l'informer des risques encourus dans les opérations spéculatives sur les marchés à terme, hors le cas où il en a connaissance (v. égal., à propos d’un contrat de tenue de compte, Com. 23 févr. 1993)
Cette obligation, en ce qu’elle s’attache seulement à la qualité de professionnel de son débiteur, est indépendante de la nature juridique du lien contractuel ; présumé profane, le client doit dans tous les cas bénéficier de la compétence du professionnel avec lequel il traite.
Établie spécialement à l'égard du banquier, cette jurisprudence se trouve également applicable aux sociétés de bourse (Com. 23 févr. 1999).
Toutefois, la conscience du client du risque des opérations boursières, ainsi que sa compétence, ont une incidence sur l’appréciation de la responsabilité du professionnel, qu’il s’agisse de l’exclure ou de l’atténuer par l’engagement de celle de son client, s’il se révèle également fautif. Les juges tiennent compte autant de sa compétence professionnelle que de la connaissance qu’il a eu, par d’autres biais, pour acquérir les mécanismes boursiers (Com. 18 févr. 1997: où les juges se sont fondés à la fois sur la qualité d'employé de banque du donneur d’ordre mais également sur la façon dont il avait géré son portefeuille au moment d’une crise boursière, révélant sa grande maîtrise des opérations litigieuses d’autant plus qu’elles portaient sur des produits réservés aux amateurs éclairés).
En l’espèce, ce fut l’expérience professionnelle du client, dirigeant d’une société en pleine croissance, qui a conduit les juges à retenir un partage de responsabilité entre lui et la banque. Ainsi, le fait pour le client d’avoir persisté dans ses investissements en dépit du constat de lourdes pertes constitua une faute, laquelle n’exclut pas cependant celle de la banque, qui a manqué à son obligation d’information et de vigilance.
En effet, la responsabilité du professionnel ne peut être écartée du seul fait qu’un donneur d'ordre connaissait les opérations effectuées et les risques encourus : de ce seul constat ne peut être déduite l’exécution, par le professionnel, de son obligation d'informer son client des risques liés aux opérations spéculatives sur les marchés à terme (Com. 2 nov. 1994).
Toutefois, la responsabilité du professionnel peut être écartée ou atténuée en cas de trop grande témérité du client. Ainsi avait-il déjà été retenu qu’un client s’étant engagé dans des conditions particulièrement hasardeuses et augmentant sans cesse le débit de son compte devait, par l’imprudence de son comportement, engager personnellement sa responsabilité, au moins partiellement (Com. 26 nov. 1996). Il en fut de même dans une espèce où un client, pourtant informé des risques des opérations qu'il effectuait, n'avait contesté le solde de son compte qu’après avoir pris connaissance de ses pertes (Com. 22 mai 2001).
Com. 4 nov. 2014, n°13-24.196
Références
■ Sur le warrant : Ch. Albiges, M.-P. Dumont-Lefrand, Droit des sûretés, 4e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2013, 490 s.
« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
■ Com. 5 nov. 1991, n°89-18.005, RTD com. 1992. 436.
■ Com. 23 févr. 1993, n° 91-10.960, D. 1993. 424.
■ Com. 23 févr. 1999, n°97-11.272.
■ Com. 18 févr. 1997, n°94-21.644.
■ Com. 2 nov. 1994, n°92-20.275.
■ Com. 26 nov. 1996, n°94-15.884.
■ Com. 22 mai 2001, n°98-19.884.
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