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Procédure civile
Option de compétence versus concentration des moyens : l’Assemblée plénière vient de trancher
Nonobstant le principe de la concentration des moyens, l’option laissée à la victime d’une infraction entre le juge pénal et le juge civil pour exercer l’action indemnitaire lui permet, lorsque celle-ci n’a pas été engagée au pénal, d’agir ultérieurement au civil.
Cass., ass. plén., 14 avril 2023, n° 21-13.516 B
Le principe de concentration des moyens ne fait pas obstacle à ce que la victime d'une infraction pénale qui n'a pas exercé l'action civile devant le juge répressif l'exerce par la suite devant le juge civil. Tel est l'enseignement de l’arrêt rapporté, marquant un point final à la saga judiciaire l’ayant précédé.
Un conducteur avait occasionné un accident mortel de la circulation. Une chambre des appels correctionnels l’avait relaxé de l’infraction d’homicide involontaire. Or les ayants droit de la victime décédée n’avaient pas, devant la cour d’appel, formé de demande indemnitaire sur le fondement de l’article 470-1 du Code de procédure pénale, lequel prévoit que le juge pénal qui prononce la relaxe « demeure compétent, sur la demande de la partie civile […] pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ». Les victimes n’ayant pas exercé l’action civile devant le juge pénal, demeuraient-elles recevables à engager cette action devant le juge civil ? Opposée à cette « voie de rattrapage », une première cour d’appel jugea que le principe de concentration des moyens issu de la jurisprudence Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672) obligeait à considérer que les victimes auraient dû former leur demande ab initio, devant le juge répressif, de sorte que la même action, formulée ultérieurement devant le juge civil, devait être jugée irrecevable. Cette solution fut censurée une première fois en 2019 (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-15.738) en ces termes : « le principe de la concentration des moyens ne s’étend pas à la simple faculté que la partie civile tire de l’article 470-1 du code de procédure pénale de présenter au juge pénal une demande visant à obtenir, selon les règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits ayant fondé la poursuite ; que, dès lors, la circonstance que la partie civile n’ait pas usé de cette faculté ne rend pas irrecevables comme méconnaissant l’autorité de la chose jugée les demandes de réparation des mêmes dommages présentées par elle devant le juge civil ». Et la nouvelle cour d’appel saisie du litige de maintenir la position des premiers juges, réitérant leur refus de faire droit aux demandes indemnitaires des victimes, motif pris de la règle de la concentration des moyens.
D’où la saisine de l’Assemblée plénière, qui confirme au contraire la position adoptée par la Cour de cassation, qu’elle explicite ainsi : « lorsque la partie civile n'a pas usé de la faculté qui lui est ouverte par l'article 470-1 du code de procédure pénale, elle ne peut être privée de la possibilité de présenter ses demandes de réparation devant le juge civil. L'interprétation contraire aboutirait à priver d'effet l'option de compétence qui lui est ouverte par la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983 ». Au cœur de cette décision, le terme de « faculté », déjà employé par la Haute cour en 2019, est signifiant. Si la loi donne à la victime la « faculté » d’exercer l’action civile devant le juge répressif, c’est qu’elle ne l’y contraint pas. Partant, la victime qui fait le libre choix de pas exercer cette faculté ne peut se le voir reprocher ; en effet, celui qui n’use pas d’une liberté ne peut être considéré comme négligent ou fautif. La décision est ainsi justifiée par l’option de compétence offerte à la victime, qui peut exercer l’action civile devant le juge répressif ou le juge civil. Outre la méconnaissance de cette faculté légale, la censure de l’analyse retenue par deux fois par les juges du fond est encore justifiée par leur dénaturation de l’obligation de concentration des moyens. En effet, un moyen est, par définition, un argument juridique de nature à fonder une demande. Or ne pas former de demande indemnitaire devant le juge pénal ne peut être confondu avec le fait de ne pas invoquer un moyen juridique : requise, la concentration des moyens se distingue de la concentration des demandes qui n’est pas, quant à elle, exigée (Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 15-16.743 ; Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.372 ; Civ. 3e, 17 juin 2015, n° 14-14.372).
A deux titres, la solution d’Assemblée plénière semble donc devoir être approuvée : d’une part, l’option de compétence offerte à la victime fait échec à l’argument tiré de l’obligation de la concentration des moyens ; d’autre part, le rappel de la distinction, parfois malmenée (Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266 ; Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.972 et 18-23.370), entre l’obligation précitée et la concentration des moyens mérite d’être saluée.
Références :
■ Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672 P : D. 2006. 2135, et les obs., note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot.
■ Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-15.738
■ Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 15-16.743 P : D. 2016. 1083 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2016. 923, obs. P. Théry.
■ Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.372 : AJDI 2018. 54.
■ Civ. 3e, 17 juin 2015, n° 14-14.372 P : D. 2015. 1369 ; ibid. 2198, chron. A.-L. Méano, V. Georget et A.-L. Collomp ; RTD civ. 2015. 869, obs. H. Barbier.
■ Civ. 1re, 28 mai 2008, n° 07-13.266 P : D. 2008. 1629, obs. X. Delpech ; ibid. 3111, obs. T. Clay ; RTD civ. 2008. 551, obs. R. Perrot ; RTD com. 2010. 535, obs. E. Loquin.
■ Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.972 P : D. 2020. 493 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle.
■ Civ. 2e, 27 févr. 2020, n° 18-23.370 P : D. 2020. 493 ; ibid. 2198, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle.
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