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Droit des obligations
Paiement de la dette d’autrui et gestion d’affaires
Mots-clefs : Obligations, Quasi-contrat, Gestion d’affaires
La conjonction de l’intérêt du gérant et de celui du maître de l’affaire n’est pas exclusive de l’existence d’une gestion d’affaires.
Plusieurs raisons peuvent être à l’origine de la dette d’autrui. Si l’on met de côté l’erreur, qui permet au solvens d’agir en répétition de l’indu contre le créancier (art. 1377 C. civ.), on pense naturellement à l’intention libérale, conduisant une personne à soulager le débiteur de sa dette. C’est d’ailleurs dans le sens d’une présomption simple de libéralité que la jurisprudence s’est fixée, la Cour de cassation énonçant qu’il appartient au solvens de « démontrer que la cause dont procédait ce paiement impliquait, pour le débiteur, l'obligation de lui rembourser les sommes versées » (Civ. 1re, 2 juin 1992 ; Civ. 1re, 17 nov. 1993). Une option s’ouvre alors au solvens qui prétend exercer un recours contre le débiteur. Il peut, en premier lieu, arguer de l’existence d’un contrat préexistant — mandat ou prêt — en vertu duquel il a payé à la place du tiers, à charge pour ce dernier de le rembourser. Il peut, en second lieu, solliciter le fondement quasi contractuel en invoquant la gestion d’affaires.
C’est cette voie qu’avait choisi le solvens dans une espèce qui a donné lieu à l’arrêt commenté : après avoir réglé les dettes de la débitrice envers un établissement de crédit et le Trésor public, le solvens lui réclamait le remboursement des sommes versées, alléguant qu’en procédant au paiement litigieux, il avait voulu protéger le patrimoine de la défenderesse, menacé par une procédure de saisie diligentée par les créanciers désintéressés.
Accueillie par les premiers juges, cette argumentation ne rencontre pas le même succès devant la cour d’appel de Nîmes qui écarte la demande de remboursement, retenant que la gestion d’affaires invoquée n’est pas caractérisée par le seul paiement de la dette d’autrui.
L’explication de cette solution réside certainement dans le refus de la cour d’appel de voir caractérisée dans les faits qui lui étaient soumis l’une des conditions d’existence de la gestion d’affaires. Tirant son fondement de l’équité, la gestion d’affaires implique de la part du gérant un élément intentionnel ou subjectif résidant dans l’intention d’agir dans l’intérêt d’autrui. Et c’est précisément cet élément intentionnel qui faisait difficulté en l’espèce : en effet, le solvens ne se prévalait pas d’une intention purement altruiste. Au contraire, il avouait bien volontiers que, en arrière-plan de la vocation altruiste de son intervention, tendant à préserver le patrimoine de la débitrice, se trouvait son intérêt propre lié à ce que, étant lui-même créancier de la défenderesse, il avait, en payant ses dettes, sauvegardé le gage qui garantissait ses créances !
Manifestement, dans la conception que se faisaient les juges nîmois de la gestion d’affaires, cette configuration excluait qu’on pût constater l’existence du quasi-contrat. Mais c’était retenir une acception par trop étroite de la gestion d’affaires, dont la Cour de cassation affirme depuis longtemps, et avec constance, que l’existence ne peut être exclue par la seule considération que les frais exposés ne l’ont pas été dans le seul intérêt du maître, mais aussi dans celui du gérant (Com. 16 nov. 1976 ; Civ. 1re, 28 mai 1991). Ainsi, si le prétendu gérant se trouve privé du remboursement des dépenses exposées lorsque ses démarches avaient été guidées par la satisfaction de son intérêt exclusif (Civ. 25 juin 1919 ; Civ. 1re, 28 mai 1991, préc.), il n’en va pas de même lorsque l’intérêt du géré se conjugue avec celui poursuivi par le gérant. C’est l’enseignement de la censure prononcée par la première chambre civile au visa des articles 1236 et 1372 du Code civil.
Il reste qu’en autorisant le gérant à œuvrer dans son intérêt propre en même temps que celui du géré, ne risque-t-on pas d’encourager les immixtions intempestives dans le patrimoine d’autrui ? Face à ce risque, un contrôle accru de la condition d’utilité de la gestion devrait constituer un garde-fou nécessaire. En l’espèce, comme le constate la Cour de cassation, cette condition ne faisait pas difficulté puisque l’intervention du solvens avait été doublement profitable à la débitrice : en éteignant ses dettes, elle avait effectivement évité la saisie de ses biens immobiliers.
Civ. 1re, 12 janv. 2012, no 10-24.512, F-P+B+I
Références
[Droit civil]
« Fait pour une personne, le gérant, d’accomplir des actes d’administration dans l’intérêt d’un tiers, le géré ou maître de l’affaire, sans que ce dernier l’en ait chargé et en dehors de tout pouvoir légal ou judiciaire. Les engagements pris par le gérant obligent le tiers qui doit, en outre, si l’initiative était utile ou nécessaire, rembourser au gérant ses dépenses. Elle constitue un quasi-contrat. »
[Droit civil]
« Celui qui effectue le paiement d’une obligation. »
[Droit civil]
« Mode de raisonnement juridique en vertu duquel de l’établissement d’un fait on induit un autre fait qui n’est pas prouvé. La présomption est dite de l’homme (ou du juge) lorsque le magistrat tient lui-même et en toute liberté ce raisonnement par induction, pour un cas particulier; elle n’est admise que lorsque la preuve par témoins est autorisée.
La présomption est légale, c’est-à-dire instaurée de manière générale, lorsque le législateur tire lui-même d’un fait établi un autre fait dont la preuve n’est pas apportée. La présomption légale est simple lorsqu’elle peut être combattue par la preuve du contraire. Lorsque la présomption ne peut être renversée, elle est dite irréfragable ou absolue.
On qualifie de présomption mixte la présomption dont la preuve contraire est réglementée par le législateur, qui restreint les moyens de preuve ou l’objet de la preuve. »
[Droit civil]
« Remboursement de ce qui a été payé sans cause soit parce que la dette n’existait pas du tout (indu objectif), soit parce que la dette a été annulée ou résolue (indu a posteriori), soit parce qu’il n’y avait pas de rapport de débiteur à créancier entre solvens et accipiens (indu subjectif).
La loi du 12 mai 2009 sur la simplification du droit (no 2009-527) remplace le terme “ répétition ” par celui de “ restitution ”. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Code civil
« Une obligation peut être acquittée par toute personne qui y est intéressée, telle qu'un coobligé ou une caution.
L'obligation peut même être acquittée par un tiers qui n'y est point intéressé, pourvu que ce tiers agisse au nom et en l'acquit du débiteur, ou que, s'il agit en son nom propre, il ne soit pas subrogé aux droits du créancier. »
« Lorsque volontairement on gère l'affaire d'autrui, soit que le propriétaire connaisse la gestion, soit qu'il l'ignore, celui qui gère contracte l'engagement tacite de continuer la gestion qu'il a commencée, et de l'achever jusqu'à ce que le propriétaire soit en état d'y pourvoir lui-même ; il doit se charger également de toutes les dépendances de cette même affaire.
Il se soumet à toutes les obligations qui résulteraient d'un mandat exprès que lui aurait donné le propriétaire. »
« Lorsqu'une personne qui, par erreur, se croyait débitrice, a acquitté une dette, elle a le droit de répétition contre le créancier.
Néanmoins, ce droit cesse dans le cas où le créancier a supprimé son titre par suite du paiement, sauf le recours de celui qui a payé contre le véritable débiteur. »
■ Civ. 1re, 2 juin 1992, no 90-19.374 ; D. 1992. Somm. 407, obs. Delebecque ; JCP 1992. I. 3632, no 6, obs. Billiau ; RTD civ. 1993. 130, obs. Mestre.
■ Civ. 1re, 17 nov. 1993, no 91-19.443 ; Defrénois 1994. 810, obs. D. Mazeaud.
■ Com. 16 nov. 1976, no 74-13.681.
■ Civ. 1re, 28 mai 1991, no 89-20.258, RTD civ. 1992. 96, obs. Mestre ; Defrénois 1992. 746, obs. Aubert.
■ Civ. 25 juin 1919, GAJC, t. 2, no 237.
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