Actualité > À la une

À la une

[ 27 novembre 2019 ] Imprimer

Droit des obligations

Paiement de l’indu : les créanciers privilégiés méritent bien leur nom !

Le paiement fait par erreur sur l’ordre des privilèges n’ouvre pas droit à restitution, dès lors que les créanciers privilégiés n’ont reçu que ce que leur devait le débiteur.

A l’occasion de la cession d’un fonds de commerce réalisée par acte authentique du 6 février 2011, le notaire avait reçu plusieurs oppositions émanant de l’administration fiscale, ainsi que de deux créanciers privilégiés, l’URSSAF et un établissement bancaire, bénéficiaire d’un nantissement. Une ordonnance de référé du 13 octobre 2011 ayant ordonné la mainlevée de l’opposition formulée par l’administration fiscale, le notaire avait alors versé une partie des fonds à l’URSSAF et à la banque. À la suite de l’infirmation de cette ordonnance par un arrêt en date du 16 mai 2012, l’administration fiscale avait assigné le notaire en responsabilité. Ce dernier avait alors engagé une action en répétition contre l’URSSAF et la banque en soutenant qu’un paiement indu avait été effectué à leur profit. La cour d’appel rejeta sa demande en restitution du trop-perçu au motif qu’au-delà de l’erreur commise par le praticien sur l’ordre des privilèges, le paiement effectué n’avait pas porté atteinte au principe de l’égalité des créanciers chirographaires.

Le notaire se pourvut en cassation au moyen, d’une part, que le créancier qui reçoit lors d’une procédure des sommes qui ne lui étaient pas dues en doit répétition, que ce paiement de l’indu l’ait été en violation de l’ordre des sûretés ou de l’égalité des créanciers chirographaires et, d’autre part, que la faute commise par celui qui engage l’action en répétition de l’indu est indifférente.

La première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi, jugeant « qu’ayant relevé que le notaire avait commis une erreur sur l'ordre des privilèges et que le paiement était intervenu sans atteinte au principe de l'égalité des créanciers chirographaires, l'URSSAF et la banque étant des créanciers privilégiés, la cour d'appel en a exactement déduit que ce paiement n'ouvrait pas droit à répétition, dès lors que l'URSSAF et la banque n'avaient reçu que ce que leur devait le débiteur ».

Régi par les articles 1302 s. du Code civil, le paiement de l’indu concerne l’hypothèse où une personne (l’accipiens) reçoit en paiement de la part d’une autre (le solvens) une chose qui ne le lui est pas due. Une telle situation donne lieu à une action en restitution (ou répétition selon la terminologie en vigueur avant la réforme), permettant au solvens d’obtenir la chose indument payée. A première vue simple à mettre en œuvre, ce mécanisme, techniquement fondé sur le quasi-contrat, est en vérité plus complexe qu’il n’y paraît, en raison de ses deux éléments constitutifs, l’indu et le comportement du solvens, dont le contenu puis les contours ont dû être définis en droit civil puis précisés au regard du droit des sûretés et du droit des procédures collectives lesquelles, également confrontées au mécanisme, impliquaient d’en revoir les conditions comme les effets.

Ainsi qu’en dispose expressément l’article 1302 du Code civil, la condition essentielle de l’action en restitution est que le solvens ait payé une dette qui n’existait pas. Plus spécifiquement, cette absence de dette recouvre deux hypothèses, l’indu pouvant être soit objectif, soit subjectif. Le premier cas (C. civ., art. 1376 anc., 1302-1 nouv.) vise l’hypothèse d’un paiement d’une dette inexistante ou d’un montant supérieur à celui qui était dû (un trop-perçu) ; l’indu est dit objectif car la dette n’avait, pour tout ou partie, aucune existence juridique (dette annulée ou caduque par ex). Le second cas en recouvre deux autres : le premier, parfois qualifié d’ « indu subjectif actif » (v. not. Terré, Simler, Chénedé, n° 1285), se rencontre lorsque le débiteur paie un mauvais créancier (par exemple, à la suite du décès du créancier originaire, il se trompe la personne ayant hérité de la créance) ; le second, dit « indu subjectif passif », renvoie à l’hypothèse où celui qui se croit débiteur paie une dette à un créancier à qui il ne devait pas ce qu’il lui avait payé ; c’est la première déclinaison de l’indu subjectif qui se trouve en l’espèce illustrée, le notaire, effectivement débiteur d’une dette existante, l’ayant par erreur payée à des créanciers autres que celui qui la détenait. 

Or cette distinction entre les différents types d’indu a longtemps eu une incidence sur les conditions du droit d’agir en restitution, la jurisprudence refusant d’ouvrir ce droit au débiteur qui paie une dette, par erreur ou négligence, à une personne autre que son créancier, ce qui correspond au cas d’un indu subjectif (Com. 23 avr. 1976, n° 75-11.339), alors qu’elle jugeait au contraire indifférente l’erreur du débiteur qui souhaitait agir en cas en répétition de l’indu objectif, laquelle pouvait donc être obtenue sur la seule preuve de l’absence de dette (Cass., ass. plén., 2 avr. 1993, n° 89-15.490). Cette distinction de régime, dont la justification peinait de plus en plus à être trouvée, fut d’abord abandonnée par les juges (Civ. 1re, 17 févr. 2010, n° 08-19.789) avant que l’ordonnance de 2016 confirme cette nécessaire unification des règles, le nouvel article 1302-1 disposant que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer de qui il l’a indûment reçu ». L’indifférence à la faute éventuellement commise par le solvens concerne désormais autant l’indu objectif que l’indu subjectif actif, l’accipiens recevant bien, dans ces deux cas, une chose qui ne lui est pas due. Etant précisé qu’en cas d’indu subjectif passif, où le solvens a payé la dette d’un autre, l’erreur du solvens est depuis toujours et demeure prise en compte (1302-2), le droit d’agir en restitution n’étant ouvert qu’ « à celui dont la dette a été acquittée » (C . civ., art. 1302-2, al. 2).

Dans le cas de l’espèce, dont l’indu invoqué relevait de l’indu subjectif actif, l'erreur du solvens ne faisait donc pas obstacle à ce que celui-ci agît en restitution. Son action ne pouvait toutefois prospérer qu’autant que le paiement avait été, effectivement, indu. En effet, il va de soi que, dès lors que le créancier n’a pas reçu une somme excédant ce qui lui était dû, la qualification de paiement indu doit être écartée et le créancier, payé par erreur, libéré de toute obligation de restitution. Or en l’espèce, le principe de l'égalité des créanciers ne s'appliquant pas à ceux qualifiés de privilégiés, le paiement du notaire, effectué par erreur sur l'ordre des privilèges, n'ouvrait pas droit à répétition dès lors que ces créanciers privilégiés n'avaient reçu que ce que leur devait leur débiteur. 

Les sommes payées en méconnaissance de l'ordre des privilèges ne peuvent donc donner lieu à restitution. La solution a de quoi surprendre : outre le fait que l’indu était objectivement caractérisé, l’affirmation jadis retenue en droit des procédures collectives selon laquelle, le principe de l’égalité des créanciers étant inapplicable aux créanciers privilégiés, le paiement fait par erreur sur l’ordre des privilèges n’ouvre pas droit à répétition dès lors que l’accipiens n’avait reçu que ce que lui devait son débiteur (Com. 30 oct. 2000, n° 98-10.688 ; v. sous l’empire de la loi n° 67-563 du 13 juill. 1967; Com. 26 nov. 1985, n° 84-16.893), fut fermement contredite par ordonnance (Ord. n° 2014-326 du 12 mars 2014), l’article L. 643-7-1 du Code de commerce qui en est issu disposant sans ambiguïté que « Le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l’égalité des créanciers chirographaires ou par suite d’une erreur sur l’ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées ».

Le maintien de la solution antérieure peut être expliqué par celui de la jurisprudence précitée, que l’on pouvait également croire délaissée, selon laquelle la faute du solvens, en cas d’indu subjectif, privait ce dernier d’agir en répétition. Désormais, de manière plus nuancée, cette faute, sans retirer au solvens son droit d’agir en restitution l’empêcherait toutefois de l’obtenir, du moins lorsque sa faute est constituée par une erreur sur le principe du classement des privilèges, celle commise en violation du principe d’égalité des créanciers chirographaires n’emportant pas le même effet (v. considérant qu’un créancier chirographaire ne peut conserver les sommes lui ayant été versées en violation de la règle d’égalité des créanciers chirographaires, Com. 1er févr. 2011, n° 09-11.529 ; Com. 12 mai 2009, n° 08-11.421 ; Com. 24 nov. 1998, n° 95-21.936 ; Com. 17 nov. 1992, n° 90-19.013).

La hiérarchisation de ces deux principes qui résulte de la décision rapportée ne se justifie pas, les deux ayant au trait au paiement, l’un pour proscrire toute priorité dans le paiement des créances, l’autre, pour définir l’ordre de leur paiement en fonction des « différentes qualités des privilèges (C. civ., art. 2235). L’identique place conférée à ces principes, en droit des procédures collectives, pour admettre l’action en restitution conforte l’inopportunité de la hiérarchie en l’espèce établie, celle-ci en venant de surcroît à nier l’intérêt même d’un classement des privilèges.

Civ. 1re, 24 oct. 2019, n° 18-22.549

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Paiement de l’indu

■ Com. 23 avr. 1976, n° 75-11.339 P: D. 1977. 562, note G. Vernelle

 Cass., ass. plén., 2 avr. 1993, n° 89-15.490 PD. 1993. 373, concl. M. Jeol ; ibid. 229, chron. A. Sériaux ; ibid. 273, obs. X. Prétot ; ibid. 1994. 14, obs. J.-L. Aubert ; Dr. soc. 1993. 901, note P. Chauvel ; RDSS 1994. 114, obs. G. Vachet ; RTD civ. 1993. 820, obs. J. Mestre

■ Civ. 1re, 17 févr. 2010, n° 08-19.789 P: D. 2010. 864, note N. Dissaux

■ Com. 30 oct. 2000, n° 98-10.688 P: D. 2001. 1527, note S. Pierre ; ibid. 2000. 430, obs. P. Pisoni ; ibid. 2001. 620, obs. A. Honorat ; ibid. 1612, obs. V. Brémond ; RTD civ. 2001. 142, obs. J. Mestre et B. Fages

■ Com. 26 nov. 1985, n° 84-16.893 P : D. 1986. 240

■ Com. 1er févr. 2011, n° 09-11.529

 

■ Com. 12 mai 2009, n° 08-11.421 PD. 2009. 1414

■ Com. 24 nov. 1998, n° 95-21.936 

 

■ Com. 17 nov. 1992, n° 90-19.013 P: D. 1993. 341, note J.-P. Sortais ; ibid. 191, obs. A. Honorat ; RDI 1993. 403, obs. P. Delebecque et P. Simler ; RTD com. 1993. 719, obs. A. Martin-Serf

 

Auteur :Merryl Hervieu

Autres À la une


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr