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[ 31 octobre 2018 ] Imprimer

Droit de la famille

Papa, maman, l'amant et moi....

Le refus de réaliser une expertise biologique est un indice probant de la véritable paternité de l’enfant, dont la reconnaissance implique de faire droit à la demande d’exercice de l’autorité parentale de son père véritable. 

Une enfant avait été déclarée à l'état civil comme étant née du couple marié que formaient ses parents. Six mois plus tard, un amant prétendu de la mère avait assigné le couple en contestation de la paternité du mari et en établissement de sa paternité. La cour d’appel accueillit sa demande et dit qu'à compter du prononcé de sa décision, l'autorité parentale à l'égard de l'enfant serait exercée en commun par l’épouse et son amant ; elle fixa également les modalités du droit de visite et d'hébergement de ce dernier et condamna les époux au paiement de dommages-intérêts à allouer à l’amant ainsi qu’à l’enfant. Les époux formèrent un pourvoi en cassation au moyen que lorsque la filiation est établie à l'égard de l'un d'entre eux plus d'un an après la naissance d'un enfant dont la filiation est déjà établie à l'égard de l'autre, celui-ci reste seul investi de l'exercice de l'autorité parentale, qu'il en est de même lorsque la filiation est judiciairement déclarée à l'égard du second parent de l'enfant, et que l'autorité parentale ne pourra être exercée en commun qu'en cas de déclaration conjointe des père et mère, en sorte que la cour d'appel qui, en statuant comme elle l’a fait, a excédé ses pouvoirs et violé l'article 372 du Code civil.

La première chambre civile rejette son pourvoi. Elle juge que l'article 331 du Code civil permettant au tribunal saisi d'une action aux fins d'établissement de la filiation de statuer, s'il y a lieu, sur l'exercice de l'autorité parentale, la contribution à l'entretien et à l'éducation de l'enfant et l'attribution du nom, c'est sans excéder ses pouvoirs ni méconnaître les dispositions de l'article 372 du Code civil que la cour d'appel, après avoir dit que était le père de l'enfant, a statué sur sa demande tendant à ce que l'autorité parentale soit exercée conjointement avec la mère.

Celui auquel a été reconnu le droit d’agir en contestation d’une filiation (C. civ., art. 333) doit établir le bien-fondé de ses prétentions, étant entendu que sa tâche est désormais considérablement facilitée par l’existence de procédés techniques permettant d’obtenir la vérité sur la conception de l’enfant. A l’occasion d’une procédure en établissement ou en contestation de paternité, qui sont les actions les plus courantes, sera ainsi très souvent ordonnée une expertise biologique grâce à laquelle le juge se prononcera en parfaite connaissance de cause. (J. Garrigue, Droit de la familleDalloz, Hypercours, n° 716 s.). Si l’analyse des empreintes génétiques constitue aujourd’hui le moyen le plus efficace d’identifier le véritable procréateur de l’enfant, le recours à ce procédé reste toutefois très réglementé. A l’effet sans doute de préserver la paix et l’unité des familles, le législateur ne l’autorise qu’à la condition qu’un tel examen soit susceptible, comme c’était le cas en l’espèce, d’influer sur l’existence d’une parenté ou de droits alimentaires ; ainsi, en matière civile, l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques « ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides » (C. civ., art. 16-11, al. 2). Lorsqu’une action de ce type a été engagée, l’expertise biologique est en revanche non seulement possible mais souvent obligatoire : dès lors qu’elle aura été sollicitée par l’une des parties, le juge sera généralement tenu de l’ordonner. La Cour de cassation considère en effet qu’elle est en principe « de droit en matière de filiation » (Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 ; Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 06-10.039), contrairement au principe de procédure civile selon lequel « une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve » (C. pr. civ., art. 146). Cette dérogation implique que le juge saisi d’une action relative à la filiation ne pourra pas rejeter la demande d’analyse au motif que celui qui l’aura sollicitée ne produit pas d’éléments suffisamment probants pour justifier son obtention. Ainsi le demandeur en établissement ou en contestation d’une filiation pourra-t-il exiger, sous certaines réserves (J. Garrigue, op. cit., n° 721), la réalisation d’une expertise génétique ou d’un examen comparé des sangs pour se constituer la preuve qui lui manque. 

Cependant, une fois l’examen ordonné, il arrive que celui ou ceux qui en craignent le résultat refusent de s’y soumettre. C’était le cas en l’espèce, les époux s’étant toujours montrés récalcitrant. Si les différents juges saisis n’ont jamais pu les y contraindre, le consentement de la personne à son identification par empreintes génétiques étant impératif (C. civ., art. 16-11), tous ont cependant tenu compte de cette esquive, analysée comme un aveu implicite sinon d’une vérité biologique qu’ils savaient, du moins du doute qu’ils avaient sur celle-ci et du refus qu’il soit levé. Or « la filiation se prouve et se conteste par tous moyens » (C. civ., art. 310-3, al. 2), le juge est donc libre de tenir compte de cette attitude de fuite (C. pr. civ., art. 11 ; Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 03-16.204 ; Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 05-17.814). Il ne peut toutefois, sans inverser la charge de la preuve, se déterminer en fonction de ce seul élément. Par conséquent, pour démontrer la justesse de ses allégations, le demandeur devra prouver autrement son lien de filiation, par la production d’attestations, d’indices de toute sorte ; en l’espèce, les nombreux appels passés et messages téléphoniques laissés par l’épouse à son amant, durant la période légale de conception, ainsi que l’envoi du résultat complet de sa dernière échographie, corroboraient le premier élément de preuve, constitué par le refus du couple de se soumettre à l’expertise ordonnée, de la paternité de l’amant, lequel renversait ainsi la présomption de paternité du mari.

Cette nouvelle filiation devait donc être transcrite sur l’acte de naissance de l’enfant. Compte tenu des effets de la filiation, en cas d’instauration d’une parenté nouvelle, « le tribunal statue, s’il y a lieu, sur l’exercice de l’autorité parentale (…) » (C. civ., art. 331). C’est ainsi qu’en l’espèce, alors que les juges de première instance avaient confié l’exercice de l’autorité parentale exclusivement à la mère de l’enfant, en retenant que le partage de cette autorité était prématuré en raison du manque total d’ouverture au dialogue de cette dernière, risquant de provoquer une situation de blocage contraire à l’intérêt de l’enfant, qui n’avait eu aucun contact avec son père biologique depuis sa naissance, la cour d’appel jugea différemment qu’à ce stade plus avancé de la procédure et en l’état de sa décision sur la filiation, il paraissait au contraire essentiel, dans l’intérêt même de l’enfant, de ne pas poursuivre dans cette voie et de rendre commun et conforme à sa nouvelle filiation l’exercice de l’autorité parentale, communauté d’exercice dont le père véritable avait non seulement le souhait, mais également l’aptitude. Il est enfin à noter que dans l’hypothèse la plus probable où l’épouse et son amant n’entretenaient plus de relations à la date du litige les opposant, cet élément devait rester sans incidence, la séparation des père et mère d’un enfant étant en principe sans incidence sur l’exercice commun de l’autorité parentale (C. civ., art. 372, 373-2 et 373-2-1).

Liberté, égalité, paternité !

Civ. 1re , 3 oct. 2018, n° 17-23.627

Références 

■ Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 P: D. 2000. 731, note T. Garé ; ibid. 2001. 404, chron. S. Le Gac-Pech ; ibid. 976, obs. F. Granet ; ibid. 1427, obs. H. Gaumont-Prat ; ibid. 2868, obs. C. Desnoyer ; RTD civ. 2000. 304, obs. J. Hauser

■ Cass.,ass. plén., 23 nov. 2007, n° 06-10.039 P: AJ fam. 2008. 36, obs. F. Chénedé

■ Civ. 1re, 7 juin 2006, n° 03-16.204 P: D. 2006. 1635 ; ibid. 2007. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2006. 547, obs. J. Hauser ; ibid. 548, obs. J. Hauser 

■ Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 05-17.814 P: D. 2006. 2275 ; ibid. 2007. 1460, obs. F. Granet-Lambrechts

 

Auteur :Merryl Hervieu

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