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[ 16 septembre 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Nature du contrat

L’insertion dans un contrat de vente conclu entre deux personnes privées d’une clause dont la méconnaissance est sanctionnée par le paiement d’une pénalité au profit d’une personne publique ne transforme pas ce contrat de nature privée en contrat administratif.

T. confl. 5 juill. 2021, M. A… c/ Communauté d’agglomération de la Riviera française, n° 4214

Un acquéreur acquiert un logement à usage d’habitation dans le cadre d’une accession aidée auprès d’un promoteur immobilier. L’acte de vente contenait une clause anti-spéculative limitant les possibilités de location du bien pendant une durée de 15 ans, et prévoyait à titre de sanction une pénalité égale à 50 % du loyer perçu en faveur de la communauté de communes ayant contribué au financement du bien acquis par les débiteurs. Celle-ci, constatant une infraction à la clause relative à l’accession aidée, émet un titre exécutoire à l’encontre du propriétaire, qui agit alors en annulation du titre devant un tribunal d’instance, lequel se déclare incompétent pour en connaître au motif de la nature administrative du titre fondée sur la qualité d’établissement public de son émetteur. L’acquéreur saisit alors le juge administratif qui ne se reconnait pas davantage compétent. Ce conflit négatif le conduit à surseoir à statuer et à saisir le tribunal des conflits sur le fondement de l’article 32 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.

Plus précisément, cet article prévoit que, « lorsqu’une juridiction de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif a, par une décision qui n’est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l’ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l’autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l’ordre de juridiction primitivement saisi, doit, par une décision motivée qui n’est susceptible d’aucun recours même en cassation, renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu’à la décision du tribunal ».

Le Tribunal des conflits indique tout d’abord que « (l)'opposition à un titre exécutoire, lorsqu'elle n'a pas pour objet de contester la régularité en la forme de l'acte de poursuite, doit être formée devant le juge compétent pour apprécier le bien-fondé de la créance dont ce titre exécutoire tend à assurer le recouvrement ».

Le tribunal rappelle ensuite le principe prétorien selon lequel « (u)n contrat conclu entre deux personnes privées revêt, en principe, un caractère de contrat de droit privé » (T. confl. 17 janv. 1972, SNCF c/ Entreprise Solon et Barrault, n° 1966).

Il juge enfin que « (l)'insertion dans un contrat de vente conclu entre deux personnes privées d'une clause, dite clause anti-spéculative, restreignant pendant une certaine durée les droits du propriétaire de louer son bien, en contrepartie du prix modéré d'acquisition du bien lié à des subventions allouées au promoteur par une collectivité territoriale, et d'une pénalité applicable au profit de cette dernière, qui n'était pas partie au contrat de vente, en cas de violation de cette clause, ne modifie pas la nature de ce contrat. Il suit de là que la demande en annulation du titre exécutoire prise par la collectivité territoriale en application de la clause relève de la juridiction judiciaire ».

La clause anti-spéculative confère un droit de regard à la collectivité publique ayant consenti des aides en faveur de l’accession à la propriété en cas de revente des biens, pouvant prendre la forme d’une limite à la liberté de disposer de l’acquéreur pendant un certain délai, d’affectation du bien à un certain usage, de restrictions au droit de louer, etc. (sur ses conditions de validité, v. Civ. 3e, 23 sept. 2009, n° 08-18.187).

En l’espèce, le Tribunal des conflits constate qu’une telle clause a eu pour effet de restreindre fortement la liberté pour le propriétaire de louer son bien immobilier, mais qu’une telle restriction devait être analysée comme la juste contrepartie du prix bas d’acquisition de ce bien « lié à des subventions allouées au promoteur par une collectivité territoriale ».

Ce type de clause est stipulé par la collectivité publique dans l’acte passé avec le promoteur, qui la reproduit dans les actes de vente qu’il conclut avec les acquéreurs. La circonstance qu’une pénalité était applicable au profit de la communauté de communes, personne publique, en cas de méconnaissance de la clause « anti-spéculative » ne modifie pas la nature privée du contrat, le critère organique primant ici : les parties au contrat sont des personnes privées et la communauté de commune est extérieure au contrat : il s’agit donc d’un contrat de droit privé, dont la nature reste inchangée par la clause anti-spéculative qu’il contient. Partant, en cas de violation de cette clause, le litige doit être tranché par le juge judiciaire.

Références : 

■ T. confl. 17 janv. 1972, SNCF c/ Entreprise Solon et Barrault, n° 1966: Lebon 944

■ Civ. 3e, 23 sept. 2009, n° 08-18.187 P

 

Auteur :Merryl Hervieu


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