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Droit de la famille
Parenté transgenre : homme, femme, mode d’emploi
Par une décision inédite, la cour d’appel de Toulouse reconnaît le droit d’une femme transgenre non sexuellement convertie d’être désignée comme la mère de sa fille biologique admettant ainsi, contra legem, la double filiation maternelle de l’enfant.
Toulouse, 9 févr. 2022, n° 20/03128
Depuis l’abandon de la condition de conversion sexuelle à la modification juridique du sexe (L. n° 2016-1547 du 18 nov. 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle ; C. civ., art. 61-6), un transgenre peut, tout en ayant changé de sexe à l’état civil, avoir conservé les facultés procréatrices liées à son sexe d’origine. Ainsi, dans l’arrêt rapporté, un enfant avait été conçu avec les spermatozoïdes d’un homme dont l’état civil modifié le désignait en tant que femme. Marié et déjà père de deux enfants avant le changement de la mention de son sexe à l’état civil, cet homme devenu femme avait eu un troisième enfant avec celle demeurée son épouse. Elle avait procédé à sa reconnaissance prénatale, déclarant sa filiation comme de nature « maternelle, non gestatrice ». L’officier d’état civil ayant refusé la transcription de cet acte de reconnaissance à l’état civil, elle avait assigné le procureur de la République en justice. Le tribunal ayant confirmé ce refus de transcrire à l’état civil un acte établissant une filiation de nature maternelle entre l’enfant et la demanderesse, les premiers juges avaient invité cette dernière soit à renoncer à son changement de sexe pour établir sa filiation paternelle à l’égard de l’enfant, soit à l’adopter, bien qu’il soit son enfant biologique, par la voie de l’adoption de l’enfant du conjoint. En appel, le jugement avait toutefois été infirmé, la cour ordonnant l’établissement judiciaire du lien de filiation entre l’enfant et celle alors désignée par les juges du fond comme le « parent biologique » de l’enfant.
Cette situation (femme procréant avec son sperme) pose la question de la nature, paternelle ou maternelle, de la filiation d’un enfant naturellement conçu par un couple de même sexe. Plus précisément, la nature de la filiation doit-elle être guidée par le sexe inscrit à l’état civil (donc ici, la femme est mère) ou par le sexe anatomique grâce auquel la procréation a été rendue possible (la femme à l’état civil qui procrée avec son sperme est père) ? (v. A. Marais, « Sexe, mensonge et quiproquo. À propos de la filiation d’un enfant procréé par un couple de même sexe », JCP 2019.1237). À première vue, il conviendrait d’opter pour la seconde branche de l’alternative. En effet, alors que l’abstention du législateur à fixer des règles qui relèvent de sa compétence exclusive constitue une « incompétence négative », le silence gardé par le législateur sur cette question des filiations établies postérieurement au changement de sexe n’a pourtant pas été censuré par le Conseil constitutionnel lorsqu’il a validé la loi (C. constit., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC).
Il convient alors de se référer à l’état du droit demeurant applicable à la filiation issue d’une procréation naturelle. Or par principe, les modes d’établissement de la filiation varient selon le sexe anatomique des parents : l’accouchement désigne la mère dont le nom est indiqué dans l’acte de naissance (C. civ., art. 311-25 et 325, al. 2), tandis que l’homme, s’il est marié avec cette dernière, est présumé être le père de l’enfant (C. civ., art. 312) lorsqu’il est désigné comme père dans l’acte de naissance. À défaut d’être ainsi désigné, tel qu’en l’espèce, ou encore s’il n’est pas marié, son acte de reconnaissance établira sa paternité (C. civ., art. 316). C’est en application de ces dispositions générales que la Cour de cassation rendit, le 16 septembre 2020, un arrêt de cassation partielle de la décision des juges du fond ayant reconnu la « parenté biologique » du requérant transgenre (Civ. 1re, 16 sept. 2020, n° 18-50.080 et n° 19-11.251).
■ Cour de cassation : la vérité de la filiation et le refus d’une filiation neutre
Face à ce vide juridique, la Cour de cassation, visant notamment de l’article 57 du code civil, refusa d’emblée la création d’une nouvelle catégorie à l’état civil, celle de « parent biologique ». L’arrêt de la cour d’appel qui avait imposé une telle mention se voit ainsi censuré. Elle releva en effet que « la loi française ne permet pas de désigner dans les actes de l’état civil le père ou la mère de l’enfant comme parent biologique », qui rendrait la filiation asexuée. Au-delà, ce terme de « parent biologique » posait plusieurs problèmes : introduisant une notion de fait (« biologique ») alors que l’acte de naissance ne peut mentionner que la filiation, c’est-à-dire « un lien de droit », et non le fondement biologique donc factuel sur lequel il repose, ce vocable revenait, en outre, à donner au parent transgenre une identité sexuelle « neutre » qui n’était pas la sienne. Enfin, après avoir refusé la mention de « sexe neutre » sur l’acte de naissance de la personne intersexe (Civ. 1re, 4 mars 2017, n° 16-17.189), la Cour de cassation s’opposa logiquement à l’inscription d’une « filiation neutre » sur l’acte de naissance d’un enfant. L’admission d’une telle mention aurait eu des répercussions notables sur l’état civil que seul le législateur, d’ailleurs également rétif à cette neutralité (v. C. éduc., art. L.111-4, refusant l’inscription dans les formulaires administratifs des mentions « parent 1 » et « parent 2 »), a le pouvoir de décider. Or lorsque tel qu’au cas d’espèce, la filiation (lien de droit) repose sur la procréation (lien de fait), le législateur fait primer, pour l’heure, la vérité biologique : la parenté est fixée par référence au sexe anatomique du parent. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation approuva en revanche le refus de transcription de la reconnaissance maternelle opposé par les juges du fond à la requérante. Dans cette perspective, en l’absence de texte spécifique, la Cour de cassation appliqua les dispositions générales relatives à l’établissement de la filiation par le sang (Titre VII du livre 1er du code civil). Elle relève que l’article 311-25 établit la filiation de la mère par désignation de celle-ci dans l’acte de naissance et que l’article 311-20 interdit tout établissement de filiation qui viendrait contredire celle légalement établie tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, « ces dispositions s’oppos(a)nt à ce que deux filiations maternelles soient établies à l’égard d’un même enfant, hors adoption ». Ainsi la cour d’appel ne pouvait-elle au cas d’espèce que constater « l’impossibilité d’établissement d’une double filiation maternelle ». Elle réaffirma ainsi le principe selon lequel l’établissement de la filiation maternelle s’établit par l’accouchement et que l’établissement d’une double filiation maternelle est dès lors impossible. La personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification juridique du sexe, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, ne peut donc établir son lien biologique de filiation avec l’enfant « qu’en ayant recours aux modes d’établissement de la filiation réservée au père ». En ce sens, elle rappela « qu’en application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l’enfant peut (…) être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l’acte de naissance », ce qui avait été le cas en l’espèce. La voie offerte était donc celle de l’établissement d’une filiation paternelle par reconnaissance. C’était donc en considération du sexe anatomique du parent transgenre que la filiation, en la circonstance paternelle, devait être établie. Toutefois, à l’effet de respecter « l’identité de genre » de la requérante, la Cour précisa que l’enfant serait « élevé par deux mères, tout en ayant à l’état civil l’indication d’une filiation paternelle à l’égard de leur géniteur ». Père sur l’acte de naissance de son enfant, la personne transgenre, dont le sexe a été juridiquement modifié, n’en reste pas moins « femme » sur son propre état civil et pourra se présenter, socialement, comme « une mère », voyant ainsi son droit à la vie privée garanti (A. Marais, Droit des personnes, Dalloz, 4e éd., n° 213, pp.155s.).
■ Cour de renvoi : la volonté de la filiation et la déclaration judiciaire de maternité
La cour d’appel de renvoi refuse d’appliquer la solution préconisée par la Cour de cassation : plutôt que l’établissement d’une filiation paternelle par acte de reconnaissance, elle fait le choix inédit de la déclaration judiciaire de maternité.
Concernant tout d’abord la recevabilité de la demande, la cour de renvoi la justifie, au regard de l’article 638 du code de procédure civile, selon lequel « l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi, à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation » correspondant, en l’espèce, au rejet de la demande de transcription de la reconnaissance de maternité. L’autorité de la chose jugée attachée à cette décision rendait alors cette demande irrecevable, si bien que « l’établissement de la filiation de Mme X ne peut être que judiciaire ».
Concernant ensuite le bien-fondé de la demande, la cour de renvoi relève que la reconnaissance de paternité doit également être exclue au fond « dans la mesure d’une part où elle contraindrait Mme X à nier sa nouvelle identité sexuelle […] et d’autre part, serait contraire au respect de sa vie privée et à l’autodétermination sexuelle garantis par les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». La voie de la filiation paternelle ainsi écartée, « reste à envisager l’établissement de la filiation maternelle à laquelle adhère l’ensemble des parties ». Après avoir écarté le recours à l’adoption en raison du refus de la mère d’y procéder, et « dont personne ne prétend qu’il est abusif », elle défend l’idée désormais envisageable d’une double filiation maternelle non adoptive. L’article 320 prévenant les conflits de filiation ayant « été pris à une époque où les personnes transgenres n’étaient pas affranchies de toute exigence médicale », l’évolution législative autorisant dorénavant le changement de sexe sans réassignation sexuelle par le mécanisme de la possession d’état permettrait de faire « coexister des réalités juridiques et biologiques distinctes ». Pour justifier sa position, elle interprète le silence légal sur la filiation des enfants nés postérieurement au changement juridique du sexe du parent transgenre comme « laissant présumer que le législateur a préféré laisser au juge le soin de régler cette question dans le cadre de son appréciation souveraine de la situation des intéressés », lesquels ont également un rôle à jouer : elle indique en effet que « l’ensemble des parties s’accorde sur l’exclusion de la filiation paternelle », suggérant ainsi que la volonté des intervenants puisse écarter l’application de dispositions impératives concernant l’état des personnes, voire faire l’objet d’un compromis entre les parties. Après la démédicalisation du changement de sexe, serait venue l’heure de sa contractualisation… Or malgré l’assouplissement du cadre légal, l’interdiction d’une double filiation maternelle (hors adoption) demeure et lie le juge dont la liberté d’appréciation se limite aux faits et non aux règles de droit qui leur sont applicables. Se prévalant néanmoins de cette souveraineté d’appréciation, la cour de renvoi s’appuie substantiellement sur deux arguments pour établir la maternité judiciaire de la requérante : le premier est relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant, le second, à l’absence de fraude et d’atteinte à l’ordre public susceptible d’en résulter. Ainsi se fonde-t-elle, d’une part, sur l’impératif supranational de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant et le droit au respect de sa vie privée, qui « rendent impérative la nécessité de permettre à l’enfant né d’un couple dont l’un des membres est transgenre de voir sa filiation doublement établie à l’égard de ses deux parents […] » ; elle indique d’autre part que la filiation maternelle « n’a nullement vocation à anéantir celle de l’autre » et qu’elle « ne s’inscrit donc pas dans une tentative de fraude à la loi mais de mise en conformité avec la réalité juridique », la fillette étant « biologiquement et sociologiquement » son enfant. Aussi bien, la loi de bioéthique du 2 août 2021 « démontre l’absence de trouble à l’ordre public d’une double filiation maternelle hors adoption ».
La cour d’appel établit dès lors « le lien de filiation maternelle » et « dit que cette filiation sera transcrite sur l’acte de naissance sous la mention de Mme X comme mère ».
Si rien n’empêche le législateur de donner un fondement autre que la vérité biologique à la filiation par le sang pour la faire reposer, en l’occurrence, sur la volonté des parents, le juge est quant à lui dépourvu de ce pouvoir de réforme en l’espèce exercé, motif pris de sa souveraineté d’appréciation. L’article 34 de la Constitution rappelle très clairement l’exclusivité de la compétence du législateur en cette matière (sur le fondement de la filiation, v. not. C. Pérès, « Lien biologique et filiation : quel avenir ? », D.2019.1184). Entre vérité biologique et volonté des parents, la question de la nature de la filiation transgenre soulevée par cet arrêt suscite en tout état de cause des solutions divergentes entre les juges du fond et la Cour de cassation, qui justifierait un renvoi en assemblée plénière.
Références :
■ Cons. constit., 17 nov. 2016, n° 2016-739 DC : AJDA 2016. 2246 ; D. 2017. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; Constitutions 2016. 589, chron. G. Bergougnous ; ibid. 591, chron. P. Bachschmidt ; ibid. 2017. 97, chron. V. Egéa
■ Civ. 1re, 16 sept. 2020, n° 18-50.080 et n° 19-11.251 : DAE, 29 sept. 2020, note Christelle de Gaudemont, D. 2020. 2096, note S. Paricard ; ibid. 2072, point de vue B. Moron-Puech ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 657, obs. P. Hilt ; ibid. 762, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 863, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2020. 534, obs. G. Kessler, obs. E. Viganotti ; ibid. 497, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 866, obs. A.-M. Leroyer
■ Civ. 1re, 4 mars 2017, n° 16-17.189 : D. 2017. 1399, et les obs., note J.-P. Vauthier et F. Vialla ; ibid. 1404, note B. Moron-Puech ; ibid. 2018. 919, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2017. 354, obs. J. Houssier ; ibid. 329, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2017. 607, obs. J. Hauser
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