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[ 10 octobre 2019 ] Imprimer

Droit de la famille

Parents séparés : l’enfant n’a pas à être balloté

La décision relative à la résidence de l’enfant et au droit de visite de l’un de ses parents doit être prise en compte ou renouvelée en fonction des conséquences sur l’enfant d’un futur déménagement.

Après s’être séparé de la mère de son fils, un père avait saisi un juge aux affaires familiales d'une requête tendant à organiser les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Ce juge avait notamment constaté l'accord des époux pour que la résidence de l'enfant soit fixée au domicile de la mère, y compris lorsque celle-ci établirait sa résidence aux États-Unis, et fixé en conséquence le droit de visite et d'hébergement du père durant les vacances scolaires. Le père interjeta appel de l'ordonnance du juge ; à l’occasion de cet appel, il avait sollicité la fixation de la résidence habituelle de l'enfant à son domicile et proposé d'accorder à la mère un droit de visite et d'hébergement. 

Pour accueillir sa demande et fixer la résidence habituelle de l’enfant chez son père, la cour d’appel releva que la mère refusait depuis deux ans, au mépris des règles imposées par l'exercice conjoint de l'autorité parentale, d'exécuter les termes de l'ordonnance déférée en se soustrayant à son obligation de confier l'enfant à son père durant les périodes de vacances scolaires, ce qui constituait une situation extrêmement dommageable pour l'enfant, qui avait besoin, pour son épanouissement, de ses deux parents, particulièrement au regard de la maladie (autisme) dont il souffrait. 

Au visa des articles 373-2-11 et 373-2-6 du Code civil, la première chambre civile casse cet arrêt, reprochant à la cour d’appel d’avoir statué par des motifs impropres à caractériser l’intérêt supérieur de l’enfant au regard des conséquences sur son état de santé d’un déménagement sans délai des États-Unis vers la France, de nature à lui imposer une rupture sérieuse dans son environnement matériel et affectif. 

« Même après leur désunion, les parents doivent travailler ensemble au bonheur de leur enfant : en dépit de leur rage ou de leur abattement, malgré leur souffrance et la vigueur de leur ressentiment, il leur faut continuer à rechercher conjointement les solutions propres à favoriser son épanouissement. » (J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, n° 791). En effet, « (l)a séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ; chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent » (C. civ., art. 373-2). « L’exercice en commun de l’autorité parentale par les deux parents, même séparés, (est donc) le principe et (…) l’exercice unilatéral (…) l’exception » (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 06-14.643).

Malgré cette volonté affirmée de préserver au mieux, malgré la séparation des parents, une forme de statu quo familial, certains réaménagements sont néanmoins inévitables. Le premier d’entre eux vise la détermination de la résidence des enfants. Ce choix revient aux parents et, faute d’accord entre eux, au juge. Si la résidence alternée, après avoir été un temps exclue, est désormais prévue par la loi (C. civ., art. 373-2-9), le fait est que la plupart des enfants dont les parents sont séparés résident principalement, c’est-à-dire habituellement, chez l’un d’entre eux. Le second ne détient alors qu’un droit de visite et/ou d’hébergement qui, cependant, lui est  systématiquement accordé, à moins que des motifs graves tenant à l’intérêt supérieur de l’enfant s’y opposent (Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527). 

Quelle que soit l’option choisie, celle-ci relève, par principe, de la décision des parents, ces derniers continuant d’exercer conjointement, malgré la désunion du couple, l’autorité parentale. Dans l’hypothèse, celle de l’espèce, où les parents ne parviennent pas à s’accorder, l’un ou l’autre peut demander à un juge aux affaires familiales de trancher leur différend (C. civ., art. 373-2-7). Dans l’affaire rapportée, le juge saisi avait décidé de fixer la résidence habituelle de l’enfant chez sa mère et accordé au père un droit de visite et d’hébergement.

Cela étant, les solutions retenues quant à la résidence de l’enfant et au droit de visite le sont toujours en considération du contexte existant au moment où elles sont choisies. Si ce contexte évolue de manière significative, celles-ci peuvent alors être redéfinies en conséquence. Ainsi la solution initialement choisie peut-elle devenir inadaptée du fait du déménagement de l’un des parents, a fortiori lorsque le changement de résidence entrave considérablement, tel qu’en l’espèce, l’exercice du droit de visite de l’autre parent. Le parent qui subit l’éloignement géographique causé par le déménagement de son enfant est alors en droit de faire valoir l’atteinte effective portée à son autorité parentale pour obtenir un réaménagement des modalités initiales. Faute de l’obtenir en accord avec l’autre parent, il peut saisir le juge « (…) qui statue selon ce qu’exige l’intérêt de l’enfant » (C. civ., art. 373-2). 

Si le juge peut alors remodeler les solutions jusqu’alors applicables, comme la cour d’appel l’avait en l’espèce privilégié, la Cour de cassation s’y est cependant opposée, dès lors que le déménagement de la mère n’était pas une circonstance nouvelle mais un élément déjà prévu et pris en considération dans la convention initiale, judiciairement homologuée, et que de surcroît, la révision de cette convention dans les termes demandés par le père, impliquant un nouveau déménagement pour l’enfant, aurait été, faute de délai suffisant et compte tenu de l’état de santé de son très jeune fils, contraire à son intérêt. En outre, le motif tiré de l’inexécution par la mère de son obligation de respecter le droit de visite accordé au père selon les modalités prévues par l’ordonnance du juge aux affaires familiales (JAF) était inopérant : si « (l)e fait de refuser indûment de représenter un enfant mineur à la personne qui a le droit de le réclamer » constitue un délit (C. pén., art. 227-5), il ne peut valablement fonder la décision du juge de modifier la résidence habituelle de l’enfant, seul l’intérêt supérieur de ce dernier et non celui, même lésé, de l’un de ses parents, étant à même de le justifier, ce qui n’était pas en l’espèce le cas. Enfin, il convient de préciser que le refus de remettre l’enfant peut, en cas de motif légitime, être considéré comme licite (Crim. 23 janv. 1968, n° 67-92.352), notamment s’il est fondé sur l’état de santé de ce dernier ; la fragilité de celui dont la mère méconnaissait, en l’espèce, les droits du père, pouvait ainsi constituer un fait justificatif. Ou bien n’être qu’un mauvais prétexte pour maintenir son ex-mari à distance…

Civ. 1re, 12 sept. 2019, n°18-18.924

Références

Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 06-14.643 P: AJ fam. 2007. 189 ; RTD civ. 2007. 318, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 mars 2006, n° 04-19.527 P: D. 2006. 881, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2007. 2192, obs. A. Gouttenoire et L. Brunet ; AJ fam. 2006. 202, obs. F. Chénedé ; RTD civ. 2006. 300, obs. J. Hauser ; ibid. 549, obs. J. Hauser

■ Crim. 23 janv. 1968, n° 67-92.352

 

Auteur :Merryl Hervieu

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