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[ 11 février 2020 ] Imprimer

Droit commercial et des affaires

Partenariat commercial : une alliance a minima

Même limitée dans le temps et sans projet commun, une relation commerciale entre deux professionnels peut être caractérisée et ainsi donner lieu, en cas de déséquilibre significatif, à la protection du partenaire qui en est victime.

Instituée par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, la protection des professionnels contre les clauses abusives prend en compte le fait que les consommateurs ne sont pas les seules victimes potentielles de l’abus d’un déséquilibre contractuel excessif causé par l’exploitation, au stade de la négociation contractuelle, de leur faiblesse économique. Les professionnels peuvent l’être aussi. Partant, à l’instar des contrats de consommation, les contrats commerciaux peuvent également être entachés par de tels déséquilibres, légalement qualifiés de « significatifs » et de fait permis par l’inégalité des forces économiques et donc contractuelles des contractants. Dans cette perspective, l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce issu de la loi précitée prohibait, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, la soumission ou la tentative de soumission « d’un partenaire commercial (« partie » selon la terminologie nouvelle) à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». 

Les mêmes clauses emportent donc, quel que soit le statut du contractant victime, les mêmes effets, à ceci près que les sanctions diffèrent ainsi que les titulaires du droit d’agir : en effet, sur le fondement du droit des pratiques restrictives de concurrence, outre la victime directe de la clause abusive, le ministère chargé de l’économie peut également engager une action, au nom de l’ordre public économique. C’était d’ailleurs le cas dans l’espèce ayant donné lieu à la décision rapportée, qui présente l’immense intérêt d’apporter des précisions attendues et nécessaires sur le domaine d’application du texte et par là même, sur les professionnels qu’il protège : en effet, si l’intention du législateur d’étendre le champ de la protection contre l’abus aux professionnels ne peut être que saluée, la difficulté provient des lacunes du texte, qui restaient à combler, quant aux notions dont dépend pourtant en grande partie sa mise en œuvre : celle de « partenaire commercial », partie à ce que la pratique a qualifié de « relation de partenariat commercial » ou, lorsque celle-ci repose sur un écrit, de « contrat de partenariat commercial », restant, dans le silence légal, un contrat innommé. C’est ce flou que la Cour de cassation vient de dissiper.

Une société proposait à des clients professionnels la création de sites Internet dans le cadre d’un contrat d’abonnement de 48 mois, tacitement renouvelable pour une durée d'un an, et d’un contrat de licence d’exploitation de ces sites, lequel était ensuite cédé à une société de financement, qui devenait alors créancière des sommes dues périodiquement par le client. Saisie de nombreuses plaintes concernant les pratiques commerciales de cette société, le ministre de l'économie l'a assignée pour violation de l'article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, à l'effet d'obtenir la cessation des pratiques incriminées et l'annulation de plusieurs clauses contractuelles qui, par leur combinaison, étaient de nature à créer un déséquilibre significatif au détriment des clients. Le ministre demandait également au juge de prononcer une amende civile en application de l’article L. 442-6 du Code de commerce, celle-ci ayant à la fois un caractère punitif - sanctionner le trouble causé à l’ordre public économique, et dissuasif -éviter la répétition de la pratique contestée.

Préalablement à l’examen des conditions relatives à la soumission et au déséquilibre significatif des clauses contestées, la cour d’appel saisie commença par vérifier si la société proposant la création de sites Internet et ses clients étaient susceptibles d’être qualifiés de partenaires commerciaux. C’est alors que de manière presque pédagogique, la juridiction définit le partenaire commercial comme « le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d'agent économique ou plus étroite de cocontractant ». La cour d’appel déduit logiquement de sa définition que les contrats conclus par la société et ses clients ne permettaient pas de considérer ces derniers comme des partenaires commerciaux : d’une part, ces contrats de mise à disposition ne constituaient que des opérations ponctuelles à objet et à durée limités (cinq ans), ne générant aucun courant d’affaires stable et continu entre les parties ; d’autre part, leurs obligations contractuelles respectives ne laissaient apparaître aucune réciprocité manifestant une volonté commune de réaliser un projet commun de production, de distribution ou de services. 

Au visa de l'article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, l’arrêt est cassé. La Cour de cassation définissant le partenaire commercial comme « la partie avec laquelle l'autre partie s'engage, ou s'apprête à s'engager, dans une relation commerciale », elle juge qu’en ajoutant à la loi des conditions relatives à la durée et à la réciprocité des relations entre les cocontractants que celle-ci ne comporte pas, la cour d'appel a violé le texte susvisé. 

Ainsi la Cour de cassation emploie-t-elle sans doute volontairement le terme générique désormais en vigueur de « partie » pour condamner la définition retenue en appel du « partenaire commercial », vu comme celui qui entretient avec un professionnel une relation privilégiée, à la fois régulière et durable, nouée et entretenue autour d’un projet commun. 

Or la Cour de cassation conteste non seulement le cumul mais l’existence même de ces deux critères de qualification que seraient la durée du contrat ou de la relation de partenariat et la volonté conjuguée de coopérer autour d'un projet commun. 

C’est ainsi que pour nier en l’espèce l’existence d’un partenariat commercial, la cour d’appel avait d’abord souligné la sporadicité de la relation des parties, mais surtout insisté sur l’absence de volonté commune de s’unir autour d’un projet commun, empêchant de considérer comme partenaires ceux qui n’étaient que des cocontractants. Or elle avait inféré cette absence du fait que le client n’avait comme obligation essentielle que celle de s’acquitter des loyers, c’est-à-dire de payer la prestation que la société lui fournissait. L’analyse était problématique en ce qu’en pratique, cette configuration contractuelle est particulièrement répandue en matière commerciale en sorte qu’elle conduisait concrètement à restreindre le champ d’application de l’interdiction du déséquilibre significatif aux relations commerciales construites sur une articulation de contrats en réseau, propre au secteur de la grande distribution. Certes principalement visées par la loi de 2008, il n’en reste pas moins que la notion de partenariat vise en principe et plus largement d’autres types de relations commerciales, couvre d’autres secteurs et englobe une diversité de situations, contractuelles ou non, consistant en l’échange ou la mise en commun de certaines ressources, des prestations de services, des opérations publicitaires ou promotionnelles… 

C’est cette restriction malvenue comme contraire à la pratique et à l’objectif poursuivi par le législateur que la Cour de cassation a condamné. 

Ainsi l’existence d’intérêts propres aux parties à une relation commerciale n’est-elle pas incompatible avec la notion de partenariat, la poursuite d’un projet commun devant être indifférent, de même que la durée de cette relation, contractuelle ou non, bien que l’il soit difficile d’imaginer qu’elle puisse être seulement épisodique ; ainsi en l’espèce, même sans lien juridique pérenne, les relations des parties s’inscrivaient tout de même dans le temps. 

En toute hypothèse, la Cour entend préserver le potentiel de protection de l’article L. 442-6, 2° du Code de commerce et pourchasser sans frein les clauses abusives subies par le partenaire commercial, même celui dont la relation n’est pas durable ni collaborative.

Com. 15 janvier 2020, n° 18-10.512

 

Auteur :Merryl Hervieu


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