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Droit des régimes matrimoniaux
Participation bénévole de l’épouse à l’activité professionnelle de son conjoint : un appauvrissement justifié ?
Les gains et salaires – ainsi que l’indemnité compensant une perte de revenus de l’époux –, en tant que produits de l’industrie personnelle des époux, font partie de la communauté. Ainsi l’époux commun en biens qui a participé sans rémunération à l’activité professionnelle de son conjoint ne subit aucun appauvrissement personnel lui permettant d’agir au titre de l’enrichissement sans cause.
Les difficultés liées aux opérations de comptes, liquidation et partage de la communauté donnent régulièrement du fil à retordre à la Cour de cassation. Ces divergences apparaissent particulièrement dans le cadre du régime de la communauté légale ; les époux épris l’un de l’autre ne s’étant pas prémunis contre les aléas d’une déperdition de leur union !
En l’espèce, un époux, agent d’assurance, avait hérité du portefeuille de l’agence d’assurance de son père. Durant le mariage, il reçoit une indemnisation au titre de la réparation d’un préjudice financier subi à la suite de la baisse de commissionnement fixé au titre de certains risques afin de compenser une baisse de recettes. Il met cette indemnité à contribution afin de financer, en partie, une nouvelle agence. Les deux agences sont regroupées puis vendues à un tiers. L’épouse a travaillé pendant 18 ans à l’agence d’assurances et de courtage appartenant en propre à son ex-conjoint, sans avoir perçu de salaire. Suite au divorce des époux, des difficultés concernant la liquidation et le partage de la communauté apparaissent et les ex-époux s’affrontent d’une part sur la qualification de l’indemnité reçue par le mari (I), et d’autre part sur les conséquences pécuniaires de la collaboration bénévole de l’épouse à l’activité professionnelle de son conjoint (II).
I/ Sur la nature de l’indemnisation reçue
La cour d’appel considère que l’indemnité reçue au cours du mariage par le mari au titre de la réparation d’un préjudice financier est un bien commun et qu’ainsi ce dernier doit récompense à la communauté puisque ladite indemnité a participé à l’acquisition de son cabinet d’assurance, bien qui lui est propre.
Le mari se pourvoit en cassation en invoquant dans un premier moyen que « constitue un bien propre la somme versée à titre d’indemnisation de la perte de valeur d’un actif professionnel, qui constitue lui-même un bien propre ».
La Cour de cassation le déboute et confirme ainsi la position de la cour d’appel qui le condamne à verser une récompense à la communauté en arguant que l’indemnité, qui compensait une perte de revenus de l’époux, était entrée en communauté par application de l’article 1401 du Code civil.
Il convient de rappeler que conformément à l’article 1401 du Code civil, la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. Il est à noter que la présomption de communauté des biens prévue par l’article 1402 du Code civil accroît considérablement cette catégorie.
Ainsi la communauté se compose des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage, ainsi que des revenus des époux ; lesquels sont composés des revenus du travail et des revenus des biens propres.
Les gains et salaires, en tant que produits de l’industrie personnelle des époux, font partie de la communauté (Civ. 1re, 8 févr. 1978, n° 75-15.731), ainsi que les substituts ou accessoires de salaires tels que les indemnités de licenciement (Civ. 1re, 5 nov. 1991, n° 90-13.479) et l’indemnité allouée en réparation d’un préjudice professionnel (Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-13-402).
Les fruits et revenus des biens propres sont également considérés comme des biens communs ; la jurisprudence n’opérant pas la distinction entre les fruits perçus (consommés ou non) posée à l’article 1403 du Code civil (Civ 1re, 31 mars 1992, n° 90-17.212, confirmé par Civ 1re, 20 févr. 2007, n° 05-18.066).
A l’inverse, l’article 1404 du Code civil définit les biens propres par nature ; ce sont les biens mobiliers à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparations d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles et, plus généralement, tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne.
Ainsi une indemnité versée au titre d’un contrat d’assurance-invalidité en compensation d’un dommage corporel est un bien propre (Civ. 1re, 17 nov. 2010, n° 09-72.316). A l’inverse, l’indemnité qui a pour but de réparer un dommage économique ou professionnel tombe dans la masse des biens communs ; tel est le cas en l’espèce.
II/ Sur la collaboration bénévole de l’épouse à l’activité professionnelle de son conjoint
La cour d’appel accueille la demande de l’ex-épouse fondée sur l’enrichissement sans cause (devenu enrichissement injustifié depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) et lui accorde un dédommagement du fait de sa collaboration bénévole à l’activité professionnelle de son mari pendant 18 ans.
Cette action de in rem verso (désormais prévue aux articles 1303 à 1303-4 du Code civil) n’aboutira pas de la même façon selon le régime matrimonial des époux. En cas de régime de séparation de biens, le conjoint collaborateur pourra prétendre à une indemnité par le biais de cette action (Civ. 1re, 29 mai 2001, n° 98-21.991). Cependant, dans le cadre du régime de la communauté légale, l’époux collaborateur est classiquement indemnisé par l’attribution d’une prestation compensatoire.
En l’espèce, les juges du fond ont relevé que l’appauvrissement résultant de la participation bénévole de l’épouse à l’activité professionnelle de son conjoint durant le mariage n’avait pas été prise en considération lors de la fixation de ladite prestation compensatoire ; ce qui justifiait en l’espèce le dédommagement fondé sur l’enrichissement sans cause.
La Cour de cassation clôt le litige en cassant la décision sans renvoi et censure les juges du fond, au visa des articles 1401 et 1371 (ancien du code civil), en considérant que l’époux commun en biens qui a participé sans rémunération à l’activité professionnelle de son conjoint ne subit aucun appauvrissement personnel lui permettant d’agir au titre de l’enrichissement sans cause.
Ainsi la Cour ne tient pas compte de l’absence d’indemnisation de l’épouse du fait de sa contribution à l’activité de son époux et se fonde seulement sur le caractère commun des produits de son industrie ; quand bien même l’entreprise appartient en propre à l’un des époux. La solution apparaît particulièrement sévère pour l’épouse ; ainsi si les bons comptes font les bons amis, le bon régime matrimonial ferait-il les bons divorcés ?
Civ. 1re, 17 avr. 2019, n° 18-15.486
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Enrichissement injustifié
■ Civ. 1re, 8 févr. 1978, n° 75-15.731 : D. 1978. 238, obs. D. Martin
■ Civ. 1re, 5 nov. 1991, n° 90-13.479 : D. 1978. IR. 238, obs. D.-R. Martin ; RTD civ. 1979. 592 s., obs. R. Nerson et J. Rubellin-Devichi.
■ Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-13-402 : AJ fam. 2005. 279, note P. Hilt ; D. 2005. Panor. 2115, obs. J. Revel ; RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille.
■ Civ 1re, 31 mars 1992, n° 90-17.212 : RTD civ. 1993. 401, obs. F. Lucet et B. Vareille ; ibid. 403, obs. F. Lucet et B.
■ Civ 1re, 20 févr. 2007, n° 05-18.066 : D. 2007. 1578, obs. M. Nicod , AJ fam. 2007.230, obs. P. Hilt ; RTD civ. 2007. 618, obs. B. Vareille
■ Civ. 1re, 17 nov. 2010, n° 09-72.316 : D. 2010. 2836 ; ibid. 2011. 1926, obs. H. Groutel ; ibid. 2624, obs. C. Bourdaire-Mignot, V. Brémond, M. Nicod et J. Revel ; AJ fam. 2011. 112, obs. P. Hilt
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