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[ 3 avril 2018 ] Imprimer

Droit des biens

Parties communes : un droit de jouissance exclusive n’est pas un droit de propriété

Mots-clefs : Immeuble, Copropriété, Parties communes, Jouissance privative, Droit exclusif, Droit de propriété, Distinction, Acquisition, Conditions

le droit de jouissance exclusif sur une partie commune ne se confond pas avec un droit de propriété sur celle-ci.

Un couple propriétaire de locaux correspondant à plusieurs lots de copropriété et donnant sur des jardins avait assigné le syndicat des copropriétaires en annulation des résolutions d’une assemblée générale des copropriétaires ayant rejeté leur demande de retrait desdits lots de la copropriété. En effet, le couple avait souhaité soustraire les jardins, relevant des parties communes de l’immeuble, à ce statut pour qu’ils puissent être qualifiés de parties privatives. A titre reconventionnel, le syndicat avait demandé que ces lots fussent, dans leur ensemble, jugés comme des parties communes soumises au statut de la copropriété.

En appel, la cour les qualifia de parties privatives. Si elle admit, dans un premier temps, que le règlement de copropriété comme l'acte d'achat du couple de propriétaires comportaient la même ambiguïté concernant les lots litigieux, ceux-ci étant considérés à la fois comme des parties privatives et comme des parties communes, mais à jouissance exclusive, elle retint, dans un second temps, plusieurs éléments caractérisant, selon elle, la première qualification (parties privatives) possible : elle souligna ainsi que le couple disposait de l'usage exclusif du jardin, objet d’un des lots en cause, que depuis leur acquisition, ils en étaient considérés comme les copropriétaires, qu’ils étaient convoqués en cette qualité aux assemblées générales et qu’ils payaient à ce titre des charges de copropriété, comme avant eux leurs prédécesseurs, qu'ils étaient également les seuls à en effectuer l'entretien et enfin, que l’un des lots dont la qualification était contestée par le syndicat bordait la propriété du couple à la droite dudit lot et, enfin, que l'état descriptif de division associait aux deux lots litigieux des quotes-parts de parties communes.

Cette décision est censurée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un droit de propriété exclusif et à écarter celle d'un droit jouissance exclusif sur ces jardins. 

La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence actuelle concernant la qualification d’un droit de jouissance exclusif exercé sur des parties communes : celui-ci n'est pas un droit de propriété, et ne peut constituer à lui seul la partie privative d’un lot (Civ. 3e, 18 janv. 2018, n° 16-16.950 ; Civ. 3e, 6 juin 2007, n° 06-13.477). Ainsi, seuls les bâtiments et terrains réservés à l'usage exclusif d'un copropriétaire déterminé, et qui sont sa propriété exclusive, peuvent être qualifiés de parties privatives. En revanche, le droit de jouissance exclusif sur une partie commune permet certes au bénéficiaire d'en jouir mais n'est pas assimilable, en dépit de cette exclusivité, à un droit de propriété, la partie sur laquelle s'exerce ce droit de jouissance privatif demeurant commune. Ainsi la Cour de cassation considère-t-elle, en l’espèce, que les motifs retenus en appel relatifs à la jouissance des lots, au statut de copropriétaire et à la configuration ainsi qu’à l'entretien des jardins par le couple de copropriétaires, comme insuffisants à caractériser un droit de propriété exclusif que ce dernier aurait sur les jardins, seul élément permettant de différencier une partie privative d'une partie commune à jouissance exclusive. 

La spécificité de ce droit réel que constitue le droit de jouissance exclusive n’est cependant pas négligeable pour son titulaire qui dispose, à ce titre, du droit d'interdire à tout autre copropriétaire l'usage de la partie commune sur laquelle s'exerce son droit exclusif, ou de celui de s'opposer personnellement à tout empiétement. Il ne se réduit donc pas au simple droit de jouissance de droit commun dont disposent, sur toute partie commune, tous les copropriétaires, lequel se caractérise par un usage conjoint, et donc non exclusif, de ces parties communes. 

Bien que la décision rapportée ne l’illustre pas, il est à noter que le droit de jouissance exclusif est susceptible d'usucapion trentenaire, c’est-à-dire d’une acquisition, par l’usage, de la propriété de la partie commune : la Cour de cassation a en effet déjà affirmé le principe selon lequel « un droit de jouissance privatif sur des parties communes est un droit réel et perpétuel qui peut s'acquérir par usucapion » (Civ. 3e, 24 oct. 2007, n° 06-19.260). Rappelons que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire (C. civ., art. 2261), étant précisé que les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription (C. civ. art. 2262).Or la jurisprudence semble rétive à admettre une telle usucapion en matière de copropriété, faute d’animus et d’actes de possession suffisants pour satisfaire les conditions requises. Ainsi, la simple tolérance par les copropriétaires de l'occupation d'une partie commune ne donne pas vocation à son bénéficiaire, en l’occurrence détenteur d’un droit de jouissance sur un jardin situé sous les fenêtres de son appartement, d'en acquérir la propriété, comme le proscrit l’article 2262 précité, outre que le simple fait d'entretenir un jardin, qui ne peut jamais être continu, ne constitue pas en soi un acte de possession suffisant à révéler en soi la volonté de s'approprier le bien et de se comporter en propriétaire (Civ. 3e, 6 mai 2014, n° 13-16.790). La règle selon laquelle la possession ne doit pas être entachée d'ambiguïté, ce qui suppose que son caractère exclusif soit manifeste, pose aussi souvent des difficultés ; ainsi, l’autorisation donnée à un copropriétaire, dans l’état descriptif de division et dans le règlement de copropriété, de fermer une véranda construite sur des parties communes et dont il avait la jouissance privative, rend équivoque la possession de cette véranda par le copropriétaire (Civ. 3e, 10 déc. 2015, n°1 4-13.832). 

Civ. 3e, 15 févr. 2018, n° 16-27.858

Références

■ Civ. 3e, 18 janv. 2018, n° 16-16.950.

■ Civ. 3e, 6 juin 2007, n° 06-13.477 P: D. 2007. 2356, obs. G. Forest, note C. Atias ; ibid. 2184, obs. P. Capoulade et C. Atias ; ibid. 2008. 2690, obs. C. Atias et P. Capoulade ; AJDI 2007. 575, avis O. Guérin ; RTD civ. 2007. 591, obs. T. Revet.

■ Civ. 3e, 24 oct. 2007, n° 06-19.260 P: D. 2007. 2803 ; ibid. 2008. 2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; RTD civ. 2008. 693, obs. T. Revet.

■ Civ. 3e, 6 mai 2014, n° 13-16.790.

■ Civ. 3e, 10 déc. 2015, n° 14-13.832 P: D. 2016. 10 ; ibid. 1779, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin.

 

Auteur :M. H.

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