Actualité > À la une

À la une

[ 31 mai 2021 ] Imprimer

Droit des assurances

Pas d’aléa, pas d’assurance !

Aux termes de l’ancien article 1964 du Code civil, le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tel est le cas du contrat d’assurance, qui ne peut donc exister, faute d’aléa, lorsque le risque s’est déjà réalisé au jour de sa souscription.

Civ. 2e, 6 mai 2021, n° 19-25.395

Envisagée par l’article 1108 du Code civil (anc. art. 1104), la distinction entre le contrat commutatif et le contrat aléatoire se présente comme une sous-distinction des contrats à titre onéreux qui repose sur l’existence ou non d’un aléa affectant les obligations réciproques des parties. 

Le contrat est dit commutatif lorsque les prestations mises à la charge des parties sont connues au jour de la conclusion du contrat

Il est aléatoire lorsque la prestation de l’une des parties dépend, dans son existence ou dans son étendue, d’un événement incertain : tel est le cas du contrat d’assurance, qui constitue la première déclinaison de cette catégorie, où l’obligation de garantie de l’assurance est subordonnée à la survenance d’un sinistre (incendie, vol, etc.) dont aucune des parties ne peut savoir si et quand il surviendra. L’aléa est donc inhérent au contrat d’assurance, ce que rappelle la deuxième chambre de la Cour de cassation dans la décision rapportée pour en tirer la conséquence logique que le contrat d’assurance ne peut jamais porter sur un risque que l’assuré sait s’être déjà réalisé.

En l’espèce, un particulier acquiert un véhicule au moyen d’un contrat de location avec option d’achat, souscrit le 20 septembre 2012. Quelques mois plus tard – le 25 mai 2013 –, l’acquéreur adhère à un contrat d’assurance garantissant notamment son incapacité totale de travail et affecté au contrat de location avec option d’achat.

L’acquéreur assigne, par la suite, le vendeur et l’assureur en paiement d’une somme représentant les mensualités du crédit réglées durant sa période d’arrêt de travail. La cour d’appel fait droit à sa demande, aux motifs que l’assuré, souffrant d’une entorse du genou droit, a bénéficié d’un arrêt de travail à compter du 18 février 2013, que cette pathologie a été consolidée le 11 septembre 2014 et que l’assuré a été de nouveau en arrêt de travail à compter du 12 septembre 2014. Les juges du fond rappellent que, pour s’opposer à la garantie, l’assureur fait valoir que le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne peut porter sur un risque que l’assuré sait déjà réalisé. Ils ajoutent cependant que l’assureur n’a pas sollicité la nullité du contrat d’assurance, de sorte que la cour n’est pas saisie de cette demande.

L’assureur forme un pourvoi en cassation, dans lequel il rappelle que l’aléa étant consubstantiel au contrat d’assurance, il ne pouvait être tenu à garantir un risque déjà réalisé au moment de la souscription du contrat litigieux, date à laquelle l’arrêt de travail de l’assuré était en cours et dont il avait connaissance au jour de son adhésion à l’assurance, sans que les juges ayant retenu l’inverse aient méconnu les articles 1964 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au litige, L. 121-15 du Code des assurances, ensemble l’article 12 du Code de procédure civile ».

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 6 mai 2021, censure intégralement la décision des juges du fond. Visant l’article 1964 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, applicable à la cause, elle rappelle qu’« aux termes de ce texte, le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain. Tel est le contrat d’assurance » (pt 4). La deuxième chambre civile en conclut qu’en statuant comme elle l’avait fait, « alors qu’en l’absence d’aléa, au jour de l’adhésion, concernant l’un des risques couverts par le contrat d’assurance, la garantie y afférente ne pouvait être retenue, la cour d’appel, qui relevait que le premier arrêt de travail avait débuté le 18 février 2013, avant la date de l’adhésion, n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations » et a violé l’article 1964 (ancien) du code civil (pt 6).

Traditionnellement, la qualification de contrat aléatoire suppose la conjonction de deux éléments constitutifs :

■ l’incertitude de l’événement constitutif de l’économie du contrat conclu par les parties ;

■ l’incidence de cette incertitude sur l’équilibre économique de l’opération qui se traduit par un risque de perte corrélé à une chance de gain.

Jusqu’à la réforme du droit des contrats réalisée par l’ordonnance du 10 février 2016, ces deux traits caractéristiques du contrat d’assurance résultaient de deux textes du Code civil : l’ancien article 1104 (le contrat aléatoire procure « une chance de gain ou de perte pour chacune des parties, d’après un événement incertain ») et 1964 (« Le contrat aléatoire est une convention réciproque dont les effets, quant aux avantages et aux pertes, soit pour toutes les parties, soit pour l’une ou plusieurs d’entre elles, dépendent d’un événement incertain »). Il existait un problème d’articulation entre ces deux textes, le second admettant à l’inverse du premier que l’incidence de l’événement sur les avantages et pertes attendus pouvait ne concerner qu’un seul contractant. Résolu par le primat en pratique donné à l’article 1104, ce problème est réapparu en 2016, le nouvel article 1108 disposant simplement que le contrat est aléatoire « lorsque les parties acceptent de faire dépendre les effets du contrat, quant aux avantages et aux pertes qui en résulteront, d'un événement incertain » ; ce texte ne précise donc pas si l’incidence de l’événement sur les avantages et pertes attendus doit bien se manifester à l’égard des deux contractants. Partant, si l’aléa économique est indispensable à la qualification du contrat aléatoire, sa réciprocité ne le serait pas. L’aléa économique pourrait aussi bien être unilatéral, ce qui serait bienvenu par nécessité d’accorder cette approche du contrat aléatoire au contrat d’assurance, dans lequel la chance de gain et le risque de perte n’affectent qu’une partie au contrat (l’assureur).

À ce manque de précision s’ajoute une confusion que la réforme a dans un premier temps semée en ayant supprimé ce que l’ancien article 1964 précisait expressément, à savoir que le contrat d’assurance appartient à la catégorie des contrats aléatoires. On pouvait d’autant plus regretter cette suppression qu’aucun article du code des assurances ne traite expressément de l’aléa. Cependant, nul ne peut vraiment douter de la nature aléatoire du contrat d’assurance (F. Leduc, in H. Groutel et a.Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 161 : « il est acquis que le contrat d’assurance est un contrat aléatoire : la loi le dit, la jurisprudence le répète et la doctrine l’approuve »), notamment le juge, qui la tient pour acquise (Civ. 2e, 11 sept. 2014, n° 13-17.236 : « Le contrat d’assurance, par nature aléatoire, ne pouvait garantir un risque que les assurés savaient déjà réalisé avant sa souscription » ; Civ. 2e, 15 avr. 2010, n° 08-20.377 ; Civ. 1re, 4 nov. 2003, n° 01-14.942 (même attendu)), et ce malgré l’expansion, dans la pratique assurantielle, de contrats qui auraient pu justifier que la Haute cour la remette en cause (v. à propos des contrats dits d’assurance placement, dans lesquels il est certain que le capital sera versé par l’assureur, Ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592, 4 arrêts ; J. Ghestin, « La Cour de cassation s’est prononcée contre la requalification des contrats d’assurance vie en contrats de capitalisation », JCP 2005. I. 111).

Malgré le trouble à l’époque suscité par la réforme, demeure ainsi inchangé le principe traditionnel selon lequel « pas d’aléa, pas d’assurance » (B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, 3éd., LGDJ, 2018, n° 186). L’assurance est donc nulle si, au moment du contrat, le risque garanti a disparu, notamment par sa réalisation (comp. en droit des assurances terrestres, L. 121-15).

Une difficulté est néanmoins susceptible d’advenir en cas de risque dit putatif, c’est-à-dire celui qui s’est déjà réalisé mais dont aucune des deux parties n’avait connaissance au moment de la conclusion du contrat. En l’absence de réponse apportée par le droit commun des assurances, la jurisprudence, s’inspirant de quelques dispositions particulières, a opté pour une appréciation subjective de ce type d’aléa. Ainsi, lorsque le fait dommageable, même survenu avant la conclusion du contrat, n’était pas connu des contractants au moment de la souscription, l’assureur reste tenu à garantie : « La seule circonstance que le fait dommageable soit antérieur à la prise d’effet de la garantie ne suffit pas à exclure sa mise en œuvre. Il convient encore d’établir que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie » (Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-14.661). En revanche, le contrat d’assurance ne peut jamais porter sur un risque que l’assuré sait s’être déjà réalisé, ce que rappelle le présent arrêt.

Selon cette approche, le contrat d’assurance est alors entaché de nullité dans deux situations, dépourvues d’aléa :

1° si à l’entrée en vigueur de la couverture, le risque garanti s’est déjà réalisé ;

2° si lors de la souscription du contrat, l’assuré avait connaissance de « la survenance proche et inéluctable du sinistre » (R. Bigot, « Les assurances de responsabilité », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Ellipses, 2020, p. 260).

En l’espèce, la connaissance par l’assuré de la réalisation du risque, antérieure au jour de son adhésion, dont il demandait pourtant la couverture, privait le contrat litigieux de l’aléa nécessaire à la qualification du contrat d’assurance, en sorte que la garantie y afférente ne pouvait être retenue. 

Références : 

■ Civ. 2e, 11 sept. 2014, n° 13-17.236

■ Civ. 2e, 15 avr. 2010, n° 08-20.377

■ Civ. 1re, 4 nov. 2003, n° 01-14.942 P: D. 2003. 2867

■ Ch. mixte, 23 nov. 2004, n° 01-13.592 P: AJDA 2004. 2302, obs. M.-C. Montecler et P. Seydoux ; D. 2004. 3191, et les obs. ; RDI 2005. 11, obs. L. Grynbaum ; AJ fam. 2005. 70, obs. F. Bicheron ; RTD civ. 2005. 88, obs. R. Encinas de Munagorri ; ibid. 434, obs. M. Grimaldi

■ Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-14.661

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr