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[ 27 juin 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Pas de dol sans intention de tromper !

Intentionnel et déterminant du consentement, le silence gardé par un vendeur de places de parking sur le fait que celles-ci ont été inondées un mois avant la vente est dolosif.

Un particulier avait acheté à une société neuf emplacements de stationnement de parking situés en sous-sol d'un immeuble. Or, un mois avant la conclusion de la vente, le sous-sol où se situaient cinq des neuf emplacements acquis avait été inondé, en raison d'intempéries dont l’intensité avait été telle qu'un arrêté de catastrophe naturelle avait en conséquence été pris. Soutenant avoir appris, par un procès-verbal d'assemblée générale des copropriétaires dressé un an et demi après la vente, le caractère inondable du sous-sol, l’acheteur avait assigné la société venderesse, ainsi que sa gérante, en annulation de la vente pour dol. 

La cour d’appel ayant accueilli sa demande, la société venderesse forma un pourvoi en cassation pour contester, essentiellement, l’intentionnalité du dol qui lui était reproché, s’appuyant sur les propres constatations de la cour d’appel qui avait relevé que la société avait, plusieurs mois avant la vente, été assurée de la bonne imperméabilisation des locaux et trois jours seulement avant la signature de l’acte, informée de la levée « des réserves émises quant aux infiltrations », outre le fait qu’un peu moins d’un mois après la conclusion de la vente, une expertise avait imputé l’inondation à une cause « extérieure aux travaux de construction de l’immeuble », en sorte qu’il ne pouvait être affirmé, ainsi qu’en avait jugé la cour d’appel, que la société aurait sciemment dissimulé à l’acheteur que les biens acquis avaient souffert, très peu de temps avant la vente, d’une importante inondation. Aussi la société affirmait-elle, au soutien de son pourvoi en cassation, que si la réticence dolosive suppose un manquement intentionnel à une obligation précontratuelle d’information ayant provoqué une erreur déterminante, encore faut-il que la partie créancière de cette obligation eût légitimement ignoré l’information litigieuse, ce qui n’était pas le cas en l’espèce, l’exposition de sous-sols de parking à des risques d’inondation en cas de forte précipitation relevant, selon la demanderesse, de la connaissance commune. 

La thèse du pourvoi est écartée par la Haute cour en ces termes : « (…) attendu qu'ayant souverainement retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que les éléments détenus par la société (…) au moment de la vente sur l'efficacité du cuvelage, la levée des réserves et le caractère extérieur aux travaux de construction des entrées d'eau constatées ne la dispensaient pas d'informer (l’acquéreur) sur les inondations survenues, un mois auparavant, alors que l'attention de l'acquéreur aurait dû être attirée sur le risque d'inondation, en cas de fortes précipitations, de nature à faire obstacle à l'utilisation des biens acquis, la cour d'appel (…) a pu en déduire que la venderesse avait dissimulé à l'acquéreur un élément déterminant dont il n'avait pu avoir personnellement connaissance et (…) légalement justifié sa décision ».

Cette décision témoigne de la pérennité de l’élément intentionnel du dol, dont la perte de vitalité avait pu, un temps, être repérée, et même contestée ; en effet, notamment lorsque le vendeur avait la qualité de professionnel, la jurisprudence avait pu avoir tendance à présumer que ce dernier avait commis un dol du seul fait d’avoir manqué à son obligation d’information, au point que certains auteurs en étaient venus à regretter que le dol soit de fait présumé lorsque la réticence provenait d’un professionnel (Terré, Simler, Lequette, Droit civil ; les obligations, Dalloz, coll. Précis, n° 234). Ainsi en était-il par exemple dans le domaine du cautionnement (Civ. 1re, 10 mai 1989, n° 87-14.294). Il est vrai que les juges, en imposant au vendeur professionnel une obligation de renseignement dont ils étaient tenus de rapporter la preuve de l’exécution, opéraient du même coup un renversement de la charge de la preuve de l’élément intentionnel du dol, celle-ci incombant en principe à la victime, pour faire peser la charge de prouver son absence sur le professionnel (Sur ce point, V. Porchy-Simon, Les obligationsDalloz, coll. Hypercours, n° 177). La permanence de cette solution est cependant, depuis l’ordonnance du 10 février 2016, incertaine puisque l’article 1137, alinéa 2 du Code civil insiste bien, du moins pour ce qui concerne le dol par réticence, sur la nécessité de son intentionnalité, le rapport relatif à l’ordonnance précisant même expressément qu’ « en l’absence d’intention de tromper, le défaut d’information, qui peut ne résulter que d’une simple négligence, ne sera sanctionné que par l’octroi de dommages-intérêts » (p. 7).

Quoique rendue sur le fondement du droit antérieur (anc. art. 1116 C. civ.), la solution rappelle et ravive cet élément constitutif du dol, d’ailleurs aussi parfois nommé, à juste titre, « erreur provoquée », et fait ainsi le pont entre la tradition civiliste - le dol ayant toujours supposé une volonté de tromper son cocontractant- et son actualité.

La solution vient aussi et enfin rappeler la nécessité que cette dissimulation volontaire ait porté sur un élément déterminant du consentement. En effet, le dol n’est susceptible d’entraîner l’annulation du contrat que s’il a eu une influence déterminante sur le consentement de sa victime, ainsi que l’expriment nettement les articles 1116 ancien et 1130 du Code civil. Cette exigence permet principalement d’opposer le dol principal, déterminant du consentement et pour cette raison, sanctionné par la nullité du contrat, au dol incident, sans influence directe sur le consentement à contracter, et dont la seule sanction est l’engagement de la responsabilité de son auteur. Si le dol doit être déterminant, toute altération du consentement n’est cependant pas prise en compte : le dol doit en effet avoir vicié le consentement au point de provoquer l’erreur du contractant. Il est cependant à noter que contrairement à l’erreur spontanée, l’erreur provoquée, même indifférente ou inexcusable, pourra être sanctionnée. C’est pourquoi l’argument de la société demanderesse relatif à l’évidence de l’information occulté était voué à l’échec. 

Civ. 3e, 24 mai 2018, n° 17-17.369

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Dol.

■ Civ. 1re, 10 mai 1989, n° 87-14.294 P : D. 1990. 385, obs. L. Aynès.

 

Auteur :M. H.


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