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Droit de la responsabilité civile
Pas de préjudice spécifique de contamination dans l’ignorance de la contamination
Mots-clefs : Préjudice, Préjudice de contamination, SIDA, Hépatite C, Responsabilité
Le préjudice spécifique de contamination est un préjudice exceptionnel extrapatrimonial. Le caractère exceptionnel de ce préjudice est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination. Dès lors, un individu tenu dans l'ignorance de sa contamination par le VIH et par le virus de l'hépatite C ne peut subir de préjudice spécifique de contamination.
L’indemnisation des personnes contaminées par le virus du SIDA à la suite d’une transfusion sanguine a donné lieu à la création d’un nouveau préjudice, « le préjudice personnel de contamination ». Émancipant cette notion de l’hypothèse particulière du SIDA, ce préjudice spécifique a ensuite été transposé à d’autres types de contamination. La Cour de cassation a ainsi admis la reconnaissance d’un préjudice spécifique de contamination pour les personnes affectées par l’hépatite C (Civ. 2e, 9 juill. 1996 ; Civ. 1re, 1er avr. 2003).
Défini par la jurisprudence comme « l’ensemble des préjudices de caractère personnel, tant physiques que psychiques subis par la victime et résultant notamment de la réduction de l’espérance de vie, des perturbations de la vie sociale, familiales et sexuelle ainsi que des souffrances et de leur crainte, du préjudice esthétique et d’agrément ainsi que toutes les affections opportunistes consécutives à la déclaration de la maladie » (Civ. 2e, 2 avr. 1996), le préjudice spécifique peut-il être reconnu indépendamment de la connaissance par la victime de sa contamination ? Telle est la question à laquelle répond négativement la Cour de cassation dans son arrêt du 22 novembre 2012.
Une patiente, ayant subi en avril 1984 une opération de chirurgie cardiaque au cours de laquelle elle a reçu des transfusions de produits sanguins, a été contaminée par le virus d'immunodéficience humaine (VIH) et par le virus de l'hépatite C. Elle a subi 146 hospitalisations depuis 1984 et est décédée le 2 janvier 2009 des suites d'une fibrose pulmonaire, en ayant été maintenue durant 25 ans dans l'ignorance de la nature exacte de sa pathologie par sa famille. Celle dernière avait même présenté à son insu le 10 octobre 1992 une demande d'indemnisation au Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles contaminés par le VIH.
Le 21 janvier 2009, ses ayants droit — son mari et les quatre enfants issus de leur union —, exerçant l'action successorale, ont sollicité auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) l'indemnisation du préjudice spécifique de contamination de la défunte. L'ONIAM, puis la cour d’appel, les ont débouté de leur demande au motif que le caractère exceptionnel du préjudice spécifique de contamination « est intrinsèquement associé à la prise de conscience des effets spécifiques de la contamination ».
Dans leur pourvoi, les ayants droit ont soutenu, sans succès, que les différentes composantes de ce préjudice (perturbations et craintes éprouvées concernant l'espérance de vie, crainte des souffrances, risque de toutes les affections opportunistes consécutives à la contamination, perturbations de la vie sociale, familiale et sexuelle) sont supportées par la victime que celle-ci ait connaissance ou non de l'appellation exacte de la contamination qu'elle a subi. La chambre criminelle approuve les juges du fond d’avoir déduit que la victime, tenue dans l'ignorance de sa contamination par le VIH et par le virus de l'hépatite C, n'avait pu subir de préjudice spécifique de contamination.
Cette solution s’inscrit parfaitement dans la logique de la reconnaissance de ce préjudice. La spécificité du préjudice de contamination a été initialement mise en évidence par la jurisprudence Courtellemont rendue par la cour d’appel de Paris le 7 juillet 1989 (Paris, 7 juill. 1989). À travers la définition du préjudice spécifique de contamination, les juridictions ont tenté de prendre en considération « les aspects multiformes de l’incommensurable et indescriptible souffrance des victimes de la contamination transfusionnelle » (v. Y. Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon) dus à la pénibilité des traitements médicaux et au retentissement psycho-affectif de la maladie.
Il ne suffit pas de se savoir malade pour subir un tel préjudice spécifique. Le caractère moralement insupportable de cette maladie, qui fait la spécificité du préjudice, est inexistant dès lors que la personne ne se sait pas infectée.
Civ. 2e, 22 nov. 2012, n°11-21.031
Références
■ Article 1382 du Code civil
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
■ Lambert-Faivre, S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel- Systèmes d’indemnisation, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, p. 193.
■ Civ. 2e, 9 juill. 1996, n°94-13.414 , Resp. civ. ass. 1996, comm. n° 385.
■ Civ. 1re, 1er avr. 2003, n°01-00.575, RTD civ. 2003. 506, obs. P. Jourdain ; JCP G 2004. 1. 101, 2.2 obs. G. Viney.
■ Civ. 2e, 2 avr. 1996, n°94-15.676, Bull. civ. II, n°88 ; JCP G 1996. IV. 1289.
■ Paris, 7 juill. 1989, Gaz Pal. 1989. 2. Jur. 752, note Pichot.
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