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Procédure pénale
Perquisition dans les locaux d’une CARPA : le rôle central du bâtonnier chargé de la protection des droits de la défense
Il résulte des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (Conv. EDH) et 56-1 du code de procédure pénale que les perquisitions dans les locaux des caisses de règlement pécuniaire des avocats (CARPA) ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision est porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué. L’absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l’objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le président du tribunal judiciaire éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’avocat concerné.
Crim. 18 janv. 2022, n° 21-83.751
Par cet arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle l’importance du rôle du bâtonnier qui est d’assurer la protection des droits de la défense, notamment à l’occasion d’une perquisition concernant un avocat et plus particulièrement dans les locaux d’une CARPA, lieu considéré comme particulièrement « protégé » par le législateur (v. not., S. Rayne, Rép. Pén., v° Perquisitions – saisies - visites domiciliaires, nos 33 et° 52 et s.).
En l’espèce, à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile déposée à l’encontre de la CARPA du barreau de Besançon pour des faits de recel d’abus de confiance commis en juillet 2013, des enquêteurs, agissant sur commission rogatoire du juge d’instruction, ont requis le président de la CARPA pour se faire communiquer des éléments relatifs à un chèque encaissé sur le compte de celle-ci. La CARPA n’a pas donné suite à cette réquisition en opposant le secret professionnel. Sept années plus tard, le juge d’instruction a ordonné une perquisition dans les locaux de la CARPA, à laquelle il a procédé en présence du bâtonnier de l’ordre des avocats au barreau de Besançon. Celui-ci s’était pourtant opposé à la saisie de documents, qui ont été placés sous scellé fermé. Un procès-verbal de constatation a été dressé et transmis au président du tribunal judiciaire. Ce dernier a par la suite ordonné le versement, au dossier de l’information, des documents saisis au cours de la perquisition.
Un pourvoi en cassation a alors été déposé contre cette décision. Au moyen de son pourvoi, le demandeur alléguait d’une violation des articles 8 de la Conv. EDH et 56-1 du code de procédure pénale. Selon lui en effet, l’absence dans la décision prise par le magistrat des motifs justifiant la perquisition et décrivant son objet avait privé le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui était réservée et avait empêché ensuite le contrôle réel et effectif de la mesure par le juge des libertés et de la détention. Par conséquent, en considérant que la perquisition et la saisie dans les locaux de la CARPA avaient été nécessaires et proportionnées et en ordonnant le versement au dossier de la procédure des documents saisis, le président du tribunal judiciaire aurait excédé ses pouvoirs en méconnaissant les articles 8 de la Conv. EDH et 56-1 du code de procédure pénale.
En outre, dans la cinquième branche de son moyen, l’intéressé reprochait au président du tribunal judiciaire de ne pas avoir répondu au mémoire selon lequel la plainte avec constitution de partie civile était irrecevable, faute de justification d’un intérêt et d’une qualité à agir, et que par conséquent la perquisition avait été ordonnée sur la base d’une plainte avec constitution de partie civile irrecevable de sorte que le président du tribunal avait excédé ses pouvoirs. Mais, pour la chambre criminelle ce grief doit être écarté. Elle rappelle en effet qu’il n’entre pas dans l’office du magistrat statuant en application de l’article 56-1 d’examiner la régularité de la saisine du juge d’instruction.
Pour le reste, la situation est bien différente. Le président du tribunal ainsi saisi pouvait-il légitimement exercer un contrôle réel et effectif de la perquisition alors même que les motifs justifiant cette mesure et décrivant l’objet de celle-ci avaient privé le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée ? En d’autres termes, cette perquisition était-elle conforme aux dispositions de l’article 56-1 ?
La réponse de la Cour est claire : celle-ci suit l’argumentation du demandeur au pourvoi considérant que la perquisition était irrégulière et elle annule l’ordonnance du président du tribunal judiciaire.
En effet, la chambre criminelle rappelle qu’il résulte des articles 56-1 du code de procédure pénale et 8 de la Conv. EDH que les perquisitions réalisées dans les locaux des caisses de règlement pécuniaire des avocats suivent le même régime que celles effectuées dans un cabinet d’avocat ou à son domicile. Elles ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d’une décision écrite et motivée prise par ce magistrat, qui indique la nature de l’infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci. Le contenu de cette décision doit être porté dès le début de la perquisition à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué.
Par conséquent, elle en déduit que l’absence, dans la décision prise par le magistrat, des motifs justifiant la perquisition et décrivant l’objet de celle-ci, qui prive le bâtonnier, chargé de la protection des droits de la défense, de l’information qui lui est réservée et qui interdit ensuite le contrôle réel et effectif de cette mesure par le président du tribunal judiciaire éventuellement saisi, porte nécessairement atteinte aux intérêts de l’avocat concerné.
En d’autres termes, conformément aux dispositions de l’article 56-1, le bâtonnier doit avoir connaissance des motifs justifiant la perquisition et de l’objet ce celle-ci. Toute perquisition ou saisie menée en méconnaissance de cet article fait nécessairement grief à l’avocat, au regard tant du respect de sa vie privée que du respect de ses droits de la défense.
Or ici, la Cour de cassation nous explique que l’ordonnance de perquisition, prise par le magistrat instructeur, indiquait d’une part que la CARPA était mise en cause pour des faits de recel d’abus de confiance commis « le 7 juillet 2013 consistant en un virement de 100 000 euros », alors que d’autre part, dans le même temps, le magistrat faisait état d’un défaut de réponse de la CARPA à la réquisition sollicitant tous les documents relatifs au versement de cette somme « par chèque, le 3 juillet 2013 ».
Comme le soulignait le demandeur dans la première branche de son pourvoi, les motifs de la perquisition apparaissaient dès lors insuffisants et contradictoires entre eux, quant à la date des faits reprochés et au moyen de paiement en cause. Ils ne permettaient donc ni à la CARPA, ni au bâtonnier d’identifier avec précision la nature des relations existant entre la CARPA et les titulaires du compte. Contrairement à ce que prévoit expressément l’article 56-1 régissant les perquisitions réalisées dans un cabinet d’avocat ou à son domicile, également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l’ordre des avocats ou des CARPA, le bâtonnier n’avait donc pas, dès le début de la perquisition, été informé des motifs justifiant la mesure et n’était pas en mesure d’identifier l’objet de la perquisition présenté à tort comme concernant la remise de documents relatifs au virement litigieux de 100 000 euros daté du 3 juillet 2013 alors qu’il s'agissait de l’encaissement d’un chèque.
Le bâtonnier, qui n’avait accès à aucune autre pièce de la procédure, a été privé de l’information qui lui est en principe réservée et n’a donc pas pu comprendre les raisons justifiant la perquisition et l’objet de celle-ci, définis dans l’ordonnance de perquisition par la référence erronée à un « virement ». Il était impossible pour le bâtonnier finalement de comprendre en quoi consistait l’infraction principale d’abus de confiance justifiant une telle atteinte à la vie privée et aux droits de la défense. Ce que confirme la Cour de cassation : la perquisition portait manifestement atteinte aux intérêts de la CARPA. Ainsi, en ordonnant le versement, au dossier de l’information, de documents saisis au cours d’une perquisition irrégulière, le président du tribunal judiciaire avait excédé ses pouvoirs.
Cette perquisition jugée contraire tant à l’article 8 de la Conv. EDH qu’à l’article 56-1 du code de procédure pénale, la Cour de cassation annule l’ordonnance du président du tribunal judiciaire et ordonne la restitution des documents saisis lors de la perquisition. Par cette décision, elle confirme ainsi sa jurisprudence quant à l’exigence de motivation de l’ordonnance du juge d’instruction prescrivant une telle mesure à l’encontre des avocats (Crim. 9 févr. 2016, n° 15-85.063 ; Crim. 8 juill. 2020, n° 19-85.491).
Références :
■ Crim. 9 févr. 2016, n° 15-85.063, P, D. actu 3 mars 2016, obs. C. Fonteix ; D. 2016. 427 ; ibid. 1727, obs. J. Pradel.
■ Crim. 8 juill. 2020, n° 19-85.491, P, D. actu 29 juill. 2020, obs. L. Priou-Aliber ; D. 2020. 1463 ; AJ pénal 2020. 420, obs. G. Roussel.
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