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Procédure pénale
Perquisition du domicile d’un majeur protégé : inconstitutionnalité de l’article 706-113 du Code de procédure pénale
L’absence d'obligation légale d'aviser le tuteur ou le curateur d'un majeur protégé d'une perquisition menée à son domicile dans le cadre d'une enquête préliminaire est contraire au principe d’inviolabilité du domicile garanti par la Constitution.
Cons. const. 15 janvier 2021, n° 2020-873 QPC
Origine de la QPC - Le Conseil constitutionnel a été saisi par la chambre criminelle, dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’alinéa 1er de l’article 706-113 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la Justice. Ce texte dispose que « (l)orsque (le majeur protégé) fait l'objet de poursuites, le procureur de la République ou le juge d'instruction en avise le curateur ou le tuteur ainsi que le juge des tutelles. Il en est de même si la personne fait l'objet d'une alternative aux poursuites consistant en la réparation du dommage ou en une médiation, d'une composition pénale ou d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou si elle est entendue comme témoin assisté ». S’il prévoit l’information du curateur ou du tuteur d’un majeur protégé ainsi que celle du juge des tutelles lorsque l’intéressé fait l’objet de poursuites pénales ou de certaines alternatives aux poursuites, ce texte comporte une lacune qui justifie que la question de sa conformité à la Constitution soit soulevée : il ne dit rien des perquisitions susceptibles d’être réalisées au domicile d’un majeur protégé dans le cadre d’une enquête préliminaire.
Motifs de la QPC. L’auteur de la QPC faisait précisément grief au texte litigieux un tel silence, faisant douter de la nécessité pourtant impérieuse de rendre obligatoire l’information de la personne chargée de la protection d’un majeur protégé lorsqu’une perquisition est envisagée au domicile de ce dernier dans le cadre d’une enquête préliminaire. Cette lacune méritait d’autant plus d’être contestée que le texte, d’application générale, de l’article 76 du Code de procédure pénale interdit quant à lui expressément aux enquêteurs, dans le cadre d’une enquête préliminaire, d’effectuer une perquisition sans recueillir l’assentiment exprès de celui qui en est l’objet, étant précisé que cet assentiment doit impérativement prendre la forme d’une déclaration écrite de la main de l’intéressé et, dans le cas où celui-ci ne saurait pas écrire, doit être fait mention au procès-verbal de cet élément, ainsi que de son assentiment, qui reste à recueillir. A fortiori, concernant les majeurs protégés, l’absence de dispositions spécifiques de nature à contrôler la validité de leur consentement, par définition douteuse, méconnaîtrait leurs droits de la défense et à un procès juste et équitable. Telle était la thèse du requérant. Pertinente en théorie, elle l’était également en pratique : l’absence du curateur ou du tuteur pour assister le majeur protégé fait courir à ce dernier le risque concret et évident de donner son assentiment à la perquisition sans discernement et d’être ainsi privé d’exercer effectivement des droits à sa défense, à défaut de consentement suffisant.
Décision. Conscient d’un tel risque, le Conseil constitutionnel déclare le premier alinéa de l’article 706-113 du Code de procédure pénale contraire à la Constitution.
Avant d’exposer sa réponse au fond, les Sages relèvent d’office que l’absence d’avertissement du curateur ou du tuteur préalable à la perquisition du domicile d’un majeur protégé méconnaît le principe d’inviolabilité du domicile garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789.
Ceci posé, ils constatent qu’aucune disposition législative n’impose aux autorités policières ou judiciaires qui effectueraient une perquisition de rechercher au préalable si la personne au domicile de laquelle la perquisition doit avoir lieu fait l’objet d’une mesure de protection juridique et, le cas échéant, d’informer son représentant de la mesure envisagée. Tenant compte du fait que, selon le degré d’altération de ses facultés mentales ou corporelles, le majeur protégé non assisté peut être dans l’incapacité d’exercer avec discernement son droit de s’opposer à la réalisation de la perquisition de son domicile, les Sages observent qu’en dépit de cette situation, seul l’article 76 du Code de procédure pénale, que sa généralité rend applicable aux majeurs protégés, permet de protéger le consentement de l’incapable. Cependant, ils relèvent que ce fondement, par sa généralité, ne peut suffire à combler la lacune du texte contesté, l’article 76 ne contenant naturellement aucune disposition spécifique de nature à assurer la validité du consentement des majeurs protégés faisant l’objet d’une perquisition dans le cadre d’une enquête préliminaire.
En conséquence, dans le cadre d’une enquête préliminaire dirigée contre une personne vulnérable à l’égard de laquelle une perquisition de son domicile est envisagée alors qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection, révélant ainsi qu’elle n’est pas à même d’exercer seule son droit d’opposition, le législateur a bien omis de prévoir que les représentants de l’autorité judiciaire, sous le contrôle de laquelle est réalisée l’opération, soient tenus en amont de s’enquérir de cette situation et en aval, d’avertir le cas échéant le représentant du majeur protégé ainsi que le juge des tutelles. Pour les Sages, ce vide législatif méconnaît ainsi sur le fond le principe d’inviolabilité du domicile.
La réécriture par la loi du 23 mars 2019 de l’article 706-113 du Code de procédure pénale n’aura donc pas suffi à chasser de ce texte l’inconstitutionnalité qui l’entache. Le Conseil constitutionnel l’avait déjà une première fois dénoncée, faute pour cette disposition d’avoir prévu, dans le cas où les éléments recueillis au cours d’une garde à vue révéleraient que la personne ainsi retenue faisait l’objet d’une mesure de protection juridique, d’obliger l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue d’ avertir la personne chargée de sa protection afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits : l’article 706-113 du Code de procédure pénale méconnaissait ainsi les droits de la défense (Cons. const. 14 sept. 2018, n° 2018-730 QPC). Après les avoir restaurés en consolidant le statut pénal du majeur protégé attrait dans certaines procédures (C. pr. pén., art. 706-112-1, la garde à vue ; C. pr. pén., art. 706-112-2, audition libre) par un renforcement de ses droits, le législateur se voit à nouveau reprocher la contrariété de ce texte (maudit ?) à la Constitution. L’objectif depuis longtemps poursuivi d’une meilleure reconnaissance des droits du majeur protégé semble encore loin d’être atteint. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil constitutionnel, confronté à ce triste constat, a prévu de reporter la date d’abrogation des dispositions contestées au 1er octobre 2021, considérant que leur abrogation immédiate aurait pour effet de supprimer certaines garanties offertes aux majeurs protégés, conséquence que les Sages, méritant alors cette habituelle appellation, ont voulu éviter.
Référence
■ Cons. const. 14 sept. 2018, Medhi K., n° 2018-730 QPC : Dalloz actualité, 21 sept. 2018, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2018. 518 obs. J. Frinchaboy ; RTD civ. 2018. 868, obs. A.-M. Leroyer ; D. 2018. 1757.
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