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Procédure pénale
Perquisition filmée par un journaliste : atteinte au secret de l’enquête et aux droits de la défense !
Mots-clefs : Secret de l’instruction, Perquisition, Secret de l’enquête, Droits de la défense, Journaliste, Film, Reportage
Viole le secret de l’enquête et de l’instruction et porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne, la perquisition exécutée en présence d’un tiers qui, autorisé à cette fin par une autorité publique, en capte le déroulement par le son ou l’image.
Au cours d’une enquête préliminaire, il fut procédé, le 12 novembre 2015, sur décision du juge des libertés et de la détention, à une perquisition au domicile de M. X., sans l’assentiment de celui-ci. Un journaliste assista à l’acte d’enquête, qu’il filma partiellement, interviewant également le responsable du service enquêteur. Le reportage réalisé fut diffusé, le 1er décembre 2015, à la télévision. Mis en examen pour blanchiment aggravé, escroquerie en bande organisée, abus de faiblesse, faux, vol et recel, M. X. déposa une requête en annulation des actes d’investigation, dont la perquisition, pour défaut d’impartialité des enquêteurs, violation du secret de l’enquête, atteintes à la présomption d’innocence et au droit au respect de sa vie privée.
La chambre de l’instruction écarta les moyens de nullité pris de la réalisation d’un reportage télévisé pendant la perquisition aux motifs, essentiellement, qu’il appartenait au mis en examen de demander au juge d’instruction de visionner le reportage et à son avocat de formuler des observations écrites dans les conditions de l’article 63-4 du Code de procédure pénale et qu’en tout état de cause, aucune image ni aucun détail ne permettait d’identifier l’intéressé.
Son arrêt est doublement censuré par la chambre criminelle qui retient une violation de l’article 593 du Code de procédure pénale (faute pour la chambre de l’instruction de s’être prononcée sans visionner, comme elle y était invitée, le reportage litigieux, par le biais d’un hyperlien annexé à la requête, ou sans ordonner la production du reportage sous une autre forme, aux fins de lui permettre d’apprécier la légalité des conditions d’exécution des actes) et, surtout, des articles 11, 56 et 76 du même code. A cet égard, la Cour énonce qu’il résulte de l’article 11 du Code de procédure pénale que « constitue une violation au secret de l’enquête ou de l’instruction concomitante à l’accomplissement d’une perquisition, portant nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne, l’exécution d’un tel acte par un juge d’instruction ou un officier de police judiciaire en présence d’un tiers qui, ayant obtenu d’une autorité publique une autorisation à cette fin, en capte le déroulement par le son ou l’image ». Et elle rappelle également que, selon les articles 56 et 76, « à peine de nullité de la procédure, l’officier de police judiciaire a seul le droit, lors d’une perquisition, de prendre connaissance des papiers, documents ou données trouvées sur place, avant de procéder à leur saisie ». Elle estime alors que la chambre de l’instruction a méconnu ces textes et ces principes dès lors qu’« il résulte de ses propres constatations qu’un journaliste, muni d’une autorisation, a assisté à une perquisition au domicile d’une personne gardée à vue et a filmé cet acte, y compris en ce qu’il a permis l’appréhension de documents utiles à la manifestation de la vérité, visibles à l’image et qui ont été immédiatement saisis et placés sous scellés ».
Ce faisant, la chambre criminelle nous signifie qu’un journaliste, même autorisé par l’institution judiciaire, et peut-être (?) mu par l’intention louable d’informer le public, ne peut s’ériger en OPJ et assister à une perquisition sans porter atteinte à la fois au secret de l’enquête et de l’instruction et aux droits de la défense. On rappellera que, selon l’article 11 du Code de procédure pénale, « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète » (al. 1er), et que « toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines des articles 226-13 et 226-14 du code pénal » (al. 2). Si les journalistes ne concourent pas à la procédure, les magistrats et les policiers, eux, le font, de sorte que c’est bien le fait qu’ils aient permis à un tiers de filmer l’opération qui constitue une violation du secret protégé par l’article 11 du Code de procédure pénale.
La solution ne surprend pas. Elle n’est d’ailleurs pas nouvelle (V. Crim. 19 juin 1995, n° 94-85.915, pour une interpellation puis des perquisitions filmées par un journaliste).
En revanche, la chambre criminelle en tire des conséquences inédites en affirmant que cette violation concomitante à l’accomplissement de l’opération « port[e] nécessairement atteinte aux intérêts de la personne qu’elle concerne ». Elle fait donc de cette irrégularité une cause de nullité dispensant la personne concernée de la preuve d’un grief, c’est-à-dire d’une atteinte à ses intérêts (pour la jurisprudence antérieure soumettant la nullité à la preuve d’un grief par la partie concernée, V. Crim. 19 juin 1995, préc.; Crim. 25 janv. 1996, n° 95-85.560; Crim. 27 avr. 2000, n° 00-80.420). Il s’agit donc d’un nouveau cas de nullité d’intérêt privé assimilée à une nullité d’ordre public. On rappellera que la nullité d’ordre public n’est pas soumise à l’exigence d’un grief, contrairement à la nullité d’intérêt privé (en application de l’art. 802 C. pr. pén.), et qu’une catégorie intermédiaire a été identifiée par la jurisprudence : la nullité d’intérêt privé assimilée à la nullité d’ordre public, qui emporte une présomption irréfragable de grief.
Crim. 10 janv. 2017, n° 16-84.740
Références
■ V. Rép. pén. Dalloz, vo Nullités de la procédure, par M. Guerrin.
■ Crim. 19 juin 1995, n° 94-85.915.
■ Crim. 25 janv. 1996, n° 95-85.560 P; D. 1996. 258, obs. J. Pradel.
■ Crim. 27 avr. 2000, n° 00-80.420 P, D. 2000. 184.
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