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[ 13 mars 2023 ] Imprimer

Procédure pénale

Perquisitions et saisies de documents dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile versus secret professionnel : le second s’incline

Pour le Conseil constitutionnel, non seulement aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats mais de surcroît, aucune atteinte au secret professionnel de l’avocat ni aux droits de la défense ne peut être caractérisée en cas de perquisitions et de saisies réalisées dans son cabinet, à son domicile ou dans un autre lieu. Les articles 56-1 et 56-1-2 du Code de procédure pénale sont donc conformes à la Constitution. 

Const. const. 19 janv. 2023, n° 2022-1030 QPC 

Considéré comme un principe essentiel de la profession, le secret professionnel est à la base de la relation de confiance qui existe entre l’avocat et son client. Le Conseil National des Barreaux (CNB) le définit comme un devoir pour tout avocat, qui en le respectant, garantit à tout citoyen l’absence d’ingérence des pouvoirs publics dans sa défense. Le secret professionnel de l’avocat revêt ainsi une double dimension : il est à la fois un droit pour le client, mais aussi un devoir pour l’avocat (v. not. B. Py, Rép. pén. Dalloz,  « Secret professionnel », nos 23 et s.).

Si l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit que le secret professionnel s’applique en toutes matières, pour autant, le secret professionnel de l’avocat n’est pas intangible, ni dans le domaine des activités de conseil, ni dans celui de la défense. Ce secret doit parfois se concilier voire s’effacer au profit d’autres intérêts en cause. Ainsi, dans un certain nombre de cas limitativement prévus par la loi, l’avocat est délié du secret professionnel et tenu à des obligations de déclaration, comme c’est le cas en matière de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme (C. mon. fin., art. L. 561-15 et s.). Le secret professionnel de l’avocat peut encore être affaibli en particulier à l’occasion d’une procédure pénale et, plus précisément lorsque des écoutes téléphoniques ou des perquisitions sont effectuées dans son cabinet ou à son domicile. Particulièrement intrusives, ces mesures bénéficient d’un régime spécifique.

Tenant compte de plusieurs revendications de la profession, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire avait entendu renforcer la protection du secret professionnel de l’avocat en l’entourant de certaines garanties supplémentaires (pour un aperçu, v. Dalloz actu. 2 févr. 2022, not. E. Daoud, A. Gravelin-Rodriguez). L’article préliminaire du Code de procédure pénale pose le principe selon lequel le respect du secret professionnel de la défense et du conseil est garanti au cours de la procédure pénale, dans les conditions prévues par le présent Code. Les articles 56-1 et suivants, qui encadrent les perquisitions et saisies réalisées au cabinet de l’avocat ou à son domicile, ont été modifiés en ce sens. Désormais, les perquisitions sont beaucoup plus encadrées avec un rôle central du juge des libertés et de la détention (JLD), et en cas de saisie de documents au cours de la perquisition, il est possible d’exercer un recours suspensif contre la décision de ce magistrat. De même, dans le cas où la perquisition est justifiée par la mise en cause de l’avocat, elle ne peut être autorisée que s’il existe « des raisons plausibles » de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe.

Mais ces modifications assurent-elles pour autant une protection plus efficace et complète du secret professionnel des avocats par rapport au dispositif antérieur ?

C’est dans ce contexte qu’intervient la décision commentée. Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 octobre 2022 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’ordre des avocats des barreaux de Paris et des Hauts-de-Seine relative à la conformité à la Constitution des articles 56-1 et 56-1-2 du Code de procédure pénale dans leur rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021.

Les requérants soutenaient que ces dispositions méconnaîtraient le secret professionnel de la défense et du conseil de l’avocat, ainsi que les droits de la défense, le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, le droit à un procès équitable et le droit de ne pas s’auto-incriminer. À cet égard, ils reprochaient au deuxième alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale de permettre, à l’occasion de la perquisition réalisée dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, la saisie d’un document couvert par le secret professionnel du conseil lorsqu’il ne relève pas de l’exercice des droits de la défense. Ils reprochaient également à l’article 56-1-2 du même Code de prévoir que le secret professionnel du conseil ne peut être invoqué pour s’opposer à la saisie de certains documents, même lorsqu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense. L’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine faisait en outre valoir que la condition tenant à l’existence de « raisons plausibles » de soupçonner l’avocat de la commission d’une infraction, exigée lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de ce dernier, serait trop imprécise. Par ailleurs, en cas de contestation de la régularité de la saisie soulevée par le bâtonnier au cours de la perquisition, le délai de cinq jours dans lequel le juge des libertés et de la détention est tenu de statuer serait trop bref. 

Le Conseil constitutionnel rappelle en premier lieu que si les droits de la défense sont garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats. Le secret professionnel de la défense et du conseil n’est en effet pas une exigence constitutionnelle.

S’agissant ensuite des dispositions de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, le conseil rappelle que cet article encadre les perquisitions et saisies réalisées dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile et que le deuxième alinéa de cet article interdit la saisie de documents couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, dès lors qu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense. Au §11 de sa décision, le Conseil en déduit alors que « ces dispositions n’ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d’une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789 ». Pour le Conseil, les dispositions de l’article 56-1 ne sont donc pas contraires aux droits de la défense.

S’agissant de la saisie de documents ou d’objets lors de cette perquisition, le Conseil considère que cet article procède à une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances. En effet, d’une part, la perquisition ne peut, à peine de nullité, être réalisée qu’après avoir été autorisée par une décision motivée du juge des libertés et de la détention. Lorsqu’une telle mesure est justifiée par la mise en cause de l’avocat, cette autorisation est subordonnée à la condition tenant à « l’existence de raisons plausibles » de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe (§ 15). Cette condition relative « à l’existence de raisons plausibles », qui existe par ailleurs à l’article 62-2 du Code de procédure pénale s’agissant des conditions justifiant le placement en garde à vue, n’est pas imprécise pour le Conseil. D’autre part, la perquisition ne peut pas conduire à la saisie de documents ou objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision autorisant cette mesure. Elle ne peut être effectuée que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, lequel peut s’opposer à la saisie s’il l’estime irrégulière. Dans ce cas, le JLD statue sur cette contestation, dans un délai de cinq jours, par ordonnance motivée et susceptible d’un recours suspensif devant le président de la chambre de l’instruction (§ 16). Le Conseil ne se prononce toutefois pas sur la durée jugée trop brève pour les requérants.

Enfin, s’agissant de la constitutionnalité des dispositions de l’article 56-1-2 du Code de procédure pénale, le Conseil commence par rappeler leur objet. Par exception à l’article 56-1 du Code de procédure pénale, cet article prévoit que lorsqu’un document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel du conseil est découvert à l’occasion d’une perquisition réalisée dans le cabinet d’un avocat, à son domicile ou dans un autre lieu, ce secret n’est, sous certaines conditions, pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction relatives à certaines infractions. Il s’agit en effet des exceptions prévues en matière de fraude fiscale et de lutte contre le blanchiment d’argent. Pour le Conseil constitutionnel, ces dispositions ne méconnaissent aucun droit. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre la saisie de documents qui tendent à révéler une fraude fiscale ou la commission d’autres infractions. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de lutte contre la fraude fiscale (§ 20). En second lieu, le Conseil opère une distinction entre secret professionnel de la défense et secret professionnel du conseil. Selon lui, d’une part, les dispositions contestées ne s’appliquent pas aux documents couverts par le secret professionnel de la défense. D’autre part, parmi les documents couverts par le secret professionnel du conseil, sont susceptibles d’être saisis uniquement les documents qui ont été utilisés aux fins de commettre ou de faciliter la commission des infractions spécifiques de fraude fiscale, de corruption, trafic d’influence, financement d’une entreprise terroriste ou encore de blanchiment de ces délits. En outre, le bâtonnier, son délégué ou la personne chez laquelle il est procédé à la perquisition peuvent s’opposer à la saisie de ces documents.

Par conséquent, le Conseil constitutionnel en déduit que les dispositions de l’article 56-1-2 sont conformes à la Constitution.

 

Auteur :Laura Pignatel


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