Actualité > À la une

À la une

[ 10 février 2014 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Perte de chance d’une activité professionnelle : la souplesse d’appréciation de la Cour de cassation

Mots-clefs : Responsabilité, Perte de chance, Activité professionnelle, Caractérisation, Conditions, Appréciation

Une victime, ayant perdu la vue de son œil gauche, à la suite d’actes de violence, et se trouvant ainsi dans l’impossibilité de passer un permis de conduire poids lourds, est privée de la chance de reprendre avec succès l’activité de forains de ses parents.

Dans certains cas, comme dans l’espèce rapportée, le fait générateur de responsabilité brise les espoirs de la victime. Or, si le préjudice résultant de la dissipation d’heureuses perspectives devrait, compte tenu de son incertitude, ne pas pouvoir être réparé, la jurisprudence, pour tempérer les excès qui résulteraient de cette solution, s’est appuyée sur la notion de perte de chance. Celle-ci est au cœur de la décision commentée.

En l’espèce, un mineur victime de violences perd la vue de son œil gauche et demande en justice réparation de ses préjudices. En appel, les juges fixent à environ 400 000 euros l’indemnité devant lui être versée, au titre de son préjudice patrimonial, par le Fonds spécial de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.

Pour contester le montant de l’indemnisation allouée, le Fonds de garantie se pourvoit en cassation, faisant notamment valoir que le préjudice subi, hypothétique, n’est pas réparable au titre d’une perte de chance, laquelle correspond à la disparition certaine d’une éventualité favorable.

Ainsi, l’auteur du pourvoi reproche à la cour d’appel d’avoir retenu que la victime avait été privée de la chance de reprendre avec succès l’activité de forains de ses parents, alors même qu’au moment de l’accident, la victime, encore mineure et seulement titulaire d’un brevet des collèges, n’avait ni l’âge ni la formation suffisante pour reprendre leur activité et que ses parents n’avaient pas l’âge pour y mettre fin en prenant leur retraite et en lui cédant leurs manèges et leur matériel.

Peu prévisible, le rejet du pourvoi est ainsi motivé : « (…) attendu que l’arrêt retient que [la victime] envisageait de reprendre l’activité de ses parents forains, qu’il les aidait dans leur exploitation et que cette aide le formait à son futur métier ; que la cécité de son œil gauche, séquelle des violences subies, lui interdit de passer un permis de conduire poids lourds, composante importante de l’exercice de la profession de forain ; qu’il peut se prévaloir d’une perte de chance de reprendre avec succès l’activité de ses parents ».

Pourtant, l’accès de la victime à la profession de forain, quoiqu’envisageable, paraissait bien hypothétique : même en l’absence du fait dommageable, la chance de reprendre l’activité familiale aurait pu être considérée comme trop faible ou difficile à mesurer pour être jugée réparable.

En effet, si le caractère incertain du résultat escompté ne constitue pas en soi un obstacle à l’indemnisation, celle-ci, pour être obtenue, suppose néanmoins d’établir que la chance perdue était suffisamment sérieuse et qu’elle fut effectivement anéantie par l’événement dommageable : comme l’a affirmé la Cour de cassation, « seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006). « (L)’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du délit, de la probabilité d’un événement favorable – encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Crim. 6 juin 1990). C’est donc ici que se retrouve, malgré l’incertitude des espoirs perdus, le caractère certain, nécessaire à la réparation du dommage.

Dans la mesure où les projets de la victime n’étaient pas inaccessibles mais possiblement réalisables et où le fait dommageable se présente comme la cause directe de la nécessité d’y renoncer, la certitude du préjudice peut être établie : il existait un espoir et celui-ci s’est éteint. Indubitable, la perte de chance constitue un préjudice certain alors susceptible d’être indemnisé.

La décision rapportée se démarque toutefois de cette logique par la souplesse d’appréciation, révélée par la Haute cour, des conditions normalement requises : en effet, voir dans la condamnation du projet professionnel, encore lointain, d’une victime mineure et sans formation aboutie, une perte de chance certaine se révèle, comme le soutenait l’auteur du pourvoi, assez discutable.

Civ .2e, 16 janv. 2014, n°13-10.566

Références

■ Civ. 1re, 21 nov. 2006Bull. civ. I, n°498.

■ Crim. 6 juin 1990Bull. crim., n°224 ; RTD civ. 1991. 121, note Jourdain RTD civ. 1992. 109, note Jourdain.

 

Auteur :M. H.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr