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Droit de la responsabilité civile
Perte de chance : exclusion de la réparation du préjudice purement hypothétique
Une cour d'appel, qui écarte l'éventualité que l'infirmité d'un enfant ait été causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, ne peut qu'en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que les manquements du médecin anesthésiste n'ont pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter de subir son préjudice.
Civ. 1re, 8 févr. 2023, 22-10.169 B
Après avoir accouché d’un enfant atteint d’une infirmité motrice cérébrale, une mère reprochait à son médecin anesthésiste, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, d'avoir commis une faute de négligence dans la tenue de son dossier médical, ayant omis de consigner certaines données qui auraient permis de savoir si elle présentait une hypotension artérielle de nature à expliquer l’intervention à l’origine du dommage corporel de son enfant.
La cour d’appel rejeta sa demande d’indemnisation au motif que l’hypothèse d’une hypotension, plausible sur un plan statistique, n’était pas, en la circonstance, étayée par les données cliniques recensées et les éléments décrits au cours de l'intervention et qu'en l'absence d'indices sérieux en ce sens, cette hypothèse ne pouvait être admise sur le seul fondement d’une probabilité statistique. Tout en retenant l’existence de manquements imputables au médecin pour prévenir ce risque d’hypotension, les juges du fond ont ainsi exclu que ses fautes puissent être en lien direct avec le dommage subi par l’enfant, et refusé de condamner le professionnel de santé au titre de la perte de chance. Devant la Cour de cassation, la mère arguait que la perte de chance ne pouvait être exclue qu’à la condition que l’absence de tout rapport entre les fautes du médecin et le préjudice de l’enfant fût certaine.
La première chambre civile rejette le pourvoi : la juridiction du second degré ayant écarté l'éventualité que l'infirmité de l'enfant ait pu être causée par une hypotension artérielle sévère présentée par sa mère, elle n'a pu qu'en déduire que les manquements du médecin anesthésiste n'avaient pas fait perdre à l'enfant une chance d'éviter l'intervention dommageable. Ainsi, bien que se trouvait remplie la condition d’une faute médicale, conformément à l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique prévoyant un régime de responsabilité pour faute des personnels médicaux, la condition supplémentaire traditionnellement requise, tenant au lien de causalité entre cette faute et le dommage, n’était pas quant à elle satisfaite.
L’orthodoxie de la solution mérite d’être approuvée. Définie comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674), la notion de perte de chance ne peut être utilisée pour contourner l'exigence du caractère direct et certain du préjudice. C’est ce à quoi tenta pourtant de parvenir la demanderesse au pourvoi, invoquant l’indifférence à l’indétermination de la cause exacte du dommage de son enfant dès lors que rien ne permettait d’écarter avec certitude le lien de causalité entre la faute du médecin et la perte de chance de son enfant d’éviter le dommage. Ainsi déplaçait-elle la charge de la preuve du caractère direct et certain du dommage, en faisant peser sur le médecin le soin d’établir l’impossibilité d’un lien de causalité entre sa faute et le préjudice. Or c’était bien à elle qu’incombait la charge de prouver, en sa qualité de demanderesse au litige, les caractères requis pour réparer le dommage invoqué.
En effet, l’indemnisation de la perte d'une chance ne dérogeant pas au principe de certitude du dommage, il est impossible d’indemniser un préjudice purement hypothétique. La jurisprudence n’accepte donc d’indemniser la chance perdue par la victime qu’un événement favorable ait pu lui profiter qu’à la condition que la survenance de cet événement ne fût pas simplement hypothétique, mais réelle et sérieuse : « (L)’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du délit, de la probabilité d’un événement favorable — encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Crim. 6 juin 1990, n° 89-83.703). Pour tenir compte de cet inévitable aléa, seule peut alors constituer une perte de chance réparable « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674).
Ainsi la condition de certitude du dommage peut-elle être satisfaite : elle réside en définitive dans la certitude « de l'interruption du processus de chance ». Et c’est ainsi que le principe de réparation d’une perte de chance peut être retenu. Or en l’espèce, le syndrome d’hypotension n’était qu’une « hypothèse » qui n’avait pu être vérifiée. En d'autres termes, cette incertitude rendait l’évitement du dommage subi, même sans l’abstention fautive du médecin, non pas probable mais purement aléatoire, donc irréparable.
Références :
■ Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 P : D. 2006. 3013, et les obs.
■ Crim. 6 juin 1990, n° 89-83.703 P : RTD civ. 1991. 121, obs. P. Jourdain ; ibid. 1992. 109, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 21 nov. 2006, n° 05-15.674 P : D. 2006. 3013, et les obs.
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