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Droit de la responsabilité civile
Perte de gains professionnels futurs et revenus locatifs
Par respect du principe de la réparation intégrale du préjudice, sont exclus de l’évaluation du poste de perte de gains professionnels futurs les revenus issus de la location du local utilisé avant l'accident par la victime pour son activité professionnelle, qui ne constituent pas des revenus professionnels.
Civ. 2e, 6 nov. 2025, n° 23-21.633 B
Par la décision rapportée, la Cour de cassation tempère la rigueur du régime auquel elle soumet l’indemnisation de la victime au titre de la perte de gains professionnels futurs (v. not. Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 23-13.932), poste de préjudice ayant pour objet d’indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l'incapacité permanente à laquelle elle est confrontée, après consolidation, dans sa sphère professionnelle, à la suite du dommage corporel.
Rendue à propos d’un bail commercial, la décision rapportée précise que les revenus locatifs perçus par la victime, après sa consolidation, en contrepartie de la mise en location du local qu’elle utilisait pour son activité professionnelle, avant la survenance du fait dommageable, ne peuvent être assimilés à des revenus professionnels susceptibles d’être pris en compte pour réduire le montant de son indemnisation.
Au cas d’espèce, la victime d’un accident de la circulation, dont la date de consolidation a été fixée au 5 août 2011, avait dû, à raison de son invalidité, cesser son activité de mécanicien automobile en mars 2012. La même année, elle avait loué son local professionnel à une enseigne de distribution, le bail ayant pris fin en mars 2018. Or les revenus locatifs perçus par la victime entre 2012 et 2018 en exécution du bail de son ancien garage étaient nettement supérieurs à ses revenus professionnels antérieurs.
La victime demanda en justice l’indemnisation de son préjudice au titre de la perte de gains professionnels futurs (PGPF), pour compenser la perte de revenus consécutive à son invalidité permanente.
Pour déterminer le montant de l’indemnisation due à ce titre à la victime, la cour d’appel a retenu que sa décision de louer son local commercial avait eu pour nécessaire corollaire l'arrêt définitif de son activité de mécanicien automobile en sorte qu'il existait « une corrélation étroite » entre la cessation de son activité et la perception du loyer commercial, qui doit donc être assimilé à un revenu professionnel. Ainsi les juges du fond ont-ils mis en relation la cessation définitive de l’activité professionnelle, consécutive à la mise en location du garage, et la perception de loyers commerciaux, pour qualifier ces revenus locatifs de revenus professionnels entrant dans le champ d’évaluation du poste de PGPF. En conséquence, pour la période s’étendant du mois de mars 2012 au mois de mars 2018, ils ont exclu toute indemnisation de ce chef de préjudice puisque la victime, ayant vu ses revenus fortement augmenter, n’avait subi aucune perte. Or l’indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs nécessite par principe la preuve, qui incombe à celui qui s'en prévaut, d'une diminution entre les revenus antérieurs à l'accident et ceux postérieurs à la consolidation.
La victime reprochait aux juges d’appel d’avoir déduit les sommes issues des loyers commerciaux qu’elle avait perçus du montant de l’indemnisation globale de son dommage corporel, alors même que des revenus locatifs, dépourvus de caractère professionnel, ne peuvent entrer dans le champ d'appréciation du poste de PGPF.
Au nom du principe de la réparation intégrale du préjudice, la Cour de cassation lui donne raison, jugeant que ne constituent pas des revenus professionnels les revenus issus de la location du local utilisé avant l'accident par la victime pour son activité professionnelle, en sorte qu’en amputant ces sommes du montant global de l’indemnisation allouée à la victime, la cour d’appel a statué en considération d’éléments indifférents à son évaluation et au mépris de la réparation intégrale du dommage.
Si les juges du fond apprécient souverainement l'existence et le montant du poste de perte de gains professionnels futurs, la Cour de cassation contrôle toutefois leur motivation à l’aune du principe de la réparation intégrale du dommage, sans perte ni profit pour la victime.
Il est désormais constant en jurisprudence qu’à compter du moment où la victime n’est plus en mesure d’exercer une activité professionnelle dans les conditions antérieures à l’accident, il convient de retenir une perte de gains professionnels futurs, la réparation intégrale du préjudice supposant toutefois d’établir le caractère définitif de l’impossibilité d’occuper un emploi (Civ. 2e, 24 nov. 2022, n° 21-17.323 ; 21 déc. 2023, n° 22-17.891 ; 10 oct. 2024, préc.). En effet, dans une approche restrictive, la Cour de cassation considère depuis quelques années que lorsque la victime n’est pas, au regard de ses séquelles physiques et psychiques, totalement inapte à exercer une activité professionnelle, quelle qu’elle soit, celle-ci conserve une capacité de percevoir des gains qui doit être prise en compte pour limiter le montant de son indemnisation, afin de ne pas faire supporter aux payeurs une créance indemnitaire qui irait au-delà du préjudice réellement subi. Le principe de la réparation du préjudice sans profit pour la victime justifie la solution. Mais en contrepoint, celui de sa réparation sans perte pour la victime la tempère, ce que renseigne la présente décision. C’est en effet ce principe qui explique que la Cour de cassation refuse en l’espèce d’étendre la capacité résiduelle de gains conservée par la victime aux revenus locatifs qu’elle perçoit, après sa consolidation et donc indépendamment de toute activité professionnelle, en exécution du bail donné de ses anciens locaux professionnels. Hors du champ des revenus du travail, les loyers commerciaux perçus par la victime sont des revenus locatifs qui, ne provenant pas d’une activité professionnelle, ne peuvent être assimilés à des revenus professionnels (ni même à des revenus de remplacement), à même d’être pris en compte pour l’évaluation du poste de PGPF.
Observée par les juges du fond, la corrélation entre la cessation d’activité de la victime et la perception d’un loyer commercial n’établit pas, en outre, une véritable causalité permettant de qualifier de professionnels ses revenus locatifs. En effet, la mise à bail du local n’entraînait pas automatiquement la cessation d’activité de la victime, qu’elle aurait pu poursuivre dans un nouveau local commercial, la cause réelle de l’arrêt de son activité se trouvant dans l’accident dommageable. Cet argument tiré de la causalité ne pouvait donc prospérer, de même que la finalité professionnelle, avant la consolidation, du local mis à bail, dont il n’était pas possible d’induire le caractère professionnel des loyers ensuite perçus, après la consolidation, soit à une période où cet usage professionnel du local loué par la victime avait nécessairement disparu, en sorte qu’il ne pouvait plus exercer d’influence sur la qualification (professionnelle) des revenus locatifs considérés.
Références :
■ Civ. 2e, 10 oct. 2024, n° 23-13.932 B : DAE, 15 nov. 2024, note M. Hervieu ; RTD civ. 2025. 98, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 24 nov. 2022, n° 21-17.323
■ Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 22-17.891 : D. 2025. 22, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz.
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