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[ 23 janvier 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Perte de la nationalité française par acquisition d’une nationalité étrangère – égalité entre les sexes : censure du Conseil constitutionnel

Mots-clefs : Conseil constitutionnel, Censure, Égalité entre les sexes, Perte de la nationalité française, Acquisition d’une nationalité étrangère, Déclaration de 1789, Préambule de la Constitution de 1946

Une loi ayant permis pendant plus de vingt ans, uniquement aux Français du sexe masculin, de choisir de conserver la nationalité française lors de l’acquisition d’une nationalité étrangère est contraire à l’article 6 de la Déclaration de 1789 et à l’alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946.

▪ Origine de la QPC

Une femme née au Maroc en 1933 s’est vue délivrer un certificat de nationalité française en 2011 par le greffier d’un TGI sur le fondement de l’article 17- 1° du Code de la nationalité au motif qu’elle est née d’un Français naturalisé en 1928 et qu’elle n’a pas répudié la nationalité française dans les conditions de l’article 94 du Code de la nationalité lors de son mariage avec un marocain. Par la suite, en 2011, le procureur de la République a engagé une action négatoire de nationalité contestant sa qualité de Française. Il estimait qu’elle avait acquis volontairement la nationalité marocaine en 1959, plus de deux ans après son mariage. À l’occasion de ce litige, la requérante a transmis la QPC dans laquelle elle dénonçait une atteinte au principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

▪ Décision du Conseil constitutionnel

Pour la première fois le Conseil constitutionnel est saisi d’une QPC dénonçant l’infériorité de droits reconnus aux femmes.

L’article 87 du Code de la nationalité française, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française, prévoyait que le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère perd la nationalité française.

Cependant, l’article 9 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945, en vigueur entre le 1er juin 1951 et le 9 janvier 1973, opérait une distinction entre les hommes et les femmes. Ainsi, les femmes perdaient automatiquement la nationalité française à la suite de l’acquisition volontaire de la nationalité étrangère. En revanche, la perte de la nationalité française résultant de l’acquisition volontaire d’une autre nationalité était subordonnée à une autorisation du gouvernement pour les hommes jusqu’à l’âge de 50 ans. Par cette disposition, le législateur avait entendu maintenir non seulement la règle empêchant les Français du sexe masculin d’échapper aux obligations du service militaire, mais également permettre à tous les Français du sexe masculin ayant acquis la nationalité étrangère pour exercer une activité économique, sociale ou culturelle à l’étranger de conserver la nationalité française.

Le Conseil constitutionnel censure les mots « du sexe masculin », figurant aux premier et troisième alinéas de l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 (dans sa rédaction résultant de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954 modifiant l'article 9). En effet, en réservant aux Français du sexe masculin (quelle que soit leur situation au regard des obligations militaires) le droit de choisir de conserver la nationalité française lors de l’acquisition d’une nationalité étrangère, les Sages considèrent que les dispositions contestées instituent entre les hommes et les femmes une différence de traitement sans rapport avec l’objectif poursuivi.

Ainsi, la différence instituée par les dispositions contestées méconnaît les exigences du principe d’égalité devant la loi (Déclaration de 1789, art. 6) et du principe d’égalité des sexes (Préambule de la Constitution de 1946, al. 3).

▪ Portée de la déclaration d’inconstitutionnalité

La déclaration d’inconstitutionnalité, qui prend effet à compter de la date de la publication au Journal officiel, peut être invoquée par les seules femmes ayant perdu la nationalité française par application des dispositions de l’article 87 du Code de la nationalité entre le 1er juin 1951 et l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1973. Par ailleurs, les descendants de ces femmes peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissance, compte tenu de cette inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française. Cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel.

Cons. const. 9janv. 2014, Mme Jalila K., n° 2013-360 QPC

 

Références

■ Article 87 du Code de la nationalité (dans sa rédaction résultant de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945) 

Perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère.

■ Article 9 de l’ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945(dans sa rédaction issue de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954)

« Jusqu’à une date qui sera fixée par décret, l’acquisition d’une nationalité étrangère par un Français du sexe masculin ne lui fait perdre la nationalité française qu’avec l’autorisation du Gouvernement français. 

Cette autorisation est de droit lorsque le demandeur a acquis une nationalité étrangère après l’âge de cinquante ans. 

Les Français du sexe masculin qui ont acquis une nationalité étrangère entre les 1er juin 1951 et la date d’entrée en vigueur de la présente loi, seront réputés n’avoir pas perdu la nationalité française nonobstant les termes de l’article 88 du code de la nationalité. Ils devront, s’ils désirent perdre la nationalité française, en demander l’autorisation au Gouvernement français, conformément aux dispositions de l’article 91 dudit code. Cette autorisation est de droit. »

■ Article 6 de la Déclaration de 1789

« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »

■ Alinéa 3 du préambule de la Constitution de 1946.

« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »

 

 

Auteur :C. G.

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