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Droit de la responsabilité civile
Perte d'une chance de gagner un procès : conditions de la réparation
Mots-clefs : Responsabilité civile, Dommage, Perte de chance, Action en justice, Conditions, Appréciation
Lorsque le dommage réside dans la perte d’une chance de réussite d’une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s’apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action.
Si le préjudice résultant de la dissipation d’heureuses perspectives devrait, compte tenu de son incertitude, ne pas pouvoir être réparé, la jurisprudence, pour tempérer les excès qui résulteraient de cette solution, s’est depuis longtemps appuyée sur la notion de perte de chance.
Le caractère incertain du résultat escompté ne constitue donc pas, en soi, un obstacle à l’indemnisation. Toutefois, pour être obtenue, celle-ci suppose d’établir que la chance perdue ait été suffisamment sérieuse et qu’elle fut effectivement anéantie par l’événement dommageable. Comme l’a affirmé la Cour de cassation, « seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1re, 21 nov. 2006). « (L)’élément de préjudice constitué par la perte d’une chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition, par l’effet du délit, de la probabilité d’un événement favorable — encore que, par définition, la réalisation d’une chance ne soit jamais certaine » (Crim. 6 juin 1990).
C’est ainsi que peut être satisfait, malgré l’incertitude des espoirs perdus, le caractère certain nécessaire à la réparation du dommage.
En l’espèce, c’est le défaut de cette condition qui justifia le rejet du pourvoi du demandeur. Ce dernier, après avoir été victime d’un accident du travail, avait été licencié puis avait adhéré à la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (FNATH). Estimant que celle-ci avait manqué de lui conseiller d’engager rapidement une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, alors que la prescription de cette action allait être acquise, la victime assigna la Fédération pour la voir condamnée au versement des indemnités qui lui auraient été allouées en cas de reconnaissance d’une telle faute.
La cour d’appel rejeta sa demande au motif que les documents produits par elle ne suffisaient pas à démontrer que cette action en justice, si elle avait été engagée, aurait pu aboutir et que dans cette mesure, la victime ne rapportait pas la preuve de l’existence d’un préjudice direct et certain.
Cette analyse est confirmée par la première chambre civile : « ayant relevé qu’aucune enquête n’avait été diligentée à la suite de l’accident, et constaté que M. X produisait, trois ans après les faits, pour en relater les circonstances, deux attestations établies par des collègues de travail, la cour d’appel a estimé que celui-ci ne justifiait pas d’un préjudice direct et certain résultant de la perte d’une chance raisonnable de succès à une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, justifiant ainsi légalement sa décision ».
Lorsque le dommage réside dans la perte d'une chance de réussite d'une action en justice, le caractère réel et sérieux de la chance perdue doit s'apprécier au regard de la probabilité de succès de cette action.
À la différence des autres hypothèses de perte de chance, qui généralement requièrent la désignation d'un expert chargé d'évaluer les chances perdues, ce sont les juges eux-mêmes qui doivent apprécier les chances que la victime avait de gagner son procès. La victime doit donc présenter les arguments qu'elle aurait développés au procès (Civ. 2e, 15 janv. 1997 ; Civ. 1re, 4 avr. 2001).
Ainsi, dans le cadre d'une instance prud'homale, un jugement avait condamné un employeur à payer à un ancien salarié diverses indemnités alors que son avocat ne s'était pas présenté à l'audience. L'employeur avait interjeté appel du jugement et fait le choix d'un nouveau conseil, mais le premier avocat n'ayant transmis que tardivement les pièces du dossier, l'instance d'appel avait été déclarée hors délais. L'employeur avait alors assigné le premier avocat, en invoquant la perte d'une chance. La cour d'appel reconnut la faute de l'avocat, mais débouta l'employeur de ses demandes. Celui-ci faisait valoir dans ses conclusions que, sans avoir à demander à la cour d'apprécier quelles auraient été les chances de succès de sa thèse si elle avait été soutenue, il n'en restait pas moins que son absence de défense avait constitué une perte de chance. La Cour de cassation rejeta son pourvoi au motif qu'il aurait dû prouver les chances qu’il détenait non pas de voir la cour connaître de son appel, mais d'obtenir satisfaction en cause d'appel (Civ. 1re , 8 juill. 2003).
Ce ne sont donc pas les sommes convoitées qui constituent le dommage, mais le simple espoir de les obtenir et pour être réparable, ce dernier doit être sérieux, la chance perdue, véritable.
Aussi, l’arrêt ayant admis la perte d’une chance de former un pourvoi alors que « la chance d’obtenir la cassation de l’arrêt discuté n’était pas établie » (Civ. 2e, 30 juin 2004) a été censuré, tout comme celui ayant retenu la perte de chance d'obtenir la réformation d’un jugement du tribunal de commerce alors que l'issue de l'appel manqué apparaissait incertaine (Civ. 1re, 16 janv. 2013).
Délicate, l’appréciation de la probabilité de réussite de l’action manquée exige du juge qu’il recherche, comme le fit la cour d’appel dans cette affaire, « s’il existait une chance sérieuse de succès de l’action (…), en reconstituant fictivement, au vu des conclusions des parties et des pièces produites aux débats, la discussion qui aurait pu s’instaurer devant le juge » (Civ. 1re, 2 avr. 2009).
Appréciation moins rigoureuse que celle proposée par Stendhal, selon lequel « la chance s’attrape par les cheveux, mais elle est chauve » (Fragments – 1822).
Civ. 1re, 30 avr. 2014, n°12-22.567
Références
■ Civ. 1re, 21 nov. 2006, n°05-15.674.
■ Crim. 6 juin 1990, n°89-83.703, RTD civ. 1991. 121, note P. Jourdain.
■ Civ. 2e, 15 janv. 1997, n°95-13.481, RCA 1997, comm. 129.
■ Civ. 1re, 4 avr. 2001, n°98-11.364, Bull. civ. I, n° 101.
■ Civ. 1re , 8 juill. 2003, n°99-21.504, Bull. civ., I, n° 164.
■ Civ. 2e, 30 juin 2004, n°03-13.235.
■ Civ. 1re, 16 janv. 2013, n° 12-14.439, RTD civ. 2013. 380, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 1re, 2 avr. 2009, n°08-12.848.
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