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[ 4 juillet 2022 ] Imprimer

Procédure pénale

Plainte préalable à une PACPC : pas de formalisme particulier

Constitue une plainte, au sens de l'article 85 du Code de procédure pénale, une information portée, même sans formalisme particulier, à la connaissance de l'autorité judiciaire ou d'un service de police, ou d'une unité de gendarmerie, et relative à des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.

Crim 21 avr. 2022, no 21-82.877 B

Le 27 décembre 2014, une jeune femme qui circulait à bord d'un véhicule automobile sur une route départementale est décédée dans une collision avec un véhicule circulant sur la voie opposée. La procédure ouverte après l'accident fut classée sans suite et les parents de la victime déposèrent une plainte avec constitution de partie civile pour homicide involontaire le 26 novembre 2018. Le 27 décembre 2019, le juge d'instruction rendit une ordonnance d'irrecevabilité au motif que les plaignants ne justifiaient pas avoir déposé une plainte préalable auprès du procureur de la République ou d’un service de police judiciaire, comme l’exige l’article 85 du Code de procédure pénale. Ces derniers interjetèrent appel de cette ordonnance, qui fut néanmoins confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 9 avril 2021. Elle estima que le courrier par lequel les intéressés avaient demandé au parquet de mener des investigations complémentaires ne constituait pas une plainte au sens de l’article précité.

L’article 85 du Code de procédure pénale concerne la plainte avec constitution de partie civile (PACPC), qui permet de mettre en mouvement l’action publique, et il soumet sa recevabilité, en matière délictuelle (sauf pour les délits de presse et ceux prévus par le code électoral), « à [la] condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d'une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu'il n'engagera pas lui-même des poursuites, soit qu'un délai de trois mois s'est écoulé depuis qu'elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou depuis qu'elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire » (C. pr. pén., art. 85, al. 2).

Cette condition de recevabilité, qui suppose soit une réponse préalable du procureur de la République soit une absence de réponse pendant au moins trois mois, a été introduite par la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale (n° 2007-291) dans le but d’éviter l’encombrement des cabinets d’instruction pour des affaires qui ne mériteraient pas ce traitement procédural exceptionnel (v. X. Pin, Procédure pénale, coll. « Cours », Dalloz, nos 368 s. ; v. not. Crim. 9 juin 2009, no 09-80.081). La victime étant empêchée d’interrompre la prescription de l’action publique pendant ce temps, le délai de prescription de l’action publique est logiquement suspendu (C. pr. pén., art. 9-3).

La question se posait en l’espèce de savoir si les demandeurs s’étaient bien soumis à cette formalité. Le juge d’instruction puis la chambre de l’instruction ont estimé que non, en refusant de qualifier de plainte le courrier adressé le 23 avril 2015 au procureur de la République par lequel ceux-ci sollicitaient la réouverture du dossier pour un complément d’enquête aux fins de vérifier si l’accident ayant provoqué le décès de leur fille n’avait pas eu pour cause la vitesse du véhicule circulant sur la voie opposée ou un acte de malveillance sur ce même véhicule de nature à « entraîner une recherche en responsabilité pénale ».

La chambre criminelle, pour sa part, casse et annule sans renvoi, au visa de l’article 85 précité, estimant qu’« il résulte des constatations de l’arrêt que les demandeurs avaient entendu saisir le procureur de la République de faits constituant une infraction pénale, d’une part, et qu’ils avaient justifié devant la chambre de l’instruction du dépôt d’une plainte préalable, d’autre part ».

Il fallait donc considérer le courrier précité comme constitutif d’une plainte et la condition de recevabilité de l’article 85, alinéa 2, du Code de procédure pénale, comme respectée. Ce faisant, la Haute Cour confirme l’absence de formalisme de la plainte préalable : ainsi, « constitue une plainte, au sens de cet article, toute information portée, sans formalisme particulier, à la connaissance de l'autorité judiciaire ou d'un officier ou agent de police judiciaire, et relative à des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale ».

Cette conception matérielle de la plainte, liée à son contenu et non à sa forme, s’accorde non seulement avec le peu de formalisme entourant la plainte avec constitution de partie civile elle-même (v. Rép. pén. Dalloz, vo Partie civile, par Ph. Bonfils, no 99), mais s’inscrit plus largement dans la logique du Code de procédure pénale qui tend à faciliter son dépôt et donc l’information des autorités (v. Rép. pén. Dalloz, vo Plainte et dénonciation, par E. Bonis, no 80 s. ; jusqu’au dépôt en ligne, prévu par l’art. 15-3-1 du C. pr. pén. et issu de la L. no 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice). Du seul point de vue de la victime, un formalisme excessif entraverait assurément de manière disproportionnée son droit d’accéder au juge, garanti par l’article 6 § 1 de la Conv. EDH, qui était précisément invoqué au moyen.

La Haute cour précise encore que la partie lésée peut, le cas échéant, faire la preuve du dépôt préalable d’une plainte devant la chambre de l’instruction, à défaut de l’avoir fait dans un premier temps auprès du juge d’instruction : « La personne qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier du dépôt préalable d'une plainte auprès du procureur de la République ou d'un service de police judiciaire dans les conditions fixées par le deuxième alinéa du texte susvisé, demeure recevable à apporter ces justifications devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du juge d'instruction ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable ».

Là encore, la logique est de favoriser la recevabilité de la PACPC et l’accès de la victime au juge, en permettant à cette dernière de « régulariser » sa situation devant la chambre de l’instruction (v. déjà Crim. 30 mars 2016, n° 14-85.109).

La PACPC permet, à l’instar de la citation directe, à la victime de porter son action civile par voie d’action devant le juge pénal. Elle a pour effet de saisir un juge d’instruction des faits qu’elle énonce. Sa recevabilité est par ailleurs soumise à l’obligation de consigner une somme fixée par le juge et destinée à garantir le paiement de l’amende civile qui pourrait être prononcée contre la partie civile en cas de non-lieu (C. pr. pén., art. 88 s.).

Références :

■ Crim. 9 juin 2009, no 09-80.081 : D. 2009. 1714, chron. P. Chaumont et E. Degorce.

■ Crim. 30 mars 2016, n° 14-85.109 P : D. 2016. 786.

■ C. Lacroix, Les victimes (d’infractions) et le droit, Kaïros Éditions, 24 févr. 2022.

 

Auteur :Sabrina Lavric

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