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[ 5 juin 2025 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Plan de départ volontaire autonome : le salarié ne bénéficie pas du contrat de sécurisation professionnelle

« Les dispositions relatives au contrat de sécurisation professionnelle ne sont pas applicables à la rupture du contrat de travail qui résulte de la conclusion d'un accord de rupture amiable intervenu en application d'un plan de sauvegarde de l'emploi par départs volontaires qui n'envisage aucun licenciement ».

Soc. 21 mai 2025, n° 22-11.901

Lorsqu'une entreprise envisage de rompre des contrats de travail pour des raisons économiques, elle ne recourt pas nécessairement à des licenciements. Plusieurs dispositifs, impliquant un accord du salarié, permettent en effet d’aboutir à la rupture du contrat. Ces mécanismes obéissent toutefois à des régimes juridiques distincts, soulevant la question de leur articulation. Plus précisément, dans le cadre d’un plan de départ volontaire (PDV) intégré à un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), l’employeur est-il tenu de proposer aux salariés concernés un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) ? La réponse négative apportée par la Cour de cassation, qui repose sur une analyse fine de la volonté du salarié et de la finalité du CSP, exige, pour être bien comprise, de cerner chaque dispositif de rupture reposant sur un « accord » du salarié. 

En l’espèce, une société négocie un plan de sauvegarde de l’emploi intégrant un plan de départs volontaires sans licenciements contraints. Ce plan prévoie la possibilité pour les salariés occupant des postes relevant de « groupes sensibles », de postuler à un départ volontaire et de bénéficier, en cas de validation de leur candidature, de diverses mesures d'accompagnement au reclassement externe. Deux salariés volontaires au départ signent une convention de rupture amiable, qui précisent que la rupture ne sera effective que si les salariés sont embauchés sous CDI par une autre entreprise identifiée. Estimant que ces deux salariés auraient dû se voir proposer un CSP, Pôle Emploi (désormais France Travail), réclame à l’employeur une contribution de plus de 19 000 euros. Ce raisonnement, validé par les juges du fond, conduit l’employeur à se pourvoir en cassation. La chambre sociale censure la décision de la cour d’appel. Après avoir pris soin de rappeler le régime de la rupture dans le cadre d’un CSP (I) et d’un plan de départ volontaire (II), elle admet que le CSP n’a pas à être proposé si la rupture s’inscrit dans le cadre d’un PDV autonome (III).

I.               Départ dans le cadre d’une adhésion au CSP

Dans les entreprises de moins de 1000 salariés ou celles faisant l’objet d’une procédure collective (L. 1233-66 et L. 1233-75 c. trav.), l'employeur qui envisage de prononcer le licenciement économique d’un salarié est tenu de lui proposer le bénéfice d’un CSP. Ce dispositif permet de bénéficier, après la rupture du contrat, d’une indemnisation spécifique et d'un ensemble d’aides proposées par France Travail. Lorsqu’il y a un PSE, l’employeur doit formuler cette proposition après la validation ou l'homologation du plan. À défaut d’initiative patronale, France Travail propose directement au salarié le CSP et peut réclamer à l’employeur une contribution égale à 2 ou 3 mois de salaire (L. 1233-66 al. 2). 

Le CSP implique un acte de volonté du salarié qui prend la forme d’une adhésion. Conformément à l’article L. 1233-67 du Code du travail, cette décision emporte alors « rupture du contrat ». Il ne s’agit donc plus, formellement, d’un licenciement. Le salarié ne peut d’ailleurs pas prétendre à un préavis de licenciement ou à une indemnité compensatrice. Toutefois, le choix du salarié est des plus limité : soit il adhère au CSP et il bénéficie en contrepartie immédiatement d'un accompagnement renforcé et personnalisé de France Travail, soit il est licencié pour motif économique. Quoi qu’il arrive, il perd son emploi. La rupture, bien qu’impliquant un acte de volonté, ne saurait être qualifiée « d’amiable » tant la situation est largement subie par le salarié. Aussi, la Cour de cassation considère que l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle n’est en fait qu’une modalité du licenciement économique (Soc. 16 mai 2013, n° 11-28.494, Bull. 2013, V, n° 126). Il en résulte que le salarié doit être informé des motifs économiques de la rupture (Soc. 1er juin 2022, n° 20-17.360) au plus tard au moment où il adhère au CSP (Soc. 22 sept. 2015, n° 14-16.218 ; Soc. 26 mars 2025, n° 23-21.099). Il lui est possible de contester la réalité et le sérieux de ce motif, le respect de l'obligation de reclassement ou encore le respect des règles relatives à l'ordre des licenciements (Soc. 5 mars 2008, n° 07-41.964, Bull. 2008, V, n° 47). 

II.             Départ dans le cadre d’un PDV

Il est fréquent qu’un PSE intègre un plan de départ volontaire. Une première phase fait alors appel au volontariat et si ce projet ne rencontre pas le succès estompé auprès des salariés, alors l’employeur procède à des licenciements. La Cour de cassation reconnaît de longue date la validité des plans de départ volontaire organisés par un accord collectif, qualifiant les ruptures s’inscrivant dans ce cadre de résiliation amiable (Soc. 2 déc. 2003, n° 01-46.540 ; Soc. 26 oct. 2004, n° 02-40.959 ; Soc. 13 sept. 2005, n° 04-40.135). L’employeur peut également proposer unilatéralement de telles mesures (Soc. 26 janv. 2005, n° 02-44.474). Le régime de ces ruptures négociées est toutefois particulièrement complexe. Le législateur a prévu que les dispositions sur le licenciement pour motif économique sont applicables à toute rupture du contrat pour motif économique. Il n’y a donc pas lieu de distinguer selon que le départ est volontaire ou imposé, notamment pour identifier la procédure applicable (art. L. 1233-3 in fine sous réserve désormais de la rupture conventionnelle collective et du congé mobilité). Reste qu’une rupture amiable n’est pas totalement assimilable à un licenciement et que certaines règles paraissent peu adaptées à une rupture négociée. Aussi, la Cour de cassation procède à une sélection des règles, écartant au cas par cas certaines dispositions. Ainsi, il n’y a pas lieu d’appliquer les critères d’ordre des licenciements (Soc. 12 juill. 2004, n° 02-19.175), l'employeur n'est pas tenu d'adresser au salarié une lettre énonçant les motifs de la rupture (Soc. 2 déc. 2003, n° 01-46.540) et sauf fraude ou vice du consentement, le motif économique n’est pas contestable (Soc. 24 mai 2006, n° 04-44.605 ; Soc. 8 févr. 2012, n° 10-27.176 ; Soc. 26 juin 2024, n° 23-15.498). En revanche, le salarié conserve le bénéfice de la priorité de réembauchage (Soc. 13 sept. 2005, préc.). La question posée à la Cour de cassation dans l’arrêt commenté était donc de savoir si les dispositions du CSP ont vocation à s’appliquer lorsque le salarié répond positivement à une offre au départ. Appelée à se prononcer sur un autre dispositif similaire désormais abrogé - la convention de reclassement personnalisée - la Cour avait répondu positivement (Soc. 16 déc. 2008, n° 07-15.019). On pouvait donc penser que le CSP devait être proposé. C’est d’ailleurs la position figurant dans la circulaire de l’Unedic relative au CSP (Circulaire n° 2022-04 du 28 février 2022). Pourtant, telle n’est pas la solution retenue par la chambre sociale. Mais il convient sans doute de distinguer selon le type de PDV.

III.           Articulation du CSP et des différents PDV

Les juges du fond avaient estimé que l’employeur devait proposer un CSP au salarié aux motifs que les règles s’appliquent à toute rupture pour motif économique, qu’elle soit négociée ou contrainte. La Cour censure ce raisonnement mais sa décision invite à identifier le type de PDV. On sait que la Cour distingue au sein des plans de départs volontaires, ceux dits « autonomes ». Il s’agit de plan par lequel l’employeur propose des départs tout en s’engageant à ne pas licencier quand bien même les objectifs de réduction du nombre d’emploi ne seraient pas atteints. Le principal intérêt de ce dispositif est de dispenser l’employeur d’un plan de reclassement interne au sein du PSE (Soc. 26 oct. 2010, n° 09-15.187). L’arrêt commenté en dévoile désormais un second : la dispense de proposition du CSP. 

La Cour souligne en effet ici que l’employeur opérait dans le cadre d’un plan de départs volontaires qui n'envisageait aucun licenciement. Elle relève que les salariés volontaires « n'étaient pas menacés de licenciement ». Pour pouvoir bénéficier d’un départ amiable, ils avaient motivé leur candidature par une offre d’emploi émise par une autre entreprise. L’employeur avait été particulièrement prudent : une convention de mise à disposition auprès du futur employeur avait été conclue afin de couvrir la période d’essai. La rupture définitive de leur contrat ne devait être effective qu’à l’issue de cette période, et sous réserve de leur embauche définitive en CDI par ce nouvel employeur. Autrement dit, non seulement leur choix pouvait être appréhendé comme libre puisqu’ils ne s’exposaient pas à un licenciement mais surtout, ils étaient censés ne pas avoir besoin du CSP, qui rappelons le, vise à faciliter le reclassement rapide du salarié sur le marché du travail. La solution apparait cohérente tant au regard du choix du salarié que de la finalité du CSP. Elle aligne également le PDV autonome sur la rupture conventionnelle collective puisque, dans ce cas de figure, l’employeur n’a pas à proposer de CSP. (L. 1233-3 in fine exclut la rupture conventionnelle collective du champ du licenciement économique).

Demeure alors une incertitude quant à la portée de l’arrêt commenté. Une lecture a contrario invite à retenir que dès lors qu’il s’agit d’un PDV classique, intégré à un PSE n’excluant pas tout licenciement, alors le CSP doit être proposé, y compris aux salariés volontaires au départ. Cette solution permettrait de rendre compte de la plus faible marge de manœuvre du salarié : il risque de perdre son emploi s’il n’y a pas suffisamment de volontaires. La proposition du CSP lui permettrait alors de faire un choix beaucoup plus éclairé puisque - nous l’avons vu - l’employeur doit alors lui indiquer les raisons économiques du processus au plus tard au moment de son adhésion. 

 

Auteur :Chantal Mathieu


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