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[ 12 décembre 2018 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Plateformes : requalification du contrat de prestation de service d’un coursier à vélo en contrat de travail

Par un arrêt du 28 novembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur la qualification du contrat liant une plateforme numérique à un coursier travaillant sous le statut d’autoentrepreneur. Dès lors que la plateforme ne se limite pas à la mise en relation, du client, du restaurateur et du coursier et qu’elle détient un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, caractéristique du lien de subordination, la cour d’appel ne pouvait écarter la qualification de contrat de travail.

Dans cette affaire, une plateforme électronique et une application mobile étaient utilisées par la société Take Eat Easy (aujourd’hui en liquidation judiciaire) pour mettre en relation des restaurateurs, des clients et des coursiers. Les coursiers étaient enregistrés comme autoentrepreneurs et étaient liés à la société par un contrat de prestation de service. Un coursier a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir la requalification de son contrat de prestation de service en contrat de travail. 

Dans son arrêt du 20 avril 2017, la cour d’appel de Paris a débouté le coursier, en évoquant l’absence de lien d’exclusivité ou de non-concurrence et la liberté, pour le coursier, de choisir ses plages horaires de travail. La cour a estimé que cette liberté totale de travailler ou non, sans être soumis à une quelconque durée de travail ni à un quelconque forfait horaire ou journalier, permettait au livreur de fixer seul ses périodes d’inactivité ou de congés et leur durée, ce qui excluait toute relation salariée.

La Cour de cassation ne suit pas la position de la cour d’appel. Elle rappelle en premier lieu que l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni par la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention (Cass., ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-11.647) mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs (Soc. 17 avr. 1991, n° 88-40.121). Ensuite, elle rappelle que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné (Soc. 13 nov. 1996, Sté générale c/ Urssaf, n° 94-13.187).

Les juges du fond apprécient les faits pour déterminer l’existence d’une relation de travail. Dans le cadre de son contrôle de motivation, la Haute juridiction censure la cour d’appel qui, au regard des éléments de faits qui lui ont été soumis, ne pouvait écarter la qualification de contrat de travail.

La chambre sociale de la Cour de cassation se fonde sur l’article L. 8221-6 du Code du travail (créé par la loi « Travail ») qui établit une présomption de non-salariat pour les autoentrepreneurs, présomption pouvant être renversée lorsque ceux-ci fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.

La Cour de cassation relève que l’application disposait d’un système de géolocalisation qui permettait le suivi en temps réel de la position du coursier et la comptabilisation de la distance parcourue. Elle relève également que la société avait le pouvoir de sanctionner le coursier en cas de manquement à ses obligations contractuelles et notamment, de le convoquer pour évoquer sa motivation et sa volonté de poursuivre la prestation de service. Ces deux éléments, le pouvoir de contrôle et de sanction, caractéristiques du lien de subordination, ne permettaient pas à la cour d’appel d’exclure la qualification de contrat de travail. Les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

Pour rappel, l’article L. 111-7, I du Code de la consommation définit l’opérateur de plate-forme en ligne comme toute personne physique ou morale proposant, à titre professionnel, de manière rémunérée ou non, un service de communication au public reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue de la vente d’un bien, de la fourniture d’un service ou de l’échange ou du partage d’un contenu, d’un bien ou d’un service. La qualification du contrat qui lie plateforme et autoentrepreneur fait l’objet de débats dans les juridictions depuis plusieurs années. Des autoentrepreneurs opérant pour des plateformes comme UberLe CabChauffeur privéDeliveroo ont par le passé, saisi les juridictions prud’homales pour obtenir la requalification de leur contrat de prestation de service en contrat de travail. Les juridictions de sécurité sociale ont également été saisies par l'Urssaf, pour des redressements en matière de cotisations sociales. Jusqu’à présent, ces actions n’avaient pas abouti à des requalifications en contrat de travail, ou à des redressements sur ce fondement.

L’arrêt du 28 novembre 2018, s’il n’est pas limité par de nouvelles dispositions législatives (V. projet de loi mobilité, projetant de mettre en place des garanties en matière de protection sociale tout en écartant la possibilité de requalification) pourrait ouvrir la voie à de nouvelles actions en requalification d’autoentrepreneurs opérant pour le compte de plateformes électroniques.

Par ailleurs, il est à noter que ce phénomène ne se limite pas au droit français. En effet, récemment, le tribunal de Valence en Espagne a qualifié de « salarié » un livreur Deliveroo après avoir considéré que la relation qu’il avait nouée avec la plateforme numérique était celle d’un « faux micro-entrepreneur ». En Grande-Bretagne, une affaire oppose un syndicat de travailleur indépendant à la plateforme Deliveroo, cette fois sous l’angle du droit à la négociation collective (fondé sur l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales). La problématique des travailleurs des plateformes, n’a donc pas fini d’agiter les tribunaux, en France, comme en Europe.

Soc. 28 novembre 2018, n° 17-20.079

Références

■ Fiche d’orientation Dalloz : Contrat de travail (Conclusion)

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 11

« Liberté de réunion et d'association. 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.

2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. »

■ Cass., ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-11.647 P

■ Soc. 17 avr. 1991, n° 88-40.121 P : D. 1991. 139 ; RTD com. 1992. 196, obs. C. Champaud et D. Danet

■ Soc. 13 nov. 1996, Sté générale c/ Urssaf, n° 94-13.187 P : D. 1996. 268 ; Dr. soc. 1996. 1067, note J.-J. Dupeyroux ; RDSS 1997. 847, note J.-C. Dosdat

 

Auteur :Quentin Mlapa


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