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[ 16 novembre 2020 ] Imprimer

Droit de la famille

PMA : le couple doit rester uni

Le consentement donné par l’auteur de la reconnaissance d’un enfant issu d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur étant privé d’effet par le dépôt d’une requête conjointe en divorce antérieur à sa réalisation, le père d’intention simultanément engagé dans une procédure de divorce et dans une procédure de PMA est autorisé à agir en contestation de paternité, la disparition de son lien de filiation avec l’enfant consécutive à l’annulation de son acte de reconnaissance ne portant pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de ce dernier.

Civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-12-373 et 19-18.791

Un couple hétérosexuel s’était marié le 8 septembre 2012. Sur requête en date du 3 mai 2013, le juge aux affaires familiales avait, par jugement du 11 juin 2013, prononcé leur divorce par consentement mutuel. Le 10 novembre 2013, la femme avait donné naissance à un enfant conçu après que le couple, pourtant en cours de procédure de divorce, eut recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) avec tiers donneur réalisée, le 12 mai 2013, en Espagne. Son ex-mari avait reconnu l’enfant le 12 novembre 2013, soit deux jours seulement après la naissance.

Le 20 janvier 2015, il avait assigné son ex-femme en contestation de paternité. Un jugement du 7 juillet 2016 ordonna avant dire droit une expertise biologique, ayant logiquement conclu à l’absence de paternité biologique du demandeur. 

La mère faisait grief à l’arrêt d’appel d’avoir annulé en conséquence la reconnaissance de paternité de son ex-mari et de dire que ce dernier n’était pas le père de l’enfant, au premier moyen que si l’article 311-20 du Code civil interdit toute action aux fins de contestation de la filiation d’un enfant conçu par le biais d’une AMP avec tiers donneur à moins que le consentement du couple, requis par la loi, ait été privé d’effet notamment par le dépôt, avant la réalisation de l’opération, d’une requête en divorce, cette prohibition ne vaut qu’à la condition que la procréation médicalement assistée (PMA) ait été réalisée en France, cette condition n’étant pas en l’espèce remplie, le consentement du père ayant été donné en Espagne pour un traitement utilisant un don d’ovocyte et un don de sperme et l’enfant ayant été issue d’un transfert d’embryon réalisé dans le même pays étranger. 

La Cour de cassation juge ce moyen non fondé, au visa de l’article 311-20 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, dont elle reprend l’intégralité des termes. 

Ce texte dispose en premier lieu que «  Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation » (C. civ., art. 311-20, al. 1er ; v. aussi CSP, art. L. 2141-10). 

Trois précisions doivent déjà, sur cette première disposition, être apportées : 

-        tout d’abord, parmi l’ensemble des techniques actuellement disponibles d’aide médicale à la procréation, celle ici en cause vise la procréation avec don de gamètes (dite PMA exogène), consistant « en l’apport par un tiers de spermatozoïdes ou d’ovocytes en vue d’une assistance médicale à la procréation « (CSP, art. L. 1244-1), le recours à cette technique devant être justifié par un risque de transmission d’une maladie d’une particulière gravité à l’enfant ou à un membre du couple, lorsque les techniques d’AMP au sein du couple ne peuvent aboutir ou lorsque le couple renonce à une AMP au sein du couple (PMA endogène ; V. CSP, art. L. 2141-7) ; 

-        ensuite, ressort du premier alinéa du texte visé une indifférence affichée à la nature des liens unissant les membres du couple (« les époux ou les concubins ») : non réservée aux couples mariés, l’AMP s’offre également aux couples pacsés et aux concubins, sous réserve (pour l’heure) de leur hétérosexualité, étant précisé que cette règle est applicable à toutes les PMA, quelle que soit la technique utilisée ; 

-        enfin, doit être relevée une autre condition, également commune à toutes les PMA, celle tenant au consentement de ses bénéficiaires. Afin que leur assentiment soit suffisamment ferme et éclairé, le législateur a prévu, spécialement dans le cas de l’utilisation de gamètes (comp. concernant les autres techniques, J. Garrigue, Droit de la famille, Dalloz, 2020, coll. Hypercours, n° 1124 s.), l’intervention du juge ou du notaire pour aviser le couple des conséquences juridiques de leur choix, cette information ayant but d’aider le couple à mesurer la portée de leur décision. Cette exigence se révèle particulièrement utile et nécessaire pour celui des membres du couple dont les gamètes ne seront pas utilisés pour la conception. En effet, il est indispensable de prendre diverses précautions pour s’assurer de la lucidité du consentement de celui ou de celle ayant vocation à devenir père ou mère d’un enfant qui ne sera pas génétiquement le sien. Étant précisé qu’en cas de don d’ovocytes, l’exigence apparaît mois impérieuse : la femme receveuse portant l’enfant et lui donnant naissance, sa maternité ne repose donc pas seulement sur la volonté qu’elle aura exprimée, mais tout autant voire davantage sur sa grossesse et l’accouchement de l’enfant. En revanche, en cas de don de sperme, la paternité du receveur a pour seul fondement l’assentiment qu’il a donné avant la réalisation de l’assistance médicale. La réalité et l’intégrité de son consentement apparaissent ainsi d’autant plus essentielles.

Le même texte précise, comme le rappelle encore la Cour, que « Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet » (C. civ., art. 311-20, al. 2). Si l’établissement de la paternité et de la maternité des enfants nés à la suite d’une procréation assistée obéit au droit commun de la filiation (V. J. Garrigue, op.cit., n° 1161 et 1163), le législateur a cependant dû prévoir des règles spécialement conçues pour les cas de dons de gamètes et d’accueil d’embryons : outre l’impossibilité d’établir un lien de filiation à l’égard du donneur (C. civ., art. 311-19, al. 1er), la nécessité d’établir et de protéger les liens unissant l’enfant à ses parents se traduit notamment par l’interdiction de toute en action en contestation de filiation. Cette action de droit commun est en effet inadaptée au cas où n’existe aucun lien génétique entre l’enfant et son parent, dans la mesure où ce type d’action ne peut aboutir, en raison de son objet, qu’à la condition que l’ascendance biologique du défendeur soit établie. Il était donc nécessaire de mettre l’homme ayant consenti à une assistance médicale avec don de sperme ou d’embryon à l’abri de toute action en contestation susceptible d’être intentée, par la mère, un tiers ou plus fréquemment, par l’enfant. Il convient d’ajouter que celui qui avait accepté d’y recourir ne peut davantage renier l’enfant sous prétexte que ce dernier lui est génétiquement étranger. C’est également la raison, ensuite rappelée par la Cour, pour laquelle « (c)elui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant ». L’établissement de la paternité n’est donc pas laissé à la discrétion de l’individu, il constitue pour ce dernier une véritable obligation susceptible d’engager sa responsabilité civile et de voir sa filiation instaurée contre son gré par le biais d’une action spécifique (C. civ., art. 311-20, al. 5).

L’obligation d’établir sa filiation et l’interdiction de la contester sont néanmoins écartées lorsque « l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet » (C. civ., art. 311-20, al. 2). Ainsi, dans certaines circonstances, de fait ou de droit, l’homme recouvre notamment le droit de faire anéantir sa paternité, par exemple s’il découvre que l’enfant est né d’une relation adultère ; il dispose de la même liberté lorsque l’intervention médicale a été réalisée après la rétractation de son consentement, ou la dislocation de son couple : ainsi la Cour ajoute-t-elle que « (l)e consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée. Il est également privé d’effet lorsque l’homme ou la femme le révoque, par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette assistance ». A ce titre, poursuit la Cour, l’article 311-20, alinéa 3, du Code civil régit les conditions de recevabilité d’une action en contestation de reconnaissance de paternité intervenant après recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur à l’étranger lorsque cette action est, telle que celle engagée en l’espèce, soumise à la loi française à raison de la nationalité française de son auteur et de l’enfant (C. civ., art. 311-17) Il en résultait que l’action en contestation de paternité engagée par le demandeur devait être jugée recevable puisqu’il était établi que son consentement à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur était privé d’effet depuis le dépôt de la requête conjointe en divorce (le 3 mai 2013) (…), intervenu avant la réalisation de l’opération (le 12 mai 2013). 

Si la nature juridique des liens du couple est, comme il l’a été précédemment expliqué, indifférente, c’est précisément en raison du choix du législateur d’ériger en critère déterminant d’accès à l’AMP l’existence d’une vie commune. La demande doit d’abord et avant tout émaner d’un couple caractérisé, dans ce cadre, par la communauté de vie des membres qui le composent. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la désunion du couple, qu’elle soit causée par un divorce, une séparation de corps ou une simple cessation de la vie commune ou bien encore par un décès, soit vue comme un obstacle infranchissable au projet parental dans lequel le législateur a voulu inscrire l’AMP, qu’il a pour cette raison réservée à des couples, hétérosexuels et vivant sous le même toit, dont la situation personnelle et familiale lui paraissait ainsi propice à l’accueil, à l’éducation et à l’épanouissement d’un enfant. 

La Cour de cassation approuve ainsi l’analyse des juges du fond, qui avaient fait application de ces dispositions pour en déduire exactement que le consentement du défendeur au pourvoi avait bien été privé d’effet en raison de l’antériorité de la requête en divorce à la réalisation du transfert d’embryon. 

Elle confirme également l’absence de disproportion dans l’atteinte ainsi portée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, et la juste prise en compte de son intérêt, que la demanderesse au pourvoi avait pourtant tenté de dénoncer sur la base du principe de proportionnalité des intérêts concurrentes en présence.

A cette fin, elle avait alors reproché aux juges de s’en être tenus à la stricte application des règles précitées sans rechercher si concrètement, celle-ci ne portait pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux et à l’intérêt de l’enfant, au regard du but légitime poursuivi, dès lors que son ex-mari avait admis avoir donné son consentement à l’AMP, effectuée concomitamment à la requête en divorce, celle-ci n’ayant en rien modifié la volonté de son ex-mari d’être le père de cet enfant qu’il avait, en outre, volontairement reconnu. Elle ajoutait que face à l’impossibilité d’établir un lien de filiation entre l’auteur du don et l’enfant qui en est issu, l’intérêt de ce dernier n’est pas de bénéficier, comme l’avait retenu la cour d’appel, d’une filiation paternelle conforme à la vérité biologique, mais de conserver une paternité d’intention, en dépit de sa contestation. Elle soutenait enfin que l’intérêt supérieur de l’enfant ne réside pas exclusivement dans l’accès à la réalité de ses origines, en l’occurrence inaccessibles en vertu du principe d’anonymat du tiers donneur, mais comprend également le droit de disposer d’une filiation complète, maternelle et paternelle, quand bien même celle-ci ne serait pas conforme à la vérité biologique. 

Si la Cour admet, au visa des articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que l’action en contestation de paternité et la décision d’annulation d’une reconnaissance de paternité en résultant constituent des ingérences dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, elles n’en demeurent pas moins prévues par la loi (V. Conv. EDH, art. 8) à l’article 332, alinéa 2, du Code civil, et poursuivent un but légitime en ce qu’elles tendent à permettre l’accès de l’enfant à la réalité de ses origines. Et la Cour de cassation de s’aligner sur la position des juges d’appel pour considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant, apprécié in concreto, résidait dans l’accès à ses origines personnelles, et que la destruction de son premier lien de filiation paternelle « n’excluait pas pour l’avenir et de façon définitive l’établissement d’un nouveau lien de filiation ». Par exemple dans l’hypothèse où la mère de l’enfant referait sa vie avec un homme qui consentirait à adopter l’enfant et à établir ainsi une filiation qui ne serait toujours pas conforme à la réalité biologique… 

Dans cette affaire, il semble que le recours au droit actuellement promu d’accéder à « ses origines personnelles » et à la vérité biologique de sa filiation semble quelque peu factice, voire franchement irréaliste, le principe d’anonymat du tiers donneur, que d’aucuns souhaiteraient aménager voire abandonner (V. J. Garrigue, op.cit., 1145), étant encore en vigueur.

Références

■ Convention internationale relative aux droits de l’enfant, de New-York du 20 novembre 1989

Art. 3, § 1. « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Art. 8. « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

 

Auteur :Merryl Hervieu


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